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CeROArt

Numéro 6  (2010)
Horizons

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Ève Bouyer
Quelques pistes de réflexion sur la
restauration perceptible des vases
céramiques antiques
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Référence électronique
Ève Bouyer, « Quelques pistes de réflexion sur la restauration perceptible des vases céramiques antiques »,
 CeROArt [En ligne], 6 | 2010, mis en ligne le 17 novembre 2010. URL : http://ceroart.revues.org/index1618.html
DOI : en cours d'attribution

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Quelques pistes de réflexion sur la restauration perceptible des vases céramiques antique 2

Ève Bouyer

Quelques pistes de réflexion sur la


restauration perceptible des vases
céramiques antiques
Introduction
1 S'il est un domaine dans lequel la restauration «  reconnaissable  », «  visible  » ou plutôt
«  perceptible  » est bien représentée, c'est celui de la céramique archéologique. Celle-ci
est souvent considérée comme étant du matériel destiné à l'étude, et, par conséquent, ses
restaurations n'ont que très rarement pour but de laisser penser que l'objet est complet, intact : le
fragmentaire y est aisément accepté1. D'ailleurs, les bouchages non colorés, donc blanchâtres,
sont monnaie courante : loin de donner à l'objet une apparence moins fragmentaire, ils
accentuent la quantité de matière perdue.
2 Plusieurs catégories de vases archéologiques aux décors élaborés, entre autres les vases
à figures rouges, présentent néanmoins des restaurations de type illusionniste. Ce type
d'intervention remonte aux débuts de l'intérêt pour les antiquités : comme pour les sculptures
exhumées depuis la Renaissance, les vases se devaient d'avoir l'air complet, ce qui renvoie à
l'un des critères du Beau selon Thomas d'Aquin : l'intégrité. Ceci se manifeste très clairement
au XVIIIe siècle, où le commerce des céramiques prend un véritable essor : on peut citer,
à titre d'exemple, les restaurations-recréations du célèbre graveur Giovanni Battista Piranèse
(1720-1778)2.
3 Mais dès la première moitié du XIXe siècle, une critique de l'illusionnisme se développe à leur
propos. Ainsi, en 1813, James Millingen (1774-1845) parlait d'une « perfection dangereuse
pour la science » à propos des restaurations de son époque3. Dans le même ordre d'idées, en
1937, le Musée grégorien étrusque (Rome) a refusé à Francesco Depoletti une restauration
illusionniste d'un dinos4. On voit donc que, dès cette époque, connaisseurs et musées plaident
pour une certaine « perceptibilité » de la restauration.

Vocabulaire
4 Pour désigner les restaurations non illusionnistes, le qualificatif « perceptible » est employé
dans cet article, plutôt que « reconnaissable » ou « visible ». Les deux deniers sont pourtant
bien plus utilisés, mais ont un sens moins précis que le premier.
5 « Reconnaissable » est employé en référence à l'axiome de Cesare Brandi « La restauration
doit être reconnaissable et réversible ». Mais ce terme est trop large pour désigner le non-
illusionnisme : en effet, une restauration peut être reconnue non seulement à l'oeil nu, mais
également à l'aide d'examens scientifiques.
6 Le terme « visible » jouit d'une véritable renommée depuis qu'un colloque intitulé « Visibilité
de la restauration, lisibilité de l'oeuvre » a été organisé par l'ARAAFU en 2002. Cet adjectif
peut porter à confusion : lorsque l'on dit qu'une restauration est « visible », cela peut signifier
que le changement entre l'ancien état et l'état actuel est notable. De plus, selon Cesare Brandi,
la restauration est censée être « invisible à la distance où l'oeuvre d'art doit être regardée », ce
qui entre en contradiction avec le terme visible5.
7 «  Perceptible  » permet de lever les ambiguïtés présentes dans les deux autres termes : il
sous-tend l'idée que la restauration est susceptible d'être distinguée (de la matière originale),
et ce, grâce aux sens de la perception (excluant donc les examens scientifiques). Même si
beaucoup d'auteurs parlent de la perception des restaurations, la formulation « restauration (ou

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intervention) perceptible » n'est pas d'usage courant6. J’ai choisi néanmoins de l’adopter dans
mon mémoire de fin d'études7 ainsi que dans ce travail.

Déontologie de la conservation-restauration et contexte de


l'objet
8 Le souhait d'honnêteté vis-à-vis de l'état réel de l'objet est affirmé dans l'un des axiomes de
Cesare Brandi : « La restauration doit être reconnaissable et réversible ». Cela implique que
le restaurateur doit faire preuve de modestie face à l'objet, l'original, et respecter son histoire
matérielle.
9  En fait, on peut distinguer les « objets originaires de nos régions et dont nous connaissons
tout le parcours depuis leur découverte » et ceux « de diverses origines (...) acquis pour leur
valeur esthétique »8. Ainsi, les vases gallo-romains, généralement issus de fouilles organisées,
sont plutôt traités comme du matériel d'étude, tandis que les vases grecs, acquis sur le
marché des antiquaires, ont un statut équivalent (ou presque) à celui des oeuvres d'art, et ce,
particulièrement s'ils sont attribués à un peintre et/ou un céramiste : ils sont souvent traités de
manière interventionniste. Ceci dit, il existe de nombreuses exceptions de part et d'autre.
10 Dans le même ordre d'idée, on ne travaille généralement pas de la même façon pour un
collectionneur privé, un conservateur de musée ou un archéologue ; autrement dit, le traitement
d'un objet destiné à être exposé dans un intérieur ou une salle d'exposition ou encore à être
étudié puis entreposé sera très souvent différent9.
11 Ceci a conduit à l'apparition d'expressions telles que «  restauration archéologique  » ou
« restauration muséale ». Celles-ci n'ont à l'heure actuelle pas été clairement définies : on peut
à vrai dire y ranger à peu près toutes les restaurations non-illusionnistes, mais on peut surtout
leur reprocher d'être réductrices vis-à-vis de ce que peuvent souhaiter les archéologues et les
conservateurs de musée quant à la restauration des objets dont ils sont responsables. Ainsi, des
musées à vocation clairement archéologique peuvent opter pour des restaurations franchement
illusionnistes : en Belgique, c'est notamment le cas du Musée gallo-romain de Tongres.
Fig. 1 Terrine gallo-romaine

Terrine gallo-romaine, IIe siècle AC, Musée gallo-romain de Tongres (inv. G068GR10NR.37), 11,5 x 18,5 cm, pendant et
après la restauration (par Joan Janssen, atelier Articura)
Crédit photographique : © Joan Janssen - Gallo-romeins Museum van Tongeren
12 Les restaurateurs insistent très souvent sur le fait que chaque objet doit être traité en fonction
de ses particularités, tel un cas unique, mais cela doit-il être compris de manière absolue
lorsque l'on considère la céramique archéologique ? Premièrement, on peut être confronté à
un grand nombre d'objets très semblables, que ce soit par rapport à leur apparence ou leur
état de conservation (d'autant plus si l'on travaille sur le matériel d'un site en particulier).
Deuxièmement, il est important d'envisager la restauration non seulement par rapport à l'objet
lui-même, mais aussi par rapport à l'ensemble de la collection à laquelle il appartient, et ce,

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autant pour le matériel d'étude que pour le matériel destiné à l'exposition. L'homogénéité est
certainement un critère important lorsque l'on souhaite que les restaurations soient perçues par
un public qui n'est pas forcément initié à la restauration, tel un public scolaire. Si plusieurs
objets présentés dans une même vitrine ont des restaurations d'apparences semblables, et que
celles-ci se répètent de vitrine en vitrine, il y a tout lieu d'espérer que cela pourra permettre
au spectateur d'identifier les restaurations plus aisément, ce qui est certainement intéressant
d'un point de vue didactique.

Axiologie : valeurs de la vaisselle archéologique


13 L' « axiologie » - théorie des valeurs (du grec axia) - est une notion issue de la philosophie et
récemment appliquée à la conservation-restauration10. Deux grands précurseurs se sont placés
dans une démarche axiologique : Aloïs Riegl (1858-1905) et Cesare Brandi (1906-1988) ; c'est
le système de valeurs du second qui sera ici envisagé.
14 Récemment, Marie Berducou a revisité trois axiomes de Cesare Brandi afin de les rendre
applicables à des domaines tels que l'ethnographie, l'art industriel et l'archéologie11. Ces
domaines ne concernent pas uniquement des oeuvres d'art, mais aussi des objets qui n'ont pas
au départ été conçus pour plaire ou pour faire passer un message : les qualités esthétiques ou
les significations qui leur sont accordées ont souvent été attribuées a posteriori, au moment
de leur « reconnaissance ».
15 Dans son système axiologique, Cesare Brandi considère essentiellement les valeurs
esthétiques et historiques, ce qui semble bien convenir à la plupart des oeuvres d'art. Mais
en ce qui concerne les objets, entre autres les vases, il est un fait certain qu'il faut prendre en
compte une valeur qui leur est essentielle : la valeur utilitaire ou d' « ustensilité », à laquelle
Brandi accorde très peu d'importance. Pourtant, il s'agit bien là d'un point essentiel pour les
restaurateurs de vases : avant d'être « beaux », ces objets ont été créés afin de remplir une
fonction12. Cette fonction appartient au passé, mais intéresse les chercheurs aussi bien que les
spectateurs profanes. Ainsi, il peut être intéressant d'un point de vue didactique de compléter
certaines caractéristiques de la forme d'un vase, telles que les anses ou les goulots.
16 Rares sont les vases qui ont une grande valeur historique. Cela peut être le cas de ceux créés
ou découverts dans un contexte particulier : par exemple, les amphores panathénaïques reçues
par des athlètes victorieux sont de précieux témoins de l'histoire des jeux athéniens ; le fait
que certaines aient été retrouvées dans de riches contextes funéraires étrusques est quant à lui
très signifiant par rapport à la valeur de prestige qui leur était donnée, puisqu'il témoigne des
échanges commerciaux dans lesquels elles pouvaient entrer.
17 La valeur historique d'un vase peut donc dépendre des contextes historiques et archéologiques,
mais également de l'histoire depuis la mise au jour : s'il appartient ou bien a appartenu à
une collection fameuse, cela accroît certainement sa valeur historique. La présence d'une
restauration ancienne est également un signe qui appuie l'intérêt que l'on portait à l'objet, et
constitue un témoin de la façon dont ces vases ont été vus, et parfois aussi revus et corrigés
par des restaurateurs.
18 La valeur historique rencontre parfois la valeur esthétique : dans ce cas, elle relève de l'Histoire
de l'art elle-même. Cela concerne les vases remarquables par leur style, leur iconographie ou
leur forme, ceux attribués à un céramiste et/ou un peintre, ainsi que ceux qui ont influencé
d'autres créations13.
19 Prenons l'exemple du très célèbre vase François, exposé au Musée archéologique national de
Florence. Il est le premier et le plus ancien cratère à volutes jamais découvert, et est l'un des
premiers vases archaïques (à figures noires) à avoir éveillé l'intérêt des esthètes. Découvert
vers 1845 dans une tombe particulièrement riche, il a été restauré à quatre reprises (au moins).
Cet objet d'exception présente aujourd'hui une restauration clairement perceptible, qui, loin
de se faire discrète, souligne l'emplacement des tessons manquants.

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20 Le second exemple est visible au Musée royal de Mariemont : il s'agit d'une céramique tout
à fait commune, un dolium, qui n'a de remarquable que ses très grandes dimensions. Sa
découverte est issue de fouilles réalisées par Raoul Warocqué dans les alentours de 1905 ; il
a été restauré peu de temps après, et une seconde fois il y a quelques années14. Alors qu'il est
très fragmentaire (il en manque plus de la moitié), sa restauration n'est perceptible que d'assez
près ; à première vue, ce dolium semble complet, ce qui permet de mettre en valeur le caractère
exceptionnel de ses dimensions.
Fig. 2 Dolium gallo-romain

Dolium gallo-romain, Musée royal de Mariemont (inv. X1501), 80 x 87 cm


© Musée royal de Mariemont
21 Si les valeurs historiques de ces deux vases sont relativement équivalentes (objets rares
découverts lors de fouilles très anciennes et rapidement restaurés puis exposés), la valeur
esthétique du Vase François est certainement bien plus élevée que celle du dolium de
Mariemont ; pourtant, celle-ci n'a pas été privilégiée dans la restauration. On ne peut donc
absolument pas envisager un rapport de valeurs dans lequel plus l'objet serait beau, plus sa
restauration serait discrète. Ni un rapport dans lequel plus l'objet serait lacunaire, plus sa
restauration serait perceptible.
22 En résumé, un vase archéologique a toujours une valeur utilitaire (qui appartient au passé),
mais les valeurs historique et esthétique sont par contre très relatives et dépendent des
informations que l'on possède à son propos. Et surtout, les valeurs sont accordées à un objet
par un sujet, donc avec une certaine subjectivité.

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Téléologie : les intentions du conservateur-restaurateur


23 La notion de « téléologie » - étude des finalités ou intentions (du grec telos) - est également
empruntée à la philosophie15. De l'axiologie à la téléologie, nous passons de l'étude des valeurs
de l'objet à l'étude des intentions du sujet.
24 Je considère qu'il peut y avoir principalement trois intentions par rapport à la restauration d'un
vase :
• Améliorer sa conservation : c'est-à-dire réaliser des comblements structurels,
indispensables ou préférables pour permettre le remontage de l'objet et/ou assurer
son maintien. Cela peut consister à combler les tessons manquants de dimensions
importantes (en particulier s'ils se situent à des endroits porteurs) ou à combler les lignes
de cassure (en particulier lorsque les tranches de la céramique sont fortement usées).
• Améliorer sa compréhension : il peut s'agir d'aider le spectateur à mieux comprendre la
forme du vase, et donc sa fonction, ou bien son décor, ou encore dans certains cas son
état de conservation, certaines altérations, etc.
• Améliorer son apparence, c'est-à-dire atteindre une certaine unité potentielle : il est alors
question d'esthétique. L'unité potentielle est un concept défini par Cesare Brandi : les
ruines mises à part, toute oeuvre dégradée contient en elle les moyens de suggérer un
état plus complet, et la restauration permet de mettre en oeuvre cette potentialité.
25 Compréhension et unité potentielle sont souvent réunies sous la notion de « lisibilité » ou de
« lecture » de l'oeuvre (ou de l'objet). Ce terme est très employé16, mais il peut cependant
porter à controverse et est décrié par des auteurs comme Michel Favre-Félix ; en effet, comme
l'a souligné Daniel Arasse, une oeuvre ne se «  lit  » pas, car ses sens sont inépuisables17.
Je préférerai personnellement employer le terme « intelligibilité », dont la signification est
semblable, mais n'est pas à prendre en tant que métaphore.
26 Certaines restaurations de céramiques archéologiques permettent de mettre en évidence le
fait que compréhension et unité potentielle ne sont pas forcément entremêlées comme le
sous-entend la notion de lisibilité. Ainsi, la terrine de Tongres (cfr illustration 1) était
parfaitement compréhensible sans restauration : celle-ci est donc uniquement une question
d'unité potentielle. Par contre, dans le cas de la cruche ci-dessous, l'apparence n'est aucunement
améliorée par la restauration : la blancheur des comblements divise finalement davantage
l'objet qu'elle ne l'unit. La restauration permet d'une part de soutenir physiquement l'objet
(donc d'aider sa conservation), mais aussi de comprendre sa forme et sa fonction grâce à l'anse
reconstituée : sans elle, la plupart des spectateurs penseraient plutôt à une sorte de bouteille.

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Fig. 3 Cruche gallo-romaine

Cruche gallo-romaine, fin Ier-début IIe siècle AC, Musée archéologique d'Arlon (réserves, inv. GR/C46), 15 x 15 cm.
Crédit photographique :Ève Bouyer © Musée archéologique d'Arlon
27 La compréhension peut être mise en rapport avec les notions de manque et de lacune. D'après
des définitions de Ségolène Bergeon18, j'ai choisi de considérer ces deux concepts de la manière
suivante : la lacune porte atteinte à la compréhension, tandis que le manque est une perte de
matière sans incidence sur l'interprétation. Donc, si l'on réintègre un manque, ce sera dans
l'intention d'améliorer la conservation ou l'esthétique de l'objet ; la réintégration d'une lacune
pourra éventuellement être motivée par ces deux intentions, mais elle sera généralement liée
à une volonté d'améliorer la compréhension (que ce soit celle de la forme/fonction du vase
ou celle de son décor).

Le degré d'intervention : étendue et perceptibilité de la


restauration
28 Prenons d'abord la question de l'étendue de la restauration : la restauration d'un vase
archéologique peut se limiter à son simple remontage ou être étendue au comblement d'une
partie ou de l'entièreté des pertes de matière. Ainsi, il n'est pas rare de voir des vases présentant
des comblements situés uniquement au niveau de lignes de cassure ou bien au niveau des

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tessons manquants qui peuvent poser des problèmes structurels. En revanche, les pertes de
matières plus superficielles, telles que les éclats, fissures ou déplacages, ne sont que bien plus
rarement comblées ; les rares exceptions peuvent être constatées ou envisagées lorsqu'il y a
véritablement lacune. Ci-dessous, un exemple de simple éclat formant une lacune : on pourrait
penser, en particulier sur la photographie en noir et blanc, qu'un objet est posé sur la table,
donc ce simple éclat porte atteinte à la compréhension du décor.
Fig. 4 Plat apulien

Grand plat apulien, ca. 370-360 BC, Musée royal de Mariemont (inv. AC.77/6), 22 x 43 cm
Crédit photographique : Ève Bouyer © Musée royal de Mariemont
29 L'autre facteur du degré d'intervention est la perceptibilité même des comblements, c'est-à-
dire la façon dont le restaurateur différencie original et restauré à travers le rendu des formes,
couleurs et aspects de surface.
30 Par rapport au rendu des formes, j'ai noté  trois procédés différents :
• La stylisation, qui consiste en une simplification par suppression de détails. C'est un
procédé ancien, que l'on peut par exemple observer sur l'Arc de Titus, restauré par
Guiseppe Valladier entre 1819 et 1822 : les colonnes ajoutées ne présentent pas de
cannelures, ce qui permet de les distinguer des originales.
• Le retrait : d'un point de vue sémiologique, le comblement en retrait est censé rester
à l'arrière-plan, laissant ainsi l'original au premier plan. Mais un retrait physique n'est
pas forcément synonyme de retrait visuel, car, sous différents types d'éclairages, les
ombres et lumières crées par ce procédé peuvent attirer l'attention au point de distraire
le spectateur des parties originales.
• Le cerne : il s'agit comme pour le retrait d'une différence de niveau, mais qui se limite
ici aux contours du comblement, appuyant la limite physique entre original et restauré.
31 Le retrait et le cerne sont des procédés « voisins » : ils recourent tous deux à la différence de
niveau, ce qui crée des jeux d'ombres et de lumières que plusieurs restaurateurs estiment assez
dérangeants d'un point de vue esthétique. Mais ces ombres et lumières, décriées par certains,
sont aussi voire surtout une façon d'intégrer les comblements lorsque les lignes de cassure du
vase ne sont pas comblées : le retrait et le cerne prolongent alors le réseau de lignes de cassure
ce qui, parfois, donne une certaine lourdeur à la restauration et, dans d'autres cas, ne manque
pas de subtilité.

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Fig. 5 Cruche gallo-romaine

Cruche gallo-romaine, fin IIe-début IIIe siècle AC, Musée royal de Mariemont (inv. AC.65/54.5), 29 x 15 cm
Crédit photographique : Cécile de Chillaz © Musée royal de Mariemont
32 Le rendu des aspects de surface dépend des contrastes suivants : lissé/rugosité, transparence/
opacité et brillance/matité. Seul le troisième type de contraste sera ici abordé ; il pose bien des
difficultés dans le cas des vases à vernis noirs, dont l'apparence est très difficile à imiter. Dans
la grande majorité des cas, on trouvera sur ceux-ci des comblements noirâtres présentant une
brillance moindre par rapport aux vernis. Or, on peut constater que les différences de brillance,
même minimes, créent inévitablement des différences de clarté : comme le montre le cliché
ci-dessous, les comblements noirs et mats semblent par endroits trop clairs, et en d'autres, trop
sombres.

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Fig. 6 Amphore attique

Amphore attique, Ve siècle BC, Musée royal de Mariemont (inv. AC.564B), 20,5 cm de hauteur
Crédit photographique : Ève Bouyer © Musée royal de Mariemont
33 Les comblements plus brillants que l'original sont par contre très rares. Un seul exemple
a été relevé lors de mes recherches : il s'agit du cratère dit «  de Kyknos  », attribué à
Euphronios et conservé au Metropolitan Museum of Art (New York), dont il ne reste en
fait que quelques fragments, mais dont la forme a été entièrement complétée. Un premier

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restaurateur19 avait souhaité suggérer la brillance originale de l'objet à travers les comblements,
ce qui constituait une démarche intéressante d'un point de vue didactique, car il est vrai qu'on
se rend difficilement compte à quel point ces vernis noirs sont aujourd'hui patinés. Cependant,
quelques années plus tard, on est revenu sur ce choix : le nouveau restaurateur20 a estimé que
cette intervention détournait l'attention des spectateurs, qu'elle les empêchait de se concentrer
sur les fragments originaux.
34 La question de la couleur ne sera que peu décrite dans cet article, car c'est celle qui demande
le plus de développements. On peut souligner le fait que pour bien des restaurateurs, les
comblements doivent nécessairement être plus clairs que l'original (ou éventuellement de
clarté semblable). Selon Suzan Buys et Victoria Oakley, des comblements plus foncés
risquent de ressembler à des pertes de matière21. C'est un fait. Mais finalement, cela doit-il
nécessairement être évité dans tous les cas de figure ? Cette idée de clarté du comblement
provient de l'expérience de certains restaurateurs, mais il faudrait étudier sérieusement cette
question en fonction de nombreux paramètres (quantité et formes des pertes de matière,
couleurs de la céramique, etc.). On parle beaucoup de cette question de la clarté, sans aborder
celles de la teinte et de la vivacité des comblements, or, elles sont tout aussi importantes.
35 Il est aussi indispensable de préciser que les couleurs peuvent être rendues soit de manière tout
à fait unie, soit à l'aide d'un procédé de modulation tel que la technique dite des « petits points ».
Quelques auteurs22 semblent considérer que les petits points pourraient être à la céramique
archéologique ce que le trattegio est à la peinture italienne. Cependant, il serait absurde de les
employer de manière systématique : ils sont peut-être particulièrement intéressants pour des
objets très incomplets et/ou pour des objets dont les couleurs originales sont bigarrées ?
36   Il existe donc de nombreux procédés pour rendre une restauration perceptible et chacun
mériterait des recherches approfondies. Un vieil adage voudrait que des goûts et des couleurs
il ne soit pas discuté, mais la discipline de la conservation-restauration aurait certainement
tout à y gagner en matière d'objectivité.

Conclusion
37 Il semble évident que la perceptibilité d'une restauration dépend beaucoup du parcours du
restaurateur, sa « culture » en matière de restauration, ses rencontres professionnelles, son sens
de l'observation dans les musées et expositions, etc. En effet, au cours de nos formations, nous
sommes probablement bien mieux entraînés à sélectionner des matériaux qu'à choisir un degré
d'intervention : nous nous en remettons souvent à notre propre « sensibilité ». Cela semble
être un reliquat de l'époque où le restaurateur n'était pas encore conservateur : aux origines, il
était avant tout un artiste doté d'une certaine sensibilité vis-à-vis des arts anciens.
38 Nous possédons peu de repères théoriques en matière de restauration perceptible de la
céramique (archéologique comme moderne) : les ouvrages de référence23 disent peu de choses
à ce sujet. En France, d'intéressantes enquêtes de type sociologique ont été réalisées afin
d'étudier la perception du public24, mais pour l'instant, il ne semble pas y avoir eu de véritable
recherche expérimentale. Ce genre de recherche pourrait par exemple nous amener à collaborer
avec des spécialistes de la perception visuelle, de la couleur et de la lumière, à réaliser des
simulations à l'aide de programmes de réalité virtuelle ou encore à mettre au point des enquêtes
sociologiques à large échelle.
39 En attendant que des outils théoriques ou informatiques puissent nous aider à objectiver nos
choix, il est important de rester conscient de la subjectivité de nos actions et de l'étendue
des possibilités. Observer et « ressentir » des restaurations venant de différentes régions et
époques, et chercher à en comprendre les tenants et aboutissants, constitue à l'heure actuelle
la meilleure manière de se forger un regard critique.

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Quelques pistes de réflexion sur la restauration perceptible des vases céramiques antique 12

Notes
1  Cela remonte aux recueils de céramiques du Comte de Caylus (1692-1776), l'un des premiers érudits
à s'être intéressé aux fragments en tant que tels. Cela peut sans doute être mis en parallèle avec l'intérêt
porté aux ruines architecturales, qui grandira tout au long du XIXe siècle, notamment à travers le courant
romantique.
2  Celui-ci a restauré des vases en céramique et en pierre, tels que le célèbre vase Warwick, aux alentours
de 1775.
3  MILANESE Andrea, “ ‘Pour ne pas choquer l’oeil’. Raffaele Gargiulo e il restauro di vasi antichi
nel Real Museo du Napoli: apzioni di metodo e ocillazioni di gusto tra 1810 e 1840”, dans D’Alconzo,
Paola, Gli Uomini e le Cose : Figure di restauratori e cas di restauro in Italia tra VIII e XX secolo, Atti
del Convegno Nazionale di Studi, Naples, 18-20 avril 2007, p. 81.
4  BERNARD Marie-Amélie, Francesco Depoletti (1779-1854), artiste et restaurateur de vases antiques
à Rome vers 1825-1854, dans TECHNE, n°27-28, 2008, p. 81.
5   FAVRE-FELIX Michel, Ambiguïtés, erreurs et conséquences : «  Rendre l'oeuvre lisible  », dans
CeROArt (en ligne), 3/2009, mis en ligne le 21 avril 2009, p. 3, § 14.
URL : http://ceroart.revues.org/index1140.html
6  La seule occurrence que j'ai rencontrée se trouve dans un syllabus de Muriel Verbeeck, professeur
à l'E.S.A. Saint-Luc de Liège : VERBEECK-BOUTIN Muriel, Déontologie de la Conservation-
Restauration, non publié, année académique 2009-2010, p. VI-2.
7  BOUYER Eve, « La problématique de la restauration perceptible en céramique. Réflexions sur les
approches et procédés à travers des exemples de vases antiques », mémoire de fin d'études présenté à
l'ENSAV La Cambre, année académique 2009-2010.
8  DRIESMANS Dominique, Les principes de Cesare Brandi appliqués à la conservation-restauration
de la céramique et du verre : progression, évolution, révolution, dans GESCHE-KONING Nicole
et PERIER-D'IETEREN Catheline (éd.), Cesare Brandi (1906-1988) : Sa pensée et l'évolution des
pratiques de restauration, Série spéciale des Annales d'Histoire de l'Art et Archéologie de l'ULB, cahier
d'études X, p. 113.
9   A titre d'exemple, on peut prendre la politique du Service de l'Archéologie du Service Public
de Wallonie : leurs céramiques non destinées à l'exposition reçoivent uniquement des comblements
structurels avec des matériaux non colorés (laissés blanchâtres), tandis que celles qui sont présentées
lors d'expositions sont souvent davantage comblées et surtout, les comblements reçoivent une couleur
proche de la couleur originale.
10 VERBEECK-BOUTIN Muriel, De l’axiologie, CeROArt (en ligne), 4/2009, mis en ligne le 29
octobre 2009. URL : http://ceroart.revues.org/index1298.html.ID., « Penser les pratiques après Cesare
Brandi  » dans Art d’aujourd’hui, patrimoine de demain. Conservation et restauration des œuvres
contemporaines, 13e journées d’études de la SFIIC, 24-26 juin 2009, Paris, SFIIC, 2009. ID. , Cours de
Déontologie de la Conservation-Restauration, année académique 2009-2010, p. I-5.
11 BERDUCOU Marie, Brandi, l'oeuvre d'art et 'tout le reste', dans GESCHE-KONING Nicole
et PERIER-D'IETEREN Catheline (éd.), Cesare Brandi (1906-1988) : Sa pensée et l'évolution des
pratiques de restauration, Série spéciale des Annales d'Histoire de l'Art et Archéologie de l'ULB, cahier
d'études X, pp. 35-52.
12  On notera cependant que certains objets – parfois dits « d'apparat » - n'ont jamais rempli les fonctions
qui correspondent à leurs formes.
13  Ainsi, des décors de vases à figures rouges ont été repris dans des productions de la manufacture de
Wedgewood ou encore dans des dessins de Gustav Klimt.
14  La première restauration fut réalisée dans les ateliers du Musée du Cinquantenaire et la seconde par
des étudiants de La Cambre.
15 VERBEECK-BOUTIN Muriel, « L’œuvre du temps. Réflexion sur la conservation et la restauration
des objets d’art», Images re-vues, n°4, 2007. http://www.imagesrevues.org/Article_Archive.php?
id_article=27 . ID, De l’axiologie, CeROArt (en ligne), 4/2009, mis en ligne le 29 octobre 2009. URL
: http://ceroart.revues.org/index1298.html. ID, Cours de Déontologie de la Conservation-Restauration,
ESA Saint-Luc de Liège, année académique 2009-2010, p. I-5.
16   Et pour cause, il a été repris dans le titre du   colloque «  Lisibilité de l'oeuvre, visibilité de la
restauration ».
17  FAVRE-FELIX Michel, op. cit., p. 2, § 4.

CeROArt, 6 | 2010
Quelques pistes de réflexion sur la restauration perceptible des vases céramiques antique 13

18  BERGEON-LANGLE Ségolène, De l'usure au manque, de la réintégration au comblement, dans


BUYLE Marjan (ed.), La problématique des lacunes en conservation-restauration, postprints des
journées d'études internationales de l'APROA-BRK, Bruxelles, 2007, pp. 7-9.
La lacune est décrite comme une “interruption d’un texte ou d’une image (...) qui est de l’ordre
essentiellement de l’esprit, de la compréhension, contrairement à une fente ou une déchirure qui ne
sont qu’une simple interruption physique (...) et ne sont pas prises en compte par l’esprit comme des
ruptures : la portée du mot lacune est plus intellectuelle que physique : la lacune risque de faire perdre
son sens, sa signification à l’oeuvre qu’elle a atteinte, elle laisse une marge d'interprétation lors de la
réception de l’oeuvre.”
Le manque est quant à lui une “perte d’éléments du support sans incidence sur l’image (...), perte
d’éléments du support porteur d’images (...), perte du matériau de support dans toute son épaisseur sur la
périphérie de l’oeuvre par suite d’une négligence (...), pertes généralisées de couleur et de préparation.”
19   BAROV Zdravko, The Reconstruction of a Greek Vase: the Kyknos Krater, dans Studies in
Conservation, n° 33, 1988, pp. 165-177.
20  ELSTON Maya, A Corrective Treatment on a 6th Century BC Attic Krater, dans PATERAKIS Alice
B. (éd.), Glass, Ceramics and Related Materials: Intermim Meeting of the ICOM-CC Working Group,
Vantaa, 1998, pp. 106-114.
21  BUYS Suzan et OAKLEY Victoria, The Conservation and Restoration of Ceramics, Oxford, 1993,
p. 140.
« (...)the tone is generally kept lighter rather than darker (...) to avoid the retouched areas appearing
as lacunae »
22   BANDINI Giovanna, “About ‘Chromatic Question’ of Lacunae in Decorated Ceramics”, dans
Couleur & temps : La couleur en conservation et restauration, Actes des journées d’étude de la SFIIC,
(Paris 22-24 juin 2006), Paris  : SFIIC, 2006, p.  97-103. GIBOTEAU Yvonne, ZUMSTEIN Isabelle
et VINÇOTTE,Armand, “Considération sur la restauration des céramiques archéologiques, notamment
sur la restitution de la couleur”, dans Conservation restauration des biens culturels : La conservation
préventive, Acte du 3e colloque international de l’ARAAFU, Paris, 1992, p. 12-14.
GIBOTEAU Yvonne, “Proposition de réintégration picturale sur des céramiques archéologiques”, dans
Conservation-restauration des biens culturels, XIe Journées des restaurateurs en archéologie, cahier
technique n° 2, 1996, p. 15.
23  On citera les deux ouvrages suivants, qui apparaissent dans de très nombreuses bibliographies :
BERDUCOU Marie, “La céramique archéologique”, dans La conservation en archéologie : Méthodes et
pratiques de la conservation des vestiges archéologiques, Paris : Masson, 1990, p. 78-119. BUYS Suzan,
OAKLEY Victoria, The Conservation and Restoration of Ceramics, Oxford : Butterworth-Heinemann,
1993, p. 119-149.
24  PAÏN Silvia, “La restauration archéologique et sa lisibilité : une démarche de consultation du public”,
dans Visibilité de la restauration, lisibilité de l’oeuvre, Acte du 5e colloque de l’ARAAFU, Paris, 2003,
p. 295-31. GUILLEMARD Denis, “Paroles de visiteurs, autour de l’exposition ‘Autour du pot’”, dans
Conservation-restauration des biens culturels : Pourquoi restaurer les céramiques ?, cahier technique
n° 11, p. 43-48. L’HOSTIS Eléonore, “Enquête menée au Musée national de la céramique de Sèvres : la
perception des céramiques restaurées”, dans Conservation-restauration des biens culturels, n° 25, 2007,
p. 45-54.

Pour citer cet article


Référence électronique
Ève Bouyer, « Quelques pistes de réflexion sur la restauration perceptible des vases céramiques
antiques »,  CeROArt [En ligne], 6 | 2010, mis en ligne le 17 novembre 2010. URL : http://
ceroart.revues.org/index1618.html

Ève Bouyer
Diplômée en Histoire de l'art et Archéologie (Université de Liège) et en Conservation-restauration
de la céramique et du verre (École Nationale Supérieure des Arts Visuels de la Cambre), Ève Bouyer
centre ses réflexions sur la terminologie, la déontologie et la perceptibilité de la restauration.

CeROArt, 6 | 2010
Quelques pistes de réflexion sur la restauration perceptible des vases céramiques antique 14

Droits d'auteur
© Tous droits réservés

Résumé / Abstract

 
En restauration de céramique, il existe un grand nombre de procédés permettant de rendre
une restauration perceptible. Le choix de l'un ou l'autre de ces procédés dépend beaucoup du
restaurateur : la formation, l'entourage professionnel, les goûts et les intentions de celui-ci le
porteront vers certains procédés plutôt que d'autres.
Mots clés :  musée, archéologie, céramique, perceptible, restauration

 
The restoration of ceramics provides a wide variety of ways enabling to make a restoration
perceptible. The choice of one of this ways relies much on the conservator: his/her training
and education, the people he/she works with, his/her taste and preferences will lead him/her
towards some process instead of others.
Keywords :  muséum, archaeology, ceramics, perceptible, restoration

ndlr : E.N.S.A.V. La Cambre à Bruxelles – Contact : Dominique Driesman

CeROArt, 6 | 2010

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