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Le Voile prend la Flamme : quel avenir pour la démocratie

turque?
La triade sacrée[1] de l’État Turc, s’est levée pour barrer la route vers
l’islamisation: interdiction de l’action politique, de liberté d’expression,
«l’erreur systématique», le pittoresque … une panoplie à la démocratie
en Anatolie.

Une procédure contre le parti au pouvoir en Turquie et leurs dirigeants à été


déposé le 14 mars. Le procureur général de la cour de cassation d’Ankara,
Abdurrhamam Yalçinkaya, envisage d’interdire toute l’activité politique de
l’AKP[2]. Parmi les dirigeants visés il y a le président de la république Abdullah
Gül, le premier ministre Erdogan, le vice-premier ministre Dengir Firat et l’ancien
président du parlement Bülent Arinç.

Le 31 mars, la cour constitutionnelle à jugé recevable sur la forme la demande


d’interdiction. La décision à été prise à l’unanimité des onze juges. Le verdict
prend plusieurs mois mais, cette décision lance formellement le procès à
l’encontre de l’AKP.

Les propos sont alarmistes et annoncent la prochaine déstabilisation politique en


Turquie. La démocratie dans le pays se joue en deux champs avec de logiques
différentes. Les leaders de du parti, pour leur part, affirment que leur légitimité
électorale est indiscutable. Leurs initiatives constitutionnelles envisagent la
normalisation et modernisation du pays. De l’autre champ, joue la stratégie de
l’establishment et s’indigne de l’action gouvernementale sur la nécessité de
garantir l’intégrité de la république. Pour ceux, qui se considèrent l’élite de l’État,
le discours incantatoire de l’AKP, qui invoque la démocratie et les standards
européens n’est que l’artifice d’un parti ‘crypto-islamiste’ ayant comme but
changer la république et instaurer la charia. L’explication donné pour le succès
électoral du parti, il ne serait pas, pour eux, que l’effet du populisme usé par cette
formation pour circonvenir une population mal éduquée et marquée par les
traditions religieuses.

La crainte que les deux champs peuvent utiliser des moyens plus radicaux est
croissante. On remarque d’ailleurs, que le combat juridique mené quitte le terrain
des principes pour servir des procédures dont l’objectif est frapper l’adversaire. La
compréhension des événements passe par l’observation du rapport de force
politique, la perception de l’enjeu que représente la légitimité juridique et
l’analyse du contexte internationale économique et politique dans lequel
s’inscriront les développements.

L’action juridique est considérée comme un « choc »[3] et « spectaculaire »[4],


sans précédent par l’ampleur des bouleversements qu’elle entraînerait à la tête
du pays. Il s’agit d’un contexte particulier, voire original, un séisme politique qui
irait bien au-delà des précédentes fermetures de partis politiques. Le premier
ministre dans un meeting a réagi ‘Je vous avais dit que le chemin serait long et
étroit, mais personne ne pourra nous faire dévier de ce chemin’ et ajoute ‘Ce
procès ne vise pas l’AKP, mais plutôt la détermination nationale, alors que nous
avançons dans la direction montrée par le Mustafa Atatürk, vers l’Union
européenne’[5]. Le vice premier ministre Firat à affirmé que ‘la cible n’est pas
l’AKP, mais la démocratie et la volonté du peuple turc’ ‘Cette tentative soulève
des questions sur l’état de notre démocratie’ a-t-il poursuivi. ‘Il s’agit de la plus
grande injustice commise contre la Turquie, notre démocratie, la volonté de notre
nation, notre paix et notre stabilité, notre prestige dans le monde’[6]. À l’abri
derrière ses 46,6% aux législatives de juillet 2007, l’AKP se pose d’emblée en
garant de la légalité. Sa légitimité le donne le statu de sauveur de la démocratie
qu’est à même instar paradoxal l’accuser de mener le djihad. Le contexte semble
anecdotique, le parti d’une majorité parlementaire absolue, élu
démocratiquement, qui engendre des réformes démocratiques, risque d’être
interdit de toute activité politique par un pilier juridique légal que de façon légal
peut le faire. Quel terrain pour la démocratisation? « Complot pour instaurer la
charia », cette déclaration signifie la fin de la laïcité, comme l’accuse de procureur
dans sa plainte. Mais pour le journaliste Mehmet Altan, ces poursuites ne
s’expliquent ‘ni par des raisons politiques, ni par des raisons sociologiques, ni par
de raisons économiques, mais par le simple fait que l’appareil kémaliste (cœur et
défenseur autoproclamé de ce « système ») refuse de laisser le pays sous l’entier
contrôle de ce parti issu de la mouvance islamiste.[7]’Le dossier présenté égrène
les indices de la dérive fondamentaliste : vote de l’amendement libéralisant le
voile à l’université, tentative de créer des zones urbaines « sans alcool », refus
par certaines mairies d’afficher des publicités montrant des femmes en maillot de
bain, transport gratuit de lycéennes voilées dans des établissements
confessionnels ou encore déclarations d’élus promettant d’élargir l’autorisation du
port du voile à la fonction publique. À par ces dérives, le procureur a trié 61
extraits de discours d’Erdogan et compare l’ascension de l’AKP à celle des Nazis
dans les années 30.

La suite, bientôt le président de la république, visé dans le dossier mais non


considéré par la cour parce qu’il n’est plus membre du parti, pourra nommer des
personnalités moins kémalistes aux plus hautes positions juridiques, notamment
dans les hautes cours du pays. Cette étape pourrait être la fin de la république
laïque, craint l’establishment kémaliste. Selon le quotidien Milliyet, trois options
sont possibles pour l’AKP. Selon ces choix, le parti peut s’orienter vers une
conciliation avec l’opposition pour changer la constitution afin de rendre plus
difficile l’interdiction d’un parti politique. En second lieu, peut organiser un
référendum pour l’amendement des articles 68 et 69 de la constitution afin
d’éviter la fermeture et, troisième, laisser tomber le changement constitutionnel
et se défendre devant la justice. La décision finale de la cour sera prise par 7 voix
sur 11 membres dans quelques mois.[8]

Toute l’opposition politique, hormis le CHP[9], dénonce elle aussi l’absurdité de ce


« déni de démocratie ». Il n’est pas trop tard pour éviter que la Turquie plonge
dans le chaos, mais pour les défenseurs de la laïcité, prêts à renoncer à la
stabilité de leurs institutions, il est surtout encore temps de barrer la route à
l’islamisation.
La défense de l’AKP repose sur le chemin entamé vers une démocratisation
proche du modèle occidental. ‘Le parti refuse ces accusations et affirme que la
plainte répond à des motivations politiques. L’initiative de M. Yalçinkaya a
alimenté les tensions entre les défenseurs les plus intransigeants de la laïcité et
les partisans du gouvernement, favorables d’avantage de libertés religieuses. La
cour constitutionnelle est le dernier théâtre d’affrontement en date entre l’AKP,
issu de l’islam politique, et les élites laïques de la Turquie. L’AKP affirme
cependant avoir rompu avec l’islam politique et se définit comme un parti
démocrate conservateur. Les milieux pro-laïcité, très influents au sein de l’armée,
de la magistrature et de certaines administrations, l’accusent néanmoins de
vouloir islamiser le pays en catimini.’[10]

Les reformes mises en place depuis 2002 sont le miroir des idées du parti et des
leaders: les droits élargis pour les minorités ; l’autorisation de programmes
audiovisuels en langue kurde et possibilité d’apprendre en privé la langue kurde ;
la liberté d’expression et d’association a été étendue ; limitation de la répression
des manifestations publiques ; élargissement des droits des instances religieuses
non musulmanes ; droit à critiquer les forces armées et les autres piliers de l’État
turc[11]. La mise en œuvre de ces réformes a été toutefois heurtée aux
résistances de l’appareil d’État. Même si d’une façon lente, les réformes politiques
en Turquie avancent et le gouvernement à promis à L’Union Européenne
d’accélérer l’amendement de l’article 301 du code pénal. Cet article, qui est un
entrave aux négociations et que l’Union depuis longtemps demande sa
suppression ou sa modification, sert de base pour poursuivre les intellectuels
accusés d’activités ou de discours « antiturcs ». Le commissaire européen à
l’Élargissement a salue cette nouvelle initiative du gouvernement turc ‘c’est une
bonne nouvelle d’entendre que le parlement turc veut amender des articles du
code pénal relatifs à la liberté d’expression, c’est une bonne nouvelle pour la
Turquie et sa perspective européenne.’[12] Encore une autre réforme que va
enflammer la vie politique turc, parce que, les opposants du gouvernement,
auparavant pro-européens, sont maintenant la source de l’euroscepticisme.

Les réactions internes sont toutes dans le même sens. L’association d’industriels
et entrepreneurs turcs Tüsiad a appelé le pays à éviter la polarisation politique et
a demandé à chaque parti de rester détaché des principes intrinsèques de leur
démocratie, à savoir, la règle de droit et la séparation des pouvoirs. Midhart
Sancar, juriste proche de la gauche libérale, estime que ‘cette procédure, qui est
clairement une opération politique, vise moins à éliminer l’AKP qu’à le discipliner
en lui montrant les limites à ne pas franchir et à attiser les conflits internes au
parti.’[13]Le politologue Soli Özel, dans un entretien au Le Monde, affirme que la
défense de la laïcité héritée du kémalisme constitue l’angle d’attaque choisi par le
procureur. Le souci est sérieux, à condition qu’il ne masque pas un « laïcisme »
qui ne serait qu’une forme de « baasisme à la turque », comparable aux régimes
autoritaires qui ont émergé dans l’ancien Empire ottoman et qui n’ont jamais été
des modèles de vertu démocratique.[14] Ali Babacan, le chef de la diplomatie
turque, considère que le gouvernement a beaucoup fait dans le domaine de
l’économie, beaucoup en termes de démocratisation, et qu’il est maintenant très
évident qu’il faudra engager des réformes au sein du système judiciaire. « Tous
les problèmes que nous observons viennent du fait que nous n’avons pas mené
de réformes dans plusieurs domaines, et les problèmes proviennent de ces
domaines », a déclaré Ali Babacan. Les démêlés judiciaires de l’AKP sont
interprétés par certains observateurs comme la résistance d’une élite urbaine
laïque, très influente dans le système judiciaire, face à la montée en puissance
d’une nouvelle classe moyenne conservatrice, représentée par l’AKP. Cengiz
Çandar qui, comme nombre d’intellectuels libéraux, ne cache pas sa déception
concernant l’AKP, écrivait : « La principale accusation concrète reste la levée de
l’interdiction du foulard dans les universités, soutenue d’ailleurs par une
écrasante majorité de l’opinion. Ce fut le détonateur de la crise. Après son
triomphe électoral de juillet, l’AKP, plutôt que de relancer les réformes, s’est
concentré sur cette revendication symbolique, qui représente un chiffon rouge
pour le camp laïque. Il faut se demander aussi comment ce parti a pu à ce point
s’enferrer » (Libération). Si le parti AKP a été reconduit au pouvoir en 2007,
constate à nouveau le politologue, Soli Özel, porté par les couches populaires,
c’est incontestablement parce que son bilan a plaidé en sa faveur - stabilité
politique, réforme en profondeur de l’économie - mais aussi parce qu’il a affiché
sa volonté de s’arrimer à l’espace européen.

À l’internationale, les réactions se font en faveur du parti et leurs leaders.


« Cette procédure porte un grand coup aux relations entre l’UE et la Turquie »,
estime Amanda Akçakoca, de l’European Policy Centre, à Bruxelles prévoyant que
les négociations d’adhésion à l’UE entamée par Ankara il y a trois ans risquent
d’être sérieusement perturbées.[15] D’après les principes du Conseil de l’Europe,
reconnus par la Turquie, un parti ne peut être interdit que s’il appelle à la violence
ou cherche à transgresser l’ordre constitutionnel. Le chef de la diplomatie
allemande Frank-Walter Steinmeier, tout en se disant inquiet, a appelé le
gouvernement turc à maintenir le cours de ses réformes. « Il est important que
dans la situation actuelle, la direction politique de la Turquie active avec
détermination le rapprochement du pays avec l’Union européenne ».[16]

L’Union Européenne a été, naturellement, l’acteur international que plus a réagit


aux événements. Le commissaire européen à l’Elargissement, Olli Rehn, a
dénoncé la décision de demande recevable prise par la cour constitutionnelle.
Selon le commissaire, il y a plus en jeu que la question du pouvoir : ‘Dans une
démocratie européenne normale, ces sujets politiques doivent être débattus au
parlement et tranchés par les urnes, pas par les tribunaux.’[17]Une déclaration
claire que manifeste le positionnement vis-à-vis la condamnation de la décision de
la cour. Olli Rehn a affirmé qu’une telle mesure seulement est justifiable dans un
cadre ou les partis revendiquent et manifestent la violence comme recours pour
renverser l’ordre constitutionnelle démocratique. Il a remarqué que dans cet
affaire n’était pas le cas. Néanmoins, il a suggéré et averti à la nécessité de
résoudre cette question par une réforme profonde. Selon lui, l’affaire est
révélatrice d’une « erreur systématique » du régime turc et que seulement un
amendement constitutionnel pourrait résoudre le problème. Le premier ministre
slovène, Janez Jansa, président tournant du Conseil de l’Union européenne, lui
aussi s’est manifesté contre la forme comme les institutions juridiques turques
interprètent la laïcité, en l’attribuant plus d’importance qu’au choix du peuple.
Manuel Barroso à de sa part, accentué les critiques de la Commission à l’égard de
la décision de la cour. ‘Nous sommes préoccupés par l’évolution récente, qui est
hors du commun. Il n’est pas normal qu’un parti choisi par la majorité du peuple
soit soumis à cette procédure.’[18], a affirmé, en ajoutant ‘j’espère que la Cour
prendra une décision sur la base du droit et de la démocratie. Cela pourrait avoir
un impact majeur sur la manière dont la Turquie est vue par l’Union. On ne peut
pas imposer la laïcité par la force’[19], rappelant que ‘l’Union ne peut accepter
qu’une Turquie démocratique’[20]. Le principe de non-ingérence n’a pas été
respecté par l’Union européenne et ses dirigeants. C’est du fait de se mêler trop
dans les affaires internes du pays, que les manifestants contre le gouvernement
et Barroso, se sont produit pendant sa visite. Ils accusent l’UE et les EU de mettre
en cause la souveraineté nationale. ‘C’était officiellement le rassemblement « de
la souveraineté nationale », c’est-à-dire pour l’indépendance vis-à-vis de l’Union
européenne et des Etats-Unis, accusés de se mêler trop des affaires intérieures
de la Turquie.’[21]

Si comme observateur distant, on a de contingences sur la l’adhésion de la


Turquie à l’UE, parce qu’il a des questions comme le Chypre, les kurdes, la
géographie, les millions de potentiels immigrés ; est-ce qu’en réalité à l’interne,
démocratique et institutionnellement est-elle prête au bon élève?
[1] Forces armées, haute administration, parti-État kémaliste (CHP).

[2] Parti de la Justice et Développement.

[3] Journal Milliyet


[4] Journal Hürriyet
[5] Expressions proférées par Erdogan le lendemain de la décision de la cour suprême à Siirt (sud-
est), circonscription où il y a 5 ans il a été élu député. Retiré du site de l’Union des Démocrates
Turcs Européens : http://www.turquieeuropeenne.eu

[6] http://tf1.lci.fr/infos/monde/moyen-orient/0,,3777973,00-erdogan-akp-dans-viseur-cour-
cassation-.html

[7] http://ovipot.blogspot.com/2008/02/la-cour-constitutionnelle-turque-et-la.html; blog de


l’Observatoire de la Vie Politique Turque (OVIPOT).

[8] Source : http://www.centpapiers.com


[9] L’actuel parti d’opposition CHP (Parti Republican du Peuple) et membre de l’International
Socialiste, se dit l’héritier et incorporateur des principes laïques, qui gouvernent les plus hautes
institutions turques depuis 1923.

[10] http://www.lemonde.fr/europe/article/2008/03/31/

[11] Source: http://fr.wikipedia.org

[12] AGENCE EUROPE.

[13] http://www.liberation.fr/actualite/monde/318692.FR.php

[14] http://www.lemonde.fr/opinions/article/2008/04/01/demons-turcs_1029606_3232.html

[15] http://www.liberation.fr/actualite/monde/318692.FR.php
[16] Idem.

[17] http://www.euractiv.com/fr/elargissement/interdiction-akp-ue-rejette-decision-cour-
turque/article-171241

[18] AGENCE EUROPE.


[19] Idem.
[20] Ibidem.
[21] http://www.wikio.fr/international/europe/turquie/akp?wfid=52840449

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