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Guy Debord

Del Surrealismo

La biblioteca di Omar Wisyam

Volume n. 14
Del Surrealismo

Vagabondage spécial

Écœurants et fornicatoires comme un couple d’inspecteurs en


civil, Dédé Breton et le Soulèvement de la jeunesse continuent
un flirt assez poussé. Cela avait commencé par un article d’un
certain François Du… dans le bulletin d’informations
surréalistes ; cela doit continuer par la collaboration de Dédé-
les-Amourettes au Soulèvement.

Quand Beylot remplace Nadja, le voilà l’amour fou… En 1927,


les surréalistes demandaient la liberté de Sacco et Vanzetti ; en
1953 ils se commettent avec une publication qui tire ses
subsides des Renseignements généraux et de l’Ambassade
américaine.

Les Lettristes écrivaient déjà en 1947 : «… d’ailleurs Breton


n’a jamais prétendu être un bon stratège : il s’est offert, lui et sa
génération, à toutes les croyances, à tous les espoirs, à toutes
les boutiques. On n’a pas su le prendre et il est resté.»

Mais les faits et gestes du vieux beau sur le retour ne nous


intéressent plus. Il n’est pas question de mettre en cause le
Surréalisme de l’âge d’or. Il faut seulement séparer certaines
valeurs déjà historiques de l’activité sénile du partisan chauve
du maccarthysme, de l’actionnaire de l’assassinat des
Rosenberg.

Internationale lettriste
Internationale lettriste no 3, août 1953.

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Le Grand Sommeil et ses clients

«Les autres peintres, quoi qu’ils en pensent, instinctivement se


tiennent à distance des discussions sur le commerce actuel.»
Dernière lettre de Vincent Van Gogh.

«Il est temps de se rendre compte que nous sommes capables


aussi d’inventer des sentiments, et peut-être, des sentiments
fondamentaux comparables en puissance à l’amour ou à la
haine.»
Paul Nougé, Conférence de Charleroi.

Les misérables disputes entretenues autour d’une peinture ou


d’une musique qui se voudraient expérimentales, le respect
burlesque pour tous les orientalismes d’exportation,
l’exhumation même de «traditionnelles» théories numéralistes
sont l’aboutissement d’une abdication intégrale de cette avant-
garde de l’intelligence bourgeoise qui, jusqu’à ces dix dernières
années, avait concrètement travaillé à la ruine des
superstructures idéologiques de la société qui l’encadrait, et à
leur dépassement.

La synthèse des revendications que l’époque moderne a permis


de formuler reste à faire, et ne saurait se situer qu’au niveau du
mode de vie complet. La construction du cadre et des styles de
la vie est une entreprise fermée à des intellectuels isolés dans
une société capitaliste. Ce qui explique la longue fortune du
rêve.

Les artistes qui ont tiré leur célébrité du mépris et de la


destruction de l’art ne se sont pas contredits par le fait même,
car ce mépris était déterminé par un progrès. Mais la phase de
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destruction de l’art est encore un stade social, historiquement


nécessaire, d’une production artistique répondant à des fins
données, et disparaissant avec elles. Cette destruction menée à
bien, ses promoteurs se trouvent naturellement incapables de
réaliser la moindre des ambitions qu’ils annonçaient au-delà
des disciplines esthétiques. Le mépris que ces découvreurs
vieillissants professent alors pour les valeurs précises dont ils
vivent — c’est-à-dire les productions contemporaines au
dépérissement de leurs arts — devient une attitude assez
frelatée, à souffrir la prolongation indéfinie d’une agonie
esthétique qui n’est faite que de répétitions formelles, et qui ne
rallie plus qu’une fraction attardée de la jeunesse universitaire.
Leur mépris sous-entend d’ailleurs, d’une manière
contradictoire mais explicable par la solidarité économique de
classe, la défense passionnée des mêmes valeurs esthétiques
contre la laideur, par exemple, d’une peinture réaliste-socialiste
ou d’une poésie engagée. La génération de Freud et du
mouvement Dada a contribué à l’effondrement d’une
psychologie et d’une morale que les contradictions du moment
condamnaient. Elle n’a rien laissé après elle, sinon des modes
que certains voudraient croire définitives. À vrai dire, toutes les
œuvres valables de cette génération et des précurseurs qu’elle
s’est reconnus conduisent à penser que le prochain
bouleversement de la sensibilité ne peut plus se concevoir sur
le plan d’une expression inédite de faits connus, mais sur le
plan de la construction consciente de nouveaux états affectifs.

On sait qu’un ordre de désirs supérieur, dès sa découverte,


dévalorise les réalisations moindres, et va nécessairement vers
sa propre réalisation.

C’est en face d’une telle exigence que l’attachement aux


formes de création permises et prisées dans le milieu

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économique du moment se trouve malaisément justifiable.


L’aveuglement volontaire devant les véritables interdits qui les
enferment emporte à d’étranges défenses les «révolutionnaires
de l’esprit» : l’accusation de bolchevisme est la plus ordinaire
de leurs requêtes en suspicion légitime qui obtiennent à tout
coup la mise hors la loi de l’opposant, au jugement des élites
civilisées. Il est notoire qu’une conception aussi purement
atlantique de la civilisation ne va pas sans infantilisme : on
commente les alchimistes, on fait tourner les tables, on est
attentif aux présages.

En souvenir du Surréalisme, dix-neuf imbéciles publiaient ainsi


récemment contre nous un texte collectif dont le titre nous
qualifiait de «Familiers du Grand Truc». Le Grand Truc, pour
ces gens-là, c’était visiblement le marxisme, les procès de
Moscou, l’argent, la République chinoise, les Deux Cents
familles, feu Staline, et en dernière analyse presque tout ce qui
n’est pas l’écriture automatique ou la Gnose. Eux-mêmes, les
Inconscients du Grand Truc, se survivent dans l’anodin, dans la
belle humeur des amusements banalisés vers 1930 Ils ont
bonne opinion de leur ténacité, et peut-être même de leur
morale.

Les opinions ne nous intéressent pas, mais les systèmes.


Certains systèmes d’ensemble s’attirent toujours les foudres
d’individualistes installés sur des théories fragmentaires,
qu’elles soient psychanalytiques ou simplement littéraires. Les
mêmes olympiens alignent cependant toute leur existence sur
d’autres systèmes dont il est chaque jour plus difficile d’ignorer
le règne, et la nature périssable.

De Gaxotte à Breton, les gens qui nous font rire se contentent


de dénoncer en nous, comme si c’était un argument suffisant, la

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rupture avec leurs propres vues du monde qui sont, en fin de


compte, fort ressemblantes.

Pour hurler à la mort, les chiens de garde sont ensemble.

G.-E. DEBORD
Potlatch no 16, 26 janvier 1955.

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Un médium à l'eau de Vichy

La revue surréaliste, métapsychique et Abellio-occultiste


Médium, après sept mois d’un silence que l’on pouvait espérer
définitif, vient de publier son numéro 4. Dédé-les-Amourettes
et ses douze derniers apôtres y mettent à l’index Max Ernst,
coupable d’avoir vendu à la Biennale de Venise la peinture
même qu’ils essaient plus moralement de refiler aux
Américains dans les galeries peu connues de la rive gauche.

On vérifie une fois de plus que quand on touche à leur seul


commerce ces habitués de toutes les compromissions
deviennent farouches : ils paraissent croire que des «milieux
indépendants» nourriraient des illusions à leur propos. Ils
s’inquiètent même de laisser «désorienter la jeunesse».

Le plus sot, celui qui définit généralement la curieuse position


politique de la bande, commente avec sympathie le dernier
gouvernement. Le génie du contresens que nous avons déjà
décelé chez ce personnage lui inspire de comparer le prolétariat
évolué de 1848 au sous-prolétariat dégradé d’aujourd’hui
«pour lequel les préoccupations alimentaires et le problème du
logement tiennent plus de place que les virtualités
révolutionnaires». On peut en déduire qu’il ne sait rien de juin
1848, de Marx, du prolétariat.

Mieux encore, le même conclut de «l’expérience Mendès» que


les divers éléments du capitalisme international, ou les factions
qui le représentent à l’échelle nationale sont plus occupés de
leurs luttes intestines que d’un combat contre le monde

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prolétarien. On peut en déduire que ce professionnel de


l’anticommunisme ne sait rien de Staline, dont il reproduit
bêtement la plus fausse et la plus funeste théorie.

Potlatch no 17, 24 février 1955.

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Del Surrealismo

Modeste préface à la parution d'une


dernière revue surréaliste

«Oui, nous avons eu quelques échos de l’anniversaire de


Breton. Je les joins à cette lettre. Je pense qu’il y en a eu au
moins le double, car nous n’avons consulté qu’une douzaine de
publications. À noter cependant que Nadeau a gardé le silence,
dans France-Observateur.
Bien que Les Lèvres nues ne soient pas nommément désignées,
il nous semble que l’opération est réussie. Le Tout-Paris et la
presse ont dû beaucoup parler de l’affaire, et de ses auteurs. Et

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Del Surrealismo

le grand public a tout de même appris que Breton avait


soixante ans : belle préface à la revue Phénix.
Remarquez comme les personnalités parisiennes qui, si l’on
met à part les journaux, se réduisaient à une trentaine de
personnes, sont devenues une centaine dans L’Express, trois
cents dans Arts. De plus L’Express ne laisse pas de doute sur la
réussite de la mystification elle-même. Et le ton de la colère est
sensible dans Arts, dont un entrefilet a l’allure d’un démenti.»
Guy-Ernest Debord, lettre à Marcel Mariën, 29 février 1956.

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Del Surrealismo

Modeste préface à la parution d’une


dernière revue surréaliste

André Breton voyait venir le 18 février dernier son soixantième


anniversaire. Par les soins de nos camarades de la revue Les
Lèvres nues, de fausses invitations furent lancées qui menèrent
dans les salons de l’hôtel Lutétia un nombre indéterminé de
dupes (plusieurs centaines d’après L’Express, mais l’envoyé de
Combat n’y a vu que «quelques invités non prévenus»).

Trois jours après, les mêmes invitations, envoyées de Belgique


aux mêmes personnes, s’étaient enrichies d’une phrase en
surimpression qui avouait la fausse nouvelle, et d’où venait le
coup.

Nul cependant n’avait été gêné par la forme délibérément


ridicule d’une invitation qui annonçait que Breton saisirait cette
occasion pour traiter «de l’éternelle jeunesse du surréalisme».
La preuve est donc faite qu’aucune bêtise ne peut plus
surprendre si elle se recommande de cette doctrine.

Inutile même de souligner que personne ne s’était proposé de


«réussir» une mystification de plus aux dépens du Tout-Paris
cultivé, mais de bien faire remarquer une date significative. La
presse n’y a pas manqué.

Potlatch no 26, 7 mai 1956.

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Del Surrealismo

L'occultation profonde, véritable, du


surréalisme
«Pas trace du Surréalisme, même. Nous allons accabler
Pauvert de réclamations téléphoniques. Mais évidemment
l’histoire de l’interdiction doit être inventée pour cacher leur
misère.»
Guy Debord, lettre à Marcel Mariën, 1er octobre 1956.

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Lettre de Guy Debord à Marcel Mariën

Vendredi [automne 1956]


Mon cher Mariën,

Merci pour les textes.

«Le Minotaure», qui n’avait pas les comptes dans la tête mais
croit ne manquer de rien, annonce qu’un paquet de Lèvres nues
serait retenu à la douane (depuis quand ?). Il en a été avisé, et
pense qu’il doit y avoir quelques droits à payer.

Nous avons enfin la revue de Dédé. La semaine dernière


Pauvert, après une conversation téléphonique embarrassante
avec Wolman, lui propose de venir la prendre à ses bureaux
trois jours après. Un de nos amis algériens s’y présente.
Pauvert demande si c’est lui qui a téléphoné, s’entend répondre
que c’est «le patron», sans autres commentaires — puis
s’excuse : il n’en a qu’un seul exemplaire, qu’il montre, mais
ne peut vendre ; il promet que jeudi prochain il en aura. Hier
donc c’est deux Algériens qui vont la chercher, jetant un froid
extrême dans une petite réunion d’une dizaine d’intellectuels et
de dames qui s’affairaient chez Pauvert. Tard dans la soirée
j’en ai vu deux exemplaires dans un kiosque du boulevard
Michel. La revue serait donc distribuée à cette heure, sauf au
cas où Pauvert aurait seulement sur le marché 100 ou 200
exemplaires sauvés du désastre : l’ambiance chez lui, de l’avis
de mes émissaires, était extrêmement louche.

La revue, vendue 750 francs, est très somptueuse, pleine

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Del Surrealismo

d’illustrations magnifiques. Sur 150 pages, je crois qu’il n’y a


pas 40 pages de texte. Et quel texte ! Enfin, très nettement pire
que Médium. Très anodin. Très «Fémina de luxe». Rien à
première vue, qui nous concerne directement. Je pense que
vous l’aurez bien sauf si l’opération Pauvert était limitée au
sixième arrondissement (le tirage total de la revue est de 5030
exemplaires, ce qui assure un minimum de 4500 invendus).

Le plus drôle reste la collaboration assidue d’un Robert


Benayoun, qui est aussi le critique cinématographique de
Demain, l’hebdomadaire de Guy Mollet.

Cordialement à vous tous,


G.-E. Debord

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Del Surrealismo

L’occultation profonde, véritable, du


surréalisme

La revue dirigée par Breton, Le surréalisme, même, annoncée


de jour en jour pendant huit mois, donnée pour parue dans la
N.N.R.F. du mois d’août, est en fait restée cachée jusqu’à la fin
d’octobre pour des raisons idéologiques : un de ses
collaborateurs les plus en vue, M. Robert Benayoun, surréaliste
de longue date, se trouve être en même temps employé à la
critique cinématographique dans Demain, l’hebdomadaire de
M. Guy Mollet.

La direction du Surréalisme, même attendait donc depuis huit


mois que M. Guy Mollet changeât de politique, pour paraître
sans honte. M. Guy Mollet, comme on sait, n’en a pas changé ;
et la revue de M. Breton étant très belle (papier glacé, 84
illustrations), il a bien fallu sacrifier au souci de dégeler ce petit
capital.

Potlatch no 27, 2 novembre 1956.

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Del Surrealismo

Amère victoire du surréalisme

«Le succès même du surréalisme est pour beaucoup dans le


fait que l’idéologie de cette société, dans sa face la plus
moderne, a renoncé à une stricte hiérarchie de valeurs
factices, mais se sert à son tour ouvertement de l’irrationnel, et
des survivances surréalistes par la même occasion.»
Rapport sur la construction des situations, juin 1957.

Dans le cadre d’un monde qui n’a pas été essentiellement


transformé, le surréalisme a réussi. Cette réussite se retourne
contre le surréalisme qui n’attendait rien que du renversement
de l’ordre social dominant. Mais en même temps le retard
intervenu dans l’action des masses qui s’emploient à ce
renversement, maintenant et aggravant, avec les autres
contradictions du capitalisme évolué, les mêmes impuissances
de la création culturelle, maintient l’actualité du surréalisme et
en favorise de multiples répétitions dégradées.

Le surréalisme a un caractère indépassable, dans les conditions


de vie qu’il a rencontrées et qui se sont prolongées
scandaleusement jusqu’à nous, parce qu’il est déjà, dans son
ensemble, un supplément à la poésie ou à l’art liquidés par le
dadaïsme, parce que toutes ses ouvertures sont au-delà de la
postface surréaliste à l’histoire de l’art, sur les problèmes d’une
vraie vie à construire. De sorte que tout ce qui veut se situer,
techniquement, après le surréalisme retrouve des problèmes
d’avant (poésie ou théâtre dadaïstes, recherches formelles dans
le style du recueil Mont-de-Piété). Ainsi, pour leur plus grande
part, les nouveautés picturales sur lesquelles on a attiré
l’attention depuis la dernière guerre sont seulement des détails,

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Del Surrealismo

isolés et grossis, pris — secrètement — dans la masse


cohérente des apports surréalistes (Max Ernst à l’occasion
d’une exposition à Paris au début de 1958 rappelait ce qu’il
avait appris à Pollock en 1942).

Le monde moderne a rattrapé l’avance formelle que le


surréalisme avait sur lui. Les manifestations de la nouveauté
dans les disciplines qui progressent effectivement (toutes les
techniques scientifiques) prennent une apparence surréaliste :
on a fait écrire, en 1955, par un robot de l’Université de
Manchester, une lettre d’amour qui pouvait passer pour un
essai d’écriture automatique d’un surréaliste peu doué. Mais la
réalité qui commande cette évolution est que, la révolution
n’étant pas faite, tout ce qui a constitué pour le surréalisme une
marge de liberté s’est trouvé recouvert et utilisé par le monde
répressif que les surréalistes avaient combattu.

L’emploi du magnétophone pour instruire des sujets endormis


entreprend de réduire la réserve onirique de la vie à des fins
utilitaires dérisoires ou répugnantes. Rien cependant ne
constitue un si net retournement des découvertes subversives
du surréalisme que l’exploitation qui est faite de l’écriture
automatique, et des jeux collectifs fondés sur elle, dans la
méthode de prospection des idées nommée aux États-Unis
brainstorming. Gérard Lauzun, dans France-Observateur, en
décrit ainsi le fonctionnement :

«En une séance de durée limitée (dix minutes à une heure), un


nombre limité de personnes (six à quinze) ont toute liberté
d’émettre des idées, le plus d’idées possibles, bizarres ou pas,
sans aucun risque de censure. La qualité des idées importe peu.
Il est absolument interdit de critiquer une idée émise par l’un
des participants et même de sourire lorsqu’il a la parole.
Chacun a, en outre, le droit le plus absolu, le devoir même, de
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Del Surrealismo

piller, en y ajoutant du sien, les idées précédemment énoncées.


[…] L’armée, l’administration, la police y ont aussi recours. La
recherche scientifique elle-même substitue des séances de
brainstorming à ses conférences ou à ses “tables rondes”. […]
Un auteur et un producteur de films au C.F.P.I. Il leur faut un
titre. Huit personnes en quinze minutes en proposent soixante-
dix ! Puis, un slogan : cent quatre idées en trente-quatre
minutes : deux sont retenues. […] La règle est la non-pensée,
l’illogisme, l’absurdité, le coq-à-l’âne. La qualité fait place à la
quantité.
La méthode a pour but premier d’éliminer les diverses barrières
de contrainte sociale, de timidité, d’effroi devant la parole qui
interdisent souvent à certains individus dans une réunion ou au
cours d’un conseil d’administration, de parler, d’avancer des
suggestions saugrenues, au milieu desquelles pourtant un trésor
peut être enfoui ! Ici, les barrières levées, on constate que les
gens parlent et, surtout, que chacun a quelque chose à dire. […]
Certains managers américains ont d’ailleurs vite compris
l’intérêt d’une telle technique sur le plan des relations avec le
personnel. Celui qui peut s’exprimer revendique moins.
“Organisez-nous des brainstormings !” commandent-ils alors
aux spécialistes : “cela démontrera au personnel que nous
faisons cas de ses idées, puisque nous les demandons !” La
technique est devenue une thérapeutique contre le virus
révolutionnaire.»

Internationale situationniste no 1, juin 1958.

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Del Surrealismo

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«Je ne crois pas que nous voulions surestimer l’importance du


surréalisme par rapport aux autres recherches que tu cites. Il
me semble même que l’esthétique que le surréalisme a
finalement imposée est moins avancée. La place privilégiée de
ce mouvement — c’est-à-dire pour le premier numéro de la
revue l’étendue de la critique qui lui est consacrée — vient de
ce fait que le surréalisme s’est présenté comme une entreprise
totale, concernant toute une façon de vivre. C’est cette
intention qui constitue son caractère le plus progressif, qui nous
oblige maintenant à nous comparer à lui, pour nous en
différencier (le passage d’un art révolutionnaire utopique à un
art révolutionnaire expérimental). Bien sûr nous sommes
encore loin de ce passage. Tout ce qui nous intéresse vraiment
ne peut être encore qu’au stade de la revendication. Ainsi le
manque de réalisme est un défaut presque inévitable mais qu’il
faut combattre le plus possible parmi nous.»

Guy Debord, lettre à Constant, 8 août 1958.

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Del Surrealismo

Familiers du Grand Truc


Il a suffit de la mort d’André Breton, et d’une invitation à La
Havane, pour que les ex-surréalistes de L’Archibras deviennent
les apologistes de la bureaucratie, sous sa forme castriste. La
belle tête politique de cette équipe, Jean Schuster, signait, en
janvier 1968, avec les ex-staliniens Borde, Châtelet, Marguerite
Duras, Mascolo, et quelques autres jobards, une déclaration
affirmant que «c’est à Cuba et par le mouvement de la
révolution cubaine que l’existence communiste a retrouvé, en
même temps qu’un centre vivant, sa puissance d’avenir». Les
personnes citées plus haut, moins Borde et Châtelet, eurent
donc la triste surprise d’avoir à exprimer, huit mois plus tard,
leurs respectueux regrets, parce que le «camarade Castro» avait
approuvé, dans sa cynique allocution du 23 août, l’intervention
«socialiste» de l’armée russe en Tchécoslovaquie ; intervention
dont la nécessité stratégique est d’ailleurs indubitable puisqu’il
s’agissait d’y combattre la menace d’une révolution
prolétarienne.

Quand commencèrent en France les troubles qui allaient


devenir le mouvement des occupations, la seule contribution
perceptible du castro-surréalisme fut la publication d’un petit
tract qui déclarait, le 5 mai, que «le mouvement surréaliste est
à la disposition des étudiants» (cette remarquable niaiserie est
soulignée par nous).

Et pourtant, longtemps après la fête, un «Comité des écrivains


et des étudiants» animé par le même Schuster, avec les
littérateurs Duras, Mascolo, etc., publiait dans le périodique
italien Quindici, en juin 1969, un texte qui ne craint pas
d’accuser les situationnistes d’être entrés dans la révolution
«comme on entre en littérature» ! Les auteurs de ce texte, avec

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Del Surrealismo

un aplomb bien digne de leurs maîtres passés ou actuels,


tranchent que l’activité de l’I.S. en mai s’est limitée à écrire
des slogans sur les murs — et encore, entre eux tous, seulement
les phrases qui pouvaient plaire à «certains bourgeois
sensibles». Cette omniscience paraît déjà fantastique, pour qui
a vu les murs de paris alors, où tant d’inconnus ont écrit,
reproduit ou transformé spontanément tout ce qu’ils voulaient,
ou ce qu’il leur plaisait parmi les inscriptions qu’ils lisaient.
Mais ces «écrivains-étudiants» ont poussé l’imposture jusqu’à
évoquer là le livre de Viénet comme étant «la preuve» de ce
qu’ils avancent. Ils savent bien pourtant que ce livre ne prend
explicitement en compte des situationnistes et des Enragés que
cinq ou six insciptions, toutes apposées dans des instants et des
lieux où elles avaient une certaine portée pratique. Et que
Viénet, rapportant l’ensemble de notre conduite dans cette
période, cite nombre de faits et de documents manifestement
plus importants en matière de subversion. Mais Schuster et les
autres déchets étaient tout bonnement résolus à énoncer le
dogme suivant : «ce qu’aucun bourgeois ne pouvait apprécier
dans les paroles de mai… n’était pas situationniste.»

Nous laissons nos lecteurs apprécier ce que valent ces


personnages, même dans l’écriture, leur seul petit succédané de
vie ; surtout si l’on remarque qu’un article de L’Archibras paru
le 18 juin signalait admirativement une des premières
interventions radicales dans l’assemblée de la Sorbonne : «Une
voix osa s’élever […] pour réclamer également l’amnistie à
l’égard des “pillards” […] cette proposition fut accueillie par
des huées indignées. Nous étions alors au début…» Il s’agit de
l’intervention de René Riesel, lors de l’élection du premier
comité d’occupation, également citée par Viénet. Des menteurs
de l’envergure de Jean Schuster et ses amis n’échappent au

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Del Surrealismo

ridicule que dans les régimes où ils travaillent avec une police
qui empêche tout rappel à la réalité ; à Cuba, par exemple.

Internationale situationniste no 12, septembre 1969.

**

«On peut tenir pour certain que dans tout cela sont absentes
aussi bien la poésie que la révolution, neutralisées et non
exaltées l’une par l’autre. La rigueur de cette double exigence
manque évidemment aux militants qui sont entrés dans la
révolution comme on entre en littérature. Une complaisance de
ce genre atteint son comble chez ceux qui se définissent
comme “situationnistes”. Ce qui, en mai, dans les inscriptions
murales, toucha pour un temps certains bourgeois sensibles,
avait cette origine. Bien loin d’être spontané, mais absolument
prémédité, ce travail de transcription était très semblable au
développement, avec des moyens divers, de l’activité littéraire
traditionnelle. Le récent livre de l’un d’eux, Viénet, en est la
preuve. Au contraire, ce qu’aucun bourgeois ne pouvait
apprécier dans les paroles de mai (“Nous sommes tous des juifs
allemands”, “Soyez réalistes, demandez l’impossible”, etc.),
n’était pas situationniste.»
Comité des écrivains et des étudiants (Duras, Mascolo,
Schuster, etc.).
Texte publié dans Quindici no 17, juin 1969.

«Le texte de Quindici est merveilleux ! Les littérateurs et néo-


surréalistes nous qualifient de simples littérateurs ; en nous
attribuant seulement des inscriptions sur les murs, et seulement

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Del Surrealismo

certaines d’entre elles (celles qui ont pu plaire aux bourgeois


sensibles). Le plus fantastique est de prétendre s’appuyer sur le
témoignage même du livre de Viénet pour conclure ainsi. On
ajoute cette citation à notre “revue de presse” des attaques
stupides contre l’I.S. (“jugements choisis”). Je crois que, pour
l’Italie, vous devriez faire une notre brève, mais précise.
Éléments : Jean Schuster : actuel “chef” du surréalisme, et sa
tête politique. Était à La Havane en janvier 68, a signé une
déclaration en faveur de Castro, désigné comme un renouveau
du communisme authentique ! Marguerite Duras, vieille conne,
ex-stalinienne, femme de lettres. Dyonis Mascolo, ex-
stalinien.»
Guy Debord, lettre à la section italienne de l’I.S., 20 juin 1969.

**

«J’ai bien reçu vos exprès, et l’infamie de Schuster et Duras.»


Guy Debord, lettre à la section italienne de l’I.S., 25 juin 1969.

**

Chiunque conosca anche da lontano l’ambiente sociale che è


definito dalla proprietà specializzata delle cose culturali sa
bene che tutti disprezzano pressoché tutti e che ognuno annoia
tutti gli altri, riconoscendo in tutti gli altri la propria
insignificanza. D’altra parte non è un mistero per nessuno, ma
la condizione non dissimulata dell’appartenenza a questo
ambiente separato che ratifica tutte le separazioni. Se gli attachi
che periodicamente ci vengono da qui sono sempre stati

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Del Surrealismo

lanciati dalle persone che affettano pubblicamente di ignorarei,


è perché l’I.S. ha la proprietà di far apparire i suoi detrattori per
quello che sono e perché costoro non sono mai in grado di
misurarsi con le nostre posizioni reali. In queste condizioni,
non c’è né la passione né veramente la necessità di alcuna sorta
di sanzione. Ma sono ancora poche le persone che potrebbero
pensare che levargli la maschera è fargli troppo onore. Ed è per
questo che lo facciamo costantemente. A questa sottospecie di
calunniatori appartengono totalmente i personaggi di quel
«Comitato di scrittori e di studenti» resosi pateticamente noto
in Francia dopo il maggio 1968, e che vorrebbe ora
rappresentare ai rivoluzionari lo spettacolo dei loro stessi gesti.
I «frutti del lavoro collettivo» di questi pennivendoli, comparsi
sul no 17 (maggio 1969) della rivista Quindici, Tampax
mensile della riflessione di sinistra italiana, non sono altro che
questi avanzi illegittimi di conti non liquidati. I letterati e neo-
surrealisti ci qualificano di semplici letterati e imitatori, «nel
migliore dei casi», del movimento surrealista ; e ci
attribuiscono solamente delle scritte sui muri, pretendono in
modo stravagante di averne «la prova» dal libro stesso di
Viénet. Povero Dyonis Mascolo, ex-stalinista. Povera
Marguerite Duras, vecchia scema, ex-stalinista, donna di
lettere. Povero Jean Schuster, «capo» attuale del surrealismo e
sua testa politica ; mentre era all’Avana, nel gennaio 1968, ha
firmato una dichiarazione in favore di Castro designato come
un rinnovatore dell’autentico comunismo ! Poveri onesti
scrittori di un’epoca disonesta. Guardandosi allo specchio,
parlano dei situazionisti come di «militanti, che sono entrati
nella rivoluzione come si entra nella letteratura». Chi mai
pensano di ingannare ? Questi letterati, che non potevano
mettere piede nella rivoluzione se non come militanti,
ostentano una grande coscienza ; ma come il cane ritorna al suo
vomito, essi non fanno che ritornare sempre, immaginandosi di

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Del Surrealismo

vivere nella loro corporazione nuove fresche esperienze, al


vecchio putrido problema di come nascondere la propria morte
già avvenuta. Affermano che quanto vi era di situazionista nelle
scritte sui muri ha toccato «certi borghesi sensibili».
Equivocano : le scritte sui muri hanno toccato tutti i borghesi,
sempre sensibili al pericolo della comunicazione liberata.
«Tutt’altro che spontaneo, anzi assolutamente premeditato,
questo lavoro di trascrizione era molto simile allo svolgimento,
con mezzi diversi, dell’attività letteraria tradizionale». Bisogna
rimettere le parole al loro posto : il progetto proletario, noi lo
abbiamo spontaneamente premeditato, mentre la spontaneità di
questi «scrittori e studenti», che devono vellicarsi con
l’equivoco di chiamare cosi la propria ridicola sorpresa di
fronte ad ogni avvenimento rivoluzionario, non è che la magica
naturalezza con cui delle volgari prostitute si presentano ad
ogni appuntamento. Le piccole gelosie e il solito cinismo
danno i loro frutti più fantastici e meno involontari. Quando la
letteratura è l’orizzonte della «vita», la pratica della
comunicazione si offre come l’eterno consumo di un’«attività»
decorativa. Se vogliamo spiegarci l’attività del loro articolo,
essi non ne conoscono altra.

Fin dall’inizio («Il Maggio è stato una rivoluzione o no ? Se si,


di quale specie ? Oppure il Maggio è stato un fallimento ?») si
riconosce inequivocabilmente lo stile : il dibattito questionante,
forma logica dell’impotenza asservita, che trasforma in
comunicazione l’incapacità esemplare di comunicare. La
ricerca aperta a tutte le risposte, chiusa a una sola. L’ideologia
produce solo molto fumo. Dà tutto ciò che può. Se essi
proclamano la necessità di «affermare chiaramente che la
penetrazione della teoria nelle masse non è un fenomeno
d’ordine culturale», è solo per esorcizzare quel fenomeno che è
la loro stessa esistenza ; e perché non possono procedere al di

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Del Surrealismo

là di questa concessione senza ricadere totalmente nelle


inveterate abitudini e nella grettezza concorrenziale di tutti gli
specialisti scrittori. E del resto non ignorano che da oltre dieci
anni i situazionisti lo affermano e lo provano sempre di più.
Ma la disonestà con cui essi giudicano i rivoluzionari non
manca di giudicarli esattamente. Il «pensiero» di questi idioti
seri non è che uno stillicidio di falsi problemi e di false
soluzioni. Accanto alle banalità connaturate al loro ruolo (le
citazioni di Castro, la «rivoluzione culturale», etc.), fanno
coesistere la banalizzazione di tesi radicali prelevate
surrettiziamente dalle pubblicazioni situazioniste. Ogni
rivoluzionario deve essere oggi un critico delle rivoluzioni
passate ; ma ogni ideologo non manca mai di calunniarle. Nel
frattempo bisogna che egli mantenga un atteggiamento
equilibrato e responsabile : deplorare gli eccessi, celebrare i
successi. Le menzogne burocratiche vanno bene quanto Marx,
anche se «non è qui necessario distinguere tra Marx, Lenin,
Trotsky e Stalin». Vittime e modeste comparse insieme dello
spettacolo, si sono sempre rifiutati di riconoscere l’unità
profonda di ciò che si presentava spettacolarmente diviso, né si
sono mai curati di distinguere all’interno di ciò che si
presentava come un tutto. Solo gli intellettuali, e gli studenti,
credono alla contrapposizione Cina-U.R.S.S. cosi come al
«marxismo». Essi hanno consumato tutte le menzogne, ci
hanno offerto ogni genere di confessioni autodegradanti, hanno
ammesso tutto, fuorché la propria dannosa inutilità. Non gli si
faccia il colpo volgare della «letteratura rivoluzionaria» o della
«guerriglia intellettuale» ; essi le condannano in anticipo come
trappole in cui sono caduti tutti gli intellettuali tranne loro.
Tutte le crisi sociali che annunciano un mutamento profondo
sono oggetto dei loro tentativi di conservare, se è possibile, le
proprie mansioni, a prezzo di qualsiasi aggiornamento. Mentre
si dichiarano disposti a correre ogni rischio sono in realtà

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Del Surrealismo

pronti a tollerare tutto, tranne una cosa : «Proibire a un


conferenziere di parlare di Heidegger non ha (…) alcun
significato visibile, se non quello dell’oscurantismo. L’errore
del filosofo è tanto impensabile che bisogna nasconderlo, e
correre cosi il rischio di commettere lo stesso errore
filosofico?»
Dediti per dovere professionale al libero commercio delle
libertà filosofiche, questi conferenzieri non vedono in ciò che
un «errore filosofico» ! Gli intellettuali possono cercare di
mettersi in regola di fronte alla rivoluzione, ma dal tempo del
«battaglione degli artisti» della Comune la rivoluzione sa che
cosa deve aspettarsi da loro.

«Alcune baldracche a diverse tariffe»,


Internazionale situazionista no 1, luglio 1969.

**

Quiconque connaît, même de loin, le milieu social qui est


défini par la propriété spécialisée des choses culturelles sait
bien que tout le monde y méprise presque tout le monde et que
chacun y ennuie tous les autres, reconnaissant en chacun d’eux
sa propre insignifiance. D’ailleurs, ce n’est là un mystère pour
personne, mais la condition non dissimulée de l’appartenance à
ce milieu séparé qui entérine toutes les séparations. Si les
attaques qui périodiquement nous viennent de là ont toujours
été lancées par des gens qui affectent publiquement de nous
ignorer, c’est parce que l’I.S. a la propriété de faire apparaître
ses détracteurs pour ce qu’ils sont et parce que ceux-ci ne sont
jamais à même de se mesurer avec nos positions réelles. Dans
ces conditions, on n’éprouve ni le désir ni vraiment la nécessité
d’aucune sorte de sanction. Mais ils sont encore peu nombreux,
27
Del Surrealismo

ceux qui pourraient penser que c’est leur faire trop d’honneur
que de les démasquer. Et c’est pour cela que nous le faisons
constamment. À cette sous-espèce de calomniateurs
appartiennent totalement les gens de ce «Comité d’écrivains et
d’étudiants» qui s’est fait pitoyablement connaître en mai 68 et
qui voudrait maintenant représenter aux révolutionnaires le
spectacle de leurs propres gestes. Les «fruits du travail
collectif» de ces folliculaires parus dans le no 17 (mai 1969) de
la revue Quindici, Tampax mensuel de la réflexion de la gauche
italienne, ne sont que les restes illégitimes de comptes non
liquidés. Les hommes de lettres et les néo-surréalistes nous
qualifient de simples hommes de lettres et d’imitateurs, «dans
le meilleur des cas», du mouvement surréaliste ; et ils nous
attribuent seulement des inscriptions murales en prétendant de
façon extravagante en trouver «la preuve» dans le livre même
de Viénet. Pauvre Dionys Mascolo, ex-stalinien. Pauvre
Marguerite Duras, vieille conne, ex-stalinienne, femme de
lettres. Pauvre Jean Schuster, «chef» actuel du surréalisme, et
sa tête politique ; pendant son séjour à La Havane, en janvier
1968, il a signé une déclaration en faveur de Castro, désigné
comme un rénovateur du communisme authentique ! Pauvres
écrivains honnêtes d’une époque malhonnête. En se regardant
dans la glace, ils parlent des situationnistes comme des
«militants entrés dans la révolution comme on entre en
littérature». Qui pensent-ils jamais abuser ? Ces hommes de
lettres, qui ne peuvent mettre un pied dans la révolution, si ce
n’est comme militants, étalent une grande conscience ; mais
comme le chien retourne toujours à son vomi, il leur faut
retourner toujours, en croyant vivre dans leur corporation de
nouvelles expériences fraîches, au vieux problème de cacher
leur cadavre déjà décomposé. Ils affirment que ce qu’il y avait
de situationniste dans les inscriptions a touché «certains
bourgeois sensibles». Ils se trompent : les inscriptions ont

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Del Surrealismo

touché tous les bourgeois, toujours sensibles au danger de la


communication libérée. «Rien moins que spontané, mais au
contraire absolument prémédité, ce travail de transcription était
très semblable au déroulement, avec des moyens différents, de
l’activité littéraire traditionnelle.» Il faut remettre les mots à
leur place : le projet prolétarien, nous l’avons spontanément
prémédité, alors que la spontanéité de ces «écrivains et
étudiants», qui doivent se branler en appelant ainsi, de façon
douteuse, leur ridicule étonnement devant chaque événment
révolutionnaire, n’est que le naturel magique avec lequel de
vulgaires prostituées se présentent à chaque rendez-vous. Les
petites jalousies et le cynisme ordinaire donnent leurs fruits les
plus fantastiques et les moins involontaires. Quand la littérature
est l’horizon de la «vie», la pratique de la communication
s’offre comme la consommation éternelle d’une «activité»
décorative. Pour comprendre en quoi consiste l’activité de leur
article, il suffit de voir qu’ils n’en connaissent pas d’autre.

Dès le début («Mai a-t-il été ou non une révolution ? Si oui, de


quelle sorte ? Ou bien Mai a-t-il été un échec ?»), on reconnaît
sans équivoque le style : le débat questionnant, forme logique
de l’impuissance asservie, qui transforme en communication
l’incapacité exemplaire à communiquer. La revanche ouverte à
toutes les réponses, fermée à une seule. L’idéologie produit
seulement beaucoup de fumée. Elle donne tout ce qu’elle peut.
S’ils proclament, eux, la nécessité d’«affirmer clairement que
la pénétration de la théorie dans les masses n’est pas un
phénomène d’ordre culturel», c’est seulement pour exorciser ce
phénomène que constitue leur existence même ; et c’est aussi
parce qu’ils ne peuvent aller au-delà de cette concession sans
retomber totalement dans les habitudes invétérées et dans la
petitesse concurrentielle de tous les spécialistes de l’écriture.
Du reste, ils n’ignorent pas que, depuis dix ans, les

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Del Surrealismo

situationnistes l’affirment et le prouvent toujours plus. Mais la


malhonnêteté avec laquelle ils jugent les révolutionnaires ne
manque pas de les juger exactement. La «pensée» de ces
graves imbéciles n’est qu’une diarrhée de faux problèmes et de
fausses solutions. Avec des banalités conformes à leur rôle (les
citations de Castro, la «révolution culturelle», etc.), ils font
coexister la banalisation des thèses radicales prélevées
subrepticement dans les publications situationnistes. Tout
révolutionnaire doit être aujourd’hui un critique des révolutions
passées ; mais tout idéologue ne manque jamais de les
calomnier. En attendant, il lui faut maintenir une attitude
équilibrée et responsable : déplorer les excès, célébrer les
succès. Les mensonges bureaucratiques marchent aussi bien
que Marx, même s’il «n’est pas ici nécessaire de distinguer
entre Marx, Lénine, Trotski et Staline». Tout à la fois victimes
et modestes comparses du spectacle, ils se sont toujours refusés
à reconnaître l’unité profonde de ce qui se présente
spectaculairement divisé, et ne se sont jamais souciés de
distinguer à l’intérieur de ce qui se présentait comme un tout.
Seuls les intellectuels, et les étudiants, croient à l’opposition
Chine-U.R.S.S., de même qu’au «marxisme». Ils ont
consommé tous les mensonges, nous ont offert toutes sortes de
confessions autodégradantes, ont tout admis, excepté leur
propre inutilité nuisible. Qu’on ne leur fasse pas le coup
vulgaire de la «littérature révolutionnaire» ou de la «guérilla
intellectuelle», ils les condamnent d’avance comme pièges où
sont tombés tous les intellectuels sauf eux. Toutes les crises
sociales qui annoncent un changement profond sont l’objet de
leurs tentatives pour conserver, si possible, leurs fonctions au
prix de n’importe quelle modernisation. Alors qu’ils se
déclarent disposés à courir tous les risques, ils sont en réalité
prêts à tout tolérer, sauf une chose : «Interdire à un
conférencier de parler de Heidegger n’a (…) aucune

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Del Surrealismo

signification visible, si ce n’est celle de l’obscurantisme.


L’erreur du philosophe est-elle si impensable qu’il faille la
cacher, et courir ainsi le risque de commettre la même erreur
philosophique ?» Voués par devoir professionnel au libre
commerce des libertés philosophiques, ces conférenciers n’y
voient qu’une «erreur philosophique» ! Les intellectuels
peuvent chercher à se mettre en règle vis-à-vis de la révolution,
mais depuis le temps du «bataillon des artistes» de la
Commune, la révolution sait ce qu’elle doit attendre d’eux.

«Quelques putains à divers tarifs»,


Internationale situationniste no 1, juillet 1969,
Revue de la section italienne de l’I.S.

Traduit de l’italien par Joël Gayraud & Luc Mercier.

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