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Boris Donné e Guy Debord

Dépassement de l’art
La biblioteca di Omar Wisyam

Volume n. 13
Dépassement de l’art

Boris Donné

“Ne révélez jamais”

" Mais où sont les neiges de demain ? " (André Breton)


Les Directives ont été réalisées par Debord en juin 1963 pour
l'unique exposition de l'I.S., Destruktion af R.S.G. 6 : En
Kollektiv manifestation af Situationistik International, à la
galerie Exi à Odense (Danemark) du 22 juin au 7 juillet 1963.
Leur exposition initiale contraste avec leur occultation quasi
immédiate. L'existence de ces toiles a certes été signalée dans
le texte de présentation composé par Debord, Les
situationnistes et les nouvelles formes d'action dans la
politique ou l'art ; mais leur contenu exact, et même
leur nombre y étaient passés sous silence. Seule leur nature
était divulguée : " Les 'directives' exposées sur des tableaux
vides ou sur un tableau abstrait détourné sont à considérer
comme des slogans que l'on pourra voir écrits sur des murs.
Les titres en forme de proclamation politique de certains
tableaux ont bien sûr le même sens de dérision et de
retournement du pompiérisme en vogue, qui cherche à s'établir
sur une peinture de 'signes purs', incommunicables. " Le
compte rendu de l'exposition dans Internationale Situationniste
(n° 9, août 1964) n'en fait pas mention.
Les Directives ne font leur réapparition qu'après la disparition
de Debord. L'aperçu chronologique placé à la fin de
Panégyrique, tome second (1997, posthume) mentionne à
l'année 1963 : " Cinq 'directives' tracées sur des toiles. " L'une
d'elles, qui porte le n° 2, figure parmi les " preuves
iconographiques " rassemblées dans le livre : il s'agit d'une

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Dépassement de l’art

toile grossièrement apprêtée sur laquelle Debord s'est contenté


d'inscrire en lettres capitales RÉALISATION DE LA
PHILOSOPHIE, et d'apposer le cachet de la section danoise de
l'I.S.. Elle apparaît aussi dans le programme télévisuel préparé
par Debord juste avant sa mort, Guy Debord, son art et son
temps, avec une autre Directive de facture semblable portant
l'inscription DÉPASSEMENT DE L'ART. Ces deux toiles font
désormais partie de la collection de Paul Destribats. Une
troisième, qui porte le n° 4, est connue : sur celle-ci, le mot
d'ordre ABOLITION DU TRAVAIL ALIÉNÉ a été peint non
sur une toile vierge mais sur une " peinture industrielle " de
Pinot Gallizio. Elle appartient à Daniel Buren. Les deux
dernières (s'il en existe bien cinq) demeurent inconnues.
L'importance de ces Directives est d'abord liée à une audace
formelle : la simple transposition sur la toile de la forme de
l'inscription. Par ce geste, Debord se démarquait aussi bien de
la peinture lettriste (les " hypergraphies " lettristes
privilégiaient plutôt un usage hiéroglyphique, quasi
cabalistique, du signe) que des recherches contemporaines de
Dotremont. Celui-ci avait expérimenté dès 1948, avec Asger
Jorn, une forme de " peinture-mot " ; en 1962, il avait composé
ses premiers " logogrammes " , où la recherche calligraphique
déployée sur la feuille blanche s'aventure aux confins du
lisible, jusqu'à l'invention d'une écriture imaginaire. Les
Directives prennent le contre-pied de telles expérimentations :
absence de toute recherche esthétique dans la graphie ou la
composition picturale ; simplicité, lisibilité immédiate et
univoque du message. Comme si l'oeuvre se réduisait à une
formule, même à une idée, énoncée de la façon la plus directe.
Cette forme, Debord l'avait déjà adoptée en 1953 pour ce qu'il
a présenté bien plus tard comme une de ses " oeuvres "
majeures : le mot d'ordre NE TRAVAILLEZ JAMAIS inscrit
sur un mur de la rue de Seine. Et c'est en janvier 1963, six mois

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Dépassement de l’art

avant la réalisation des Directives, que cette inscription est


révélée dans le n° 8 d'Internationale Situationniste où elle est
présentée rétrospectivement comme un " programme préalable
au mouvement situationniste " . Elle n'avait sûrement pas été
tracée sur un mur choisi au hasard, puisque Debord a toujours
tenu à en indiquer la localisation. Il s'agit précisément, tout en
bas de la rue de Seine, de l'arrière du Collège des Quatre-
Nations abritant l'Institut de France : c'est donc sur le siège,
entre autres, de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres
fondée en 1663 par Colbert qu'avait été porté ce beau
programme ! Sa teneur s'opposait radicalement à celle des
inscriptions académiques, vouées à la célébration du pouvoir et
de l'ordre établi ; cependant que sa matérialité éphémère - un
graffiti à la craie - moquait la pérennité à laquelle tend
l'inscription classique, gravée dans le marbre ou frappée dans le
bronze.
En effet, si les Académiciens du Grand Siècle composaient des
inscriptions pour pérenniser les hauts faits du règne de Louis
XIV, Debord quant à lui en fait autant de programmes en
attente de réalisation : l'inscription devient manière de
prescrire l'histoire, non plus de l'écrire pour la commémorer. Il
a d'ailleurs analysé la transposition de la théorie situationniste
en inscriptions comme la preuve essentielle de sa justesse et de
sa force. On lit dans l'ouvrage collectif composé par l'I.S.
immédiatement après Mai 68, Enragés et situationnistes dans
le mouvement des occupations : " Il est du reste significatif de
constater que les positions, ou les phrases, des deux livres de
théorie situationniste parus dans les derniers jours de 1967 se
retrouvaient transposés sur les murs de Paris et de plusieurs
villes de province par le courant le plus avancé du soulèvement
de mai ; la majorité de ces thèses occupait la majorité des murs.
Comme il fallait s'y attendre, la théorie situationniste est
devenue une force pratique en saisissant les masses. " Et de

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Dépassement de l’art

façon plus lapidaire encore, dans la Préface à la quatrième


édition italienne de 'La Société du Spectacle' : " Il existe
diverses sortes de livres. Beaucoup ne sont même pas ouverts ;
et peu sont recopiés sur les murs. "
Inscriptions portées par dérision sur des toiles, les Directives ne
devaient trouver là qu'un support transitoire avant de retourner
sur les murs : ainsi accompliraient-elles en actes le programme
du dépassement de l'art - et celui de la réalisation de la
philosophie aussi bien, en inspirant un mouvement de
transformation révolutionnaire du réel. Comment expliquer
alors que Debord ait choisi de les occulter, les effacer presque
de la mémoire situationniste pendant plus de trente ans ?
Il faut pour le comprendre opérer un rapprochement entre ces
Directives et un autre " secret " de l'I.S. : les Thèses de
Hambourg. Dans une Note de 1989 publiée (posthume) avec la
dernière réédition d'Internationale Situationniste, Debord
présente ces Thèses comme " assurément le plus mystérieux de
tous les documents qui émanent de l'I.S. " : " Conclusions,
volontairement tenues secrètes, d'une discussion théorique et
stratégique touchant l'ensemble de la conduite de l'I.S. " , elles
auraient été élaborées par Debord, Kotànyi et Vaneigem début
septembre 1961 au retour de la Conférence de Göteborg, " dans
une série aléatoirement choisie de bars de Hambourg " . " Rien
n'a jamais été consigné par écrit concernant cette discussion et
ce qu'elle avait conclu. Il a été convenu alors que le plus simple
résumé de ces conclusions, riches et complexes, pouvait se
ramener à une seule phrase : L'I.S. doit, maintenant, réaliser la
philosophie. Cette phrase même ne fut pas écrite. Ainsi, la
conclusion a été si bien cachée qu'elle est restée jusqu'à présent
secrète. " Comment ne pas noter la coïncidence entre cette
conclusion et l'une des Directives ? Si l'on considère d'autre
part que l'impératif du dépassement de l'art était aussi une des
principales résolutions de la Conférence de Göteborg, la

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Dépassement de l’art

proximité de dates et l'identité partielle de contenu permettent


d'interpréter les Directives comme la trace écrite - réputée
inexistante - de ces Thèses. Debord, comme souvent, aurait
subtilement joué sur les mots : les Directives ne sont pas les
Thèses elles-mêmes, elles en sont une sorte de condensé actif ;
elles n'ont pas été écrites mais inscrites ; elles constituent des
oeuvres plastiques et non des textes.
Les Directives partageaient avec les Thèses une commune
vocation au secret. Leur brève exposition à Odense s'inscrivait
dans une scénographie étudiée : le visiteur n'avait accès à la "
zone de négation " où étaient présentées les peintures qu'après
être passé par " une atmosphère d'abri anti-atomique, comme
premier séjour qui donne à penser " . Après la traversée de cette
caverne symbolique, la contemplation des Directives était
comme le terme d'un parcours d'initiation. Avec les
mystérieuses Thèses dont elles sont l'écho, elles devaient
constituer la doctrine secrète de l'I.S. : une série de
commandements formulés avec une simplicité désarmante,
dont seuls les esprits les plus forts pouvaient saisir toute la
portée. À un tournant dans l'histoire du mouvement, le partage
de ce secret scellait un noyau dur de fidèles. Mais poser ainsi
les règles absolues d'une nouvelle chevalerie spirituelle, c'était
aussi pour Debord une façon de s'identifier plus profondément
à deux figures majeures de son imaginaire : Bernard de
Clairvaux et Hassan Ibn Sabbah, " Le Vieux de la Montagne " .
Au premier l'on a longtemps attribué la règle de l'Ordre des
Templiers, citée dans Panégyrique : " Car de notre vie,
énonçait rudement en son temps la Règle du Temple, vous ne
voyez que l'écorce qui est par dehors... mais vous ne savez pas
les forts commandements qui sont dedans. " Le second,
prophète retranché dans la citadelle d'Alamur, fut le fondateur
de l'Ordre des Assassins ; dans In girum imus nocte et
consumimur igni, Debord évoquera " le secret que le Vieux de

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Dépassement de l’art

la Montagne ne transmit, dit-on, qu'à son heure dernière, au


plus fidèle lieutenant de ses fanatiques : 'Rien n'est vrai ; tout
est permis.' "
Boris Donné.

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Dépassement de l’art

Directives

Direttiva n. 1

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Dépassement de l’art

Direttiva n. 2

Direttiva n. 3

Direttiva n. 4

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Dépassement de l’art

Direttiva n. 5

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Dépassement de l’art

Guy Debord

to

Paul Destribats [1]

12 June 1988

Dear Sir:

It was only the next day that I located, after twenty-


five years of being overlooked, the simple key to all
the amusing mysteries that seem to surround the
"painting,"[2] a photo of which you showed me
yesterday.

I painted, if this word is not a little excessive, as a kind


of homage in the Jornian manner of "modified
paintings,"[3] my Directive No. 4 on a meter of
Gallizio's "industrial painting,"[4] a material that
happened to be at J.V. Martin's place. This is why the
inscribed letters are white; and, moreover, one
distinguishes an obscure "artistic" foundation, different
from the simple color of the walls to which I limited
myself for other inscriptions, [which were] black. This
fact also justifies the different format, an anomaly that
made me quite unjustly suspect a fake.

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Dépassement de l’art

I find confirmation of this explication by re-reading the


catalogue, published in 1963 for the "RSG-6"
exhibition,[5] [a copy of] which you have. I wrote
therein: "The 'directives' exhibited upon empty
canvases or on a detourned abstract painting are to be
considered like the slogans that one can see written on
walls." This detourned painting by Gallizio and the
directive written in my handwriting are in sum an
authentic synthesis; an excellent example of what Jorn
would call a "situationist compromise" and, finally, of
what the SI was artistically and otherwise.

Best to you,
Guy Debord

[1] Translator's note: introduced to Debord by Floriana


Lebovici.

[2] "Abolition of alienated labor," reproduced in Guy


Debord, Oeuvres, Quarto collection, Gallimard, pp.
654-655.

[3] Translator's note: see Asger Jorn's modifications of


paintings by other artists.

[4] Translator's note: see Guiseppe Pinot-Gallizio's


industrial paintings, produced in 1959.

[5] Translator's note: see Debord's letter to J.V. Martin


dated 8 May 1963.

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Dépassement de l’art

(Published in Guy Debord Correspondance, Vol 7:


Janvier 1988-Novembre 1994 by Librairie Artheme
Fayard, 2008. Translated from the French by NOT
BORED! October 2008. Footnotes by the publisher,
except where noted.)

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Dépassement de l’art

Les Situationnistes
et les nouvelles formes d’action
dans la politique ou l’art

Édition originale trilingue (danois, français, anglais)


Destruktion af RSG 6
Galerie EXI, Odense (Danemark), juin 1963

Réédition Mille et une nuits (La Petite Collection, n° 300),


Paris, septembre 2000

LE MOUVEMENT SITUATIONNISTE apparaît à la fois


comme une avant-garde artistique, une recherche
expérimentale sur la voie d’une construction libre de la vie
quotidienne, enfin une contribution à l’édification théorique et
pratique d’une nouvelle contestation révolutionnaire.
Désormais, toute création fondamentale dans la culture aussi
bien que toute transformation qualitative de la société se
trouvent suspendues aux progrès d’une telle démarche unitaire.
Une même société de l’aliénation, du contrôle totalitaire, de la
consommation spectaculaire passive, règne partout, malgré
quelques variétés dans ses déguisements idéologiques et
juridiques. On ne peut comprendre la cohérence de cette
société sans une critique totale, éclairée par le projet inverse

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Dépassement de l’art

d’une créativité libérée, le projet de la domination de tous les


hommes sur leur propre histoire, à tous les niveaux.
Ramener dans notre temps ce projet et cette critique
inséparables (chacun des termes faisant voir l’autre), cela
signifie immédiatement relever tout le radicalisme dont furent
porteurs le mouvement ouvrier, la poésie et l’art modernes, la
pensée de l’époque du dépassement de la philosophie, de Hegel
à Nietzsche. Pour cela, il faut d’abord reconnaître dans toute
son étendue, sans avoir gardé aucune illusion consolante, la
défaite de l’ensemble du projet révolutionnaire dans le premier
tiers de ce siècle, et son remplacement officiel, en toute région
du monde aussi bien qu’en tout domaine, par des pacotilles
mensongères qui recouvrent et aménagent le vieil ordre.
Reprendre ainsi le radicalisme implique naturellement aussi un
approfondissement considérable de toutes les anciennes
tentatives libératrices. L’expérience de leur inachèvement dans
l’isolement, ou de leur retournement en mystification globale,
conduit à mieux comprendre la cohérence du monde à
transformer — et, à partir de la cohérence retrouvée, on peut
sauver beaucoup de recherches partielles continuées dans le
passé récent, qui accèdent de la sorte à leur vérité.
L’appréhension de cette cohérence réversible du monde, tel
qu’il est et tel qu’il est possible, dévoile le caractère fallacieux
des demi-mesures, et le fait qu’il y a essentiellement demi-
mesure chaque fois que le modèle de fonctionnement de la
société dominante — avec ses catégories de hiérarchisation et
de spécialisation, corollairement ses habitudes ou ses goûts —
se reconstitue à l’intérieur des forces de la négation.
En outre, le développement matériel du monde s’est accéléré. Il
accumule toujours plus de pouvoirs virtuels ; et les spécialistes
de la direction de la société, du fait même de leur rôle de
conservateurs de la passivité, sont forcés d’en ignorer l’emploi.
Ce développement accumule en même temps une insatisfaction

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Dépassement de l’art

généralisée et de mortels périls objectifs, que ces dirigeants


spécialisés sont incapables de contrôler durablement.
Le dépassement de l’art étant placé par les situationnistes dans
une telle perspective, on comprendra que lorsque nous parlons
d’une vision unifiée de l’art et de la politique, ceci ne veut
absolument pas dire que nous recommandons une quelconque
subordination de l’art à la politique. Pour nous, et pour tous
ceux qui commencent à regarder cette époque d’une manière
démystifiée, il n’y avait déjà plus d’art moderne, exactement de
la même façon qu’il n’y avait plus de politique révolutionnaire
constituée, nulle part, depuis la fin des années trente. Leur
retour maintenant ne peut être que leur dépassement, c’est-à-
dire justement la réalisation de ce qui a été leur exigence la
plus fondamentale.
La nouvelle contestation, dont parlent les situationnistes, se
lève déjà partout. Dans les grands espaces de la non-
communication et de l’isolement organisés par l’ordre actuel,
des signaux surgissent, à travers des scandales d’un genre
nouveau, d’un pays à l’autre, d’un continent à l’autre ; leur
échange est commencé.
Il s’agit pour l’avant-garde, partout où elle se trouve, de relier
entre eux ces expériences et ces gens ; d’unifier en même
temps que de tels groupes, la base cohérente de leur projet.
Nous devons faire connaître, expliquer et développer ces
premiers gestes de la prochaine époque révolutionnaire. Ils sont
reconnaissables en ceci qu’ils concentrent en eux des formes
nouvelles de lutte et un nouveau contenu, manifeste ou latent,
de la critique du monde existant. Ainsi la société dominante,
qui se flatte tant de sa modernisation permanente, va trouver à
qui parler, car elle a enfin produit une négation modernisée.
Autant nous avons été sévères pour refuser que se mêlent au
mouvement situationniste des intellectuels ambitieux ou des
artistes incapables de nous comprendre vraiment, pour rejeter

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Dépassement de l’art

et dénoncer diverses falsifications dont le prétendu


« situationnisme » nashiste est le plus récent exemple, autant
nous sommes décidés à reconnaître comme situationnistes, à
soutenir, à ne jamais désavouer, les auteurs de ces nouveaux
gestes radicaux, même si parmi eux plusieurs ne sont pas
encore pleinement conscients mais seulement sur la voie de la
cohérence du programme révolutionnaire d’aujourd’hui.
Limitons-nous à quelques exemples de gestes que nous
approuvons totalement. Le 16 janvier, des étudiants
révolutionnaires de Caracas ont attaqué à main armée
l’exposition d’art français, et ont emporté cinq tableaux dont ils
ont proposé ensuite la restitution en échange de la libération de
prisonniers politiques. Les tableaux ayant été ressaisis par les
forces de l’ordre, non sans que Winston Bermudes, Luis
Monselve et Gladys Troconis se soient défendus en faisant feu
sur elles, d’autres camarades ont jeté quelques jours après sur
le camion de la police qui transportait les tableaux récupérés
deux bombes qui n’ont malheureusement pas réussi à le
détruire. C’est manifestement là une manière exemplaire de
traiter l’art du passé, de le remettre en jeu dans la vie, et sur ce
qu’elle a de réellement important. Il est probable que depuis la
mort de Gauguin (« J’ai voulu établir le droit de tout oser ») et
de Van Gogh jamais leur œuvre, récupérée par leurs ennemis,
n’avait reçu du monde culturel un hommage qui s’accorde,
comme cet acte des Vénézuéliens, à leur esprit. Pendant
l’insurrection de Dresde en 1849, Bakounine avait proposé,
sans être suivi, de sortir les tableaux du musée et de les mettre
sur une barricade à l’entrée de la ville, pour voir si les troupes
assaillantes n’en seraient pas gênées pour continuer leur tir. On
voit donc à la fois comme cette affaire de Caracas renoue avec
un des plus hauts moments de la montée révolutionnaire au
siècle dernier, et comme d’emblée elle va plus loin.

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Dépassement de l’art

Non moins motivée nous paraît l’action des camarades danois


qui, dans les dernières semaines, ont plusieurs fois recouru à la
bombe incendiaire contre les agences qui organisent les
voyages touristiques en Espagne, ainsi qu’à des émissions
radiophoniques clandestines pour alerter l’opinion contre
l’armement thermonucléaire. Dans le cadre du confortable et
ennuyeux capitalisme « socialisé » des pays scandinaves, il est
très encourageant que surgissent des hommes qui, par leur
violence, font découvrir quelques aspects de l’autre violence
qui fonde cet ordre « humanisé », son monopole de
l’information par exemple, ou l’aliénation organisée dans les
loisirs ou le tourisme. Avec le revers horrible que l’on doit
accepter en surplus dès que l’on accepte l’ennui confortable :
non seulement cette paix n’est pas la vie, mais elle repose sur
la menace de mort atomique ; non seulement le tourisme
organisé n’est qu’un spectacle misérable qui recouvre les pays
réels traversés, mais encore la réalité du pays que l’on vous
transforme ainsi en spectacle neutre, c’est la police de Franco.
Enfin l’action des camarades anglais qui ont divulgué en avril
l’emplacement et les plans de l’« Abri gouvernemental de la
Sixième Région » a l’immense mérite de révéler le degré déjà
atteint par le pouvoir étatique dans son organisation du terrain,
la mise en place très avancée d’un fonctionnement totalitaire de
l’autorité, qui n’est pas seulement lié à la perspective de la
guerre. C’est bien plutôt la menace partout entretenue d’une
guerre thermonucléaire qui dès à présent, à l’Est et à l’Ouest,
sert à tenir les masses dans l’obéissance et à organiser les abris
du pouvoir. À renforcer les défenses psychologiques et
matérielles du pouvoir des classes dirigeantes. Le reste de
l’urbanisme moderne en surface obéit aux mêmes
préoccupations. Nous écrivions déjà en avril 1962, dans le
numéro 7 de la revue situationniste de langue française
Internationale situationniste, à propos des abris individuels

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Dépassement de l’art

construits aux États-Unis durant l’année précédente : « Comme


dans tous les rackets, la protection n’est ici qu’un prétexte. Le
véritable usage des abris, c’est la mesure — et par là même le
renforcement — de la docilité des gens, et la manipulation de
cette docilité dans un sens favorable à la société dominante.
Les abris comme création d’une nouvelle denrée consommable
dans la société de l’abondance, prouvent plus qu’aucun des
produits précédents que l’on peut faire travailler les hommes
pour combler des besoins hautement artificiels ; et qui à coup
sûr restent besoins sans avoir jamais été désirs. L’habitat
nouveau qui prend forme avec les “grands ensembles” n’est
pas réellement séparé de l’architecture des abris. Il en
représente seulement un degré inférieur ; bien que leur
apparentement soit étroit. L’organisation concentrationnaire de
la surface est l’état normal d’une société en formation dont le
résumé souterrain représente l’excès pathologique. Cette
maladie révèle mieux le schéma de cette santé. »
Les Anglais viennent d’apporter une contribution décisive à
l’étude de cette maladie, et donc aussi à l’étude de la société
« normale ». Cette étude est elle-même inséparable d’une lutte
qui n’a pas craint de passer outre aux vieux tabous nationaux
de la « trahison », en brisant le secret qui est vital pour la
bonne marche du pouvoir dans la société moderne, à tant de
propos, derrière l’écran épais de son inflation
d’« information ». Le sabotage a été étendu ultérieurement,
malgré les efforts de la police et de nombreuses arrestations, en
envahissant par surprise des états-majors secrets isolés dans la
campagne (où certains responsables ont été photographiés de
force) ou en bloquant systématiquement quarante lignes
téléphoniques des centres de sécurité britanniques, par l’appel
ininterrompu des numéros ultra-secrets également découverts.
C’est cette première attaque contre l’aménagement dominant
de l’espace social que nous avons voulu saluer, et étendre, en

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Dépassement de l’art

organisant au Danemark la manifestation « Destruction de


RSG 6 ». Ce faisant nous n’envisageons pas seulement
l’extension internationaliste de cette lutte, mais également son
extension à un autre front, à l’aspect artistique, de la même
lutte globale.
La création culturelle que l’on peut appeler situationniste
commence avec les projets d’urbanisme unitaire ou de
construction des situations dans la vie, et les réalisations n’en
sont donc pas séparables de l’histoire du mouvement de la
réalisation de l’ensemble des possibilités révolutionnaires
contenues dans la société présente. Cependant dans l’action
immédiate, qui doit être entreprise dans le cadre que nous
voulons détruire, un art critique peut être fait dès maintenant
avec les moyens de l’expression culturelle existante, du cinéma
aux tableaux. C’est ce que les situationnistes ont résumé par la
théorie du détournement. Critique dans son contenu, cet art doit
être aussi critique de lui-même dans sa forme. C’est une
communication qui, connaissant les limitations de la sphère
spécialisée de la communication établie, « va maintenant
contenir sa propre critique ».
À propos de « RSG 6 », nous avons aménagé d’abord une
atmosphère d’abri anti-atomique, comme premier séjour qui
donne à penser, après lequel on rencontre une zone de négation
conséquente de ce genre de nécessité. L’art utilisé ici d’une
façon critique est la peinture.
Le rôle révolutionnaire de l’art moderne, qui a culminé avec le
dadaïsme, a été la destruction de toutes les conventions dans
l’art, le langage ou les conduites. Comme évidemment ce qui
est détruit dans l’art ou dans la philosophie n’est pas encore
pour autant balayé concrètement des journaux ou des églises, et
comme la critique des armes n’avait pas suivi alors certaines
avances de l’arme de la critique, le dadaïsme lui-même est
devenu une mode culturelle classée, et sa forme a été

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Dépassement de l’art

récemment retournée en divertissement réactionnaire par des


néo-dadaïstes qui font carrière en reprenant le style inventé
avant 1920, exploitant chaque détail démesurément grossi, et
faisant servir un tel « style » à l’acceptation et à la décoration
du monde actuel.
Cependant la vérité négative qu’a contenu l’art moderne a
toujours été une négation justifiée de la société qui l’entourait.
En 1937 à Paris, quand l’ambassadeur nazi Otto Abetz
demandait à Picasso devant son tableau Guernica : « C’est
vous qui avez fait cela ? », Picasso répondait bien justement :
« Non. C’est vous. »
La négation, et aussi l’humour noir, qui se sont tant répandus
dans la poésie et l’art modernes après l’expérience du premier
conflit mondial, méritent sûrement de réapparaître à propos du
spectacle du troisième conflit mondial, spectacle dans lequel
nous vivons. — Alors que les néo-dadaïstes parlent de charger
de positivité (esthétique) le refus plastique de Marcel Duchamp
autrefois, nous sommes sûrs que tout ce que le monde nous
donne actuellement comme positif ne peut que recharger sans
fin la négativité des formes d’expression actuellement
permises, et par ce détour constituer le seul art représentatif de
ce temps. Les situationnistes savent que la positivité réelle
viendra d’ailleurs, et que dès à présent cette négativité y
collabore.
Au-delà de toute préoccupation picturale ; et même espérons-
nous au-delà de tout ce qui peut rappeler une complaisance à
une forme, périmée depuis plus ou moins longtemps, de la
beauté plastique, nous avons tracé ici quelques signes
parfaitement clairs.
Les « directives » exposées sur des tableaux vides ou sur un
tableau abstrait détourné sont à considérer comme des slogans
que l’on pourra voir écrits sur des murs. Les titres en forme de
proclamation politique de certains tableaux ont bien sûr le

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Dépassement de l’art

même sens de dérision et de retournement du pompiérisme en


vogue, qui cherche à s’établir sur une peinture de « signes
purs », incommunicables.
Les « cartographies thermonucléaires » dépassent d’emblée
toutes les laborieuses recherches de « nouvelle fiiguration » en
peinture, puisqu’elles unissent les procédés les plus libérés de
l’action-painting à une représentation, qui peut prétendre à la
perfection réaliste, de plusieurs régions du monde à différentes
heures de la prochaine guerre mondiale.
Avec la série des « victoires » il s’agit — mélangeant là encore
la plus grande désinvolture ultra-moderne au réalisme
minutieux d’un Horace Vernet — de renouer avec la peinture
de batailles ; mais à l’inverse de Georges Mathieu et du
retournement idéologique rétrograde sur lequel il a fondé ses
minimes éclats publicitaires, le renversement auquel nous
aboutissons ici corrige l’histoire du passé en mieux, en plus
révolutionnaire et en plus réussie qu’elle n’a été. Les
« victoires » continuent ce détournement optimiste-absolu par
lequel Lautréamont déjà, payant d’audace, s’est inscrit en faux
contre toutes les apparences du malheur et de sa logique : « Je
n’accepte pas le mal. L’homme est parfait. L’âme ne tombe pas.
Le progrès existe… Jusqu’à présent, l’on décrit le malheur,
pour inspirer la terreur, la pitié. Je décrirai le bonheur pour
inspirer leurs contraires… Tant que mes amis ne mourront pas,
je ne parlerai pas de la mort. »
Juin 1963
GUY DEBORD

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Dépassement de l’art

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Dépassement de l’art

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Dépassement de l’art

Appendice:

Situationist Map of Denmark

Notes on the Situationist International in


Denmark

While the actions and writings of the French, Italian


and German situationists have received quite a lot of
attention during the last 10 to 15 years, the actions of
the Danish section remain largely unevaluated. This is
peculiar since a number of Danish artists like Asger
Jorn, Jørgen Nash, J. V. Martin and Peter Laugesen were
members of this artistic-political organisation, which
devoted its existence to the realisation of nothing less
than a mental revolution. When the Situationist
International was founded in 1957 on the ruins of
former avant-garde groups like COBRA and the
lettrists, the situationists gave themselves the
assignment to accelerate the cultural dissolution of the
present society. The artists in the group had to

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Dépassement de l’art

supersede the artistic scandals of the interwar avant-


garde using the technique of détournement.
Confronted with the consumer culture of the post-war
era, the integration of the artistic avant-garde into the
institution of art, and the return of civil war (Algeria),
scandal was only the first negation. Now, art must be
abolished through the realisation of concrete
subversions in everyday life.

According to the situationists the methods developed


by the interwar artistic and political avant-garde were
insufficient as they were not equal to the historical
situation. If artists were to be revolutionary, they
should appropriate the products and representations of
society and use these representations for specific
propagandist purposes. Real class warfare should be
fought in the realm of ideology through a critique of
the sparkling representations post-war society sold as
replacements for the absent, authentic imagination. As
the situationists explained in their characteristically
sharp, empty and totalistic rhetoric: “We are only
artists insofar as we are no longer artists: we want to
realise art.” Even though a critique of representations
remained of pivotal importance throughout the
existence of the Situationist International, the massive
exclusions of the years 1961 and 1962 caused the
group to concentrate on the development of a radical
and all-inclusive theory on the alienating society of the
spectacle and its destruction.

During the first period of the group's existence, when


the development of an anti-art was still on the agenda,

27
Dépassement de l’art

Asger Jorn played an important role. Through him


several Scandinavian artists became members of the
situationist group. The majority of these – among them
Jorn’s brother Jørgen Nash – were excluded during
discussions about art's role in the critique of the
society of the spectacle. At that time, in 1962, Jorn had
himself already left the group, not wanting to
compromise the situationist organisation through his
growing success as an artist and his contact to the
established art world. Nevertheless, Jorn kept on
financing the journal International Situationniste and
became a secret member of the situationist group
under the name of George Keller. The complex
disagreements that led to the split of the group in
1962 had to do with the question of whether artistic
activity could produce anything other than a
consolidation of the ruling order and its values. During
these discussions two fractions became visible: on the
one hand a mainly French and Belgian group around
Guy Debord and Raoul Vaneigem, demanding that the
use of art was described as ‘anti-situationist’ and on
the other a group of mostly Scandinavian and German
artists, led by Nash, wanting to keep open the
possibility of art playing a role in the service of the
revolution. The composition of the two fractions was
unclear at first and at a conference in Göteborg in
1961 an agreement was reached which supported the
French position. According to an account of the
meeting published in Internationale situationniste, only
Nash objected. This agreement only lasted briefly
however and when the German section Gruppe Spur

28
Dépassement de l’art

published their journal without seeking permission


from the newly created central committee, the ensuing
conflict culminated in the exclusion of not only the
Germans but also more or less all Scandinavian
members.

After the break in 1962, it was left to J. V. Martin to run


the Scandinavian section of the Situationist
International. Based in the city of Randers Martin spent
the following years organising a campaign against the
’nashist’ fraction. He also managed to publish the
journal Situationistisk Revolution and arranged actions
directed against instantiations of authority such as the
Danish Monarchy and NATO. Martin remained a
member of the situationist group until 1972 when, to
his disappointment, Debord and Gianfranco
Sanguinetti dissolved the group.

Together with the other excluded Scandinavian


members, Nash created the 2. Situationist
International in 1962. Through a number of spectacular
actions this group initiated, Nash and his comrade in
spirit Jens-Jørgen Thorsen were able to leave their
mark on the Danish cultural life of the 1960s. Most
famous among the actions was the decapitation of
Copenhagen’s ‘little mermaid’ statue. Nash and
Thorsen tried to use the creativity which normally
remained concealed within the artistic sphere directly
in society; they wanted to activate the traditionally
passive spectator and turn him/her into an active co-
creator of concrete situations of play.

29
Dépassement de l’art

The following text is composed around four Danish city


names, which function as headlines to situationists’
activity in Denmark. This subject has been largely
neglected and needs to be included both in Danish art
history and the history of the Situationist International.
The text is intended as a temporary map. I have
limited the cities to four – all of which provided a
backdrop for significant situationist events: Odense,
Silkeborg, Randers and Copenhagen.

Odense

In the newly established Galleri Exi, the manifestation


”Destruction of RSG-6” opened on the 22nd of June
1963. The gallery was situated in the basement of the
first collective in Denmark, which was run by Mogens
Amdi Pedersen, the subsequently notorious leader of
the Danish pedagogical experiment Tvind. The
manifestation was created by the Situationist
International. They turned the first room of the gallery
into a shelter with sirens, stretchers and corpses. In
the next room pictures of contemporary politicians like
president Kennedy, Khrushchev, de Gaulle and the
Danish foreign minister Per Hækkerup had been
mounted on the wall as targets. The audience were
told to use a rifle and shoot at them. If they managed
to hit a politician’s eye they would obtain a free copy
of the catalogue. Adjacent to the targets hung a series
of Debord’s so-called directives. These were white
canvases on which Debord had written slogans like:
“Abolition du travail aliènè” (Abolition of alienated
labour). In the next room J. V. Martin showed his

30
Dépassement de l’art

‘thermonuclear maps’. These were large paintings


depicting the world after the outbreak of the third
world war. Michele Bernstein’s plaster tableaux with
plastic soldiers were placed next to Martin’s maps. The
tableaux showed the history of the proletariat’s
continued defeats transformed into victories: “Victoire
de la Commune de Paris” (Victory of the Commune in
Paris).

The manifestation was conceived as a continuation of


the action undertaken two months prior by a group of
British activists calling themselves Spies for Peace. The
British activists had broken into a secret Reading bomb
shelter called RSG-6 where the British government had
planned to hide in case of a nuclear attack. Following
their discovery of the government's secret plans the
activists had printed a small pamphlet in which they
made public the plans as well as the existence of
secret shelters reserved for politicians and civil service
personnel. The pamphlet’s publication caused a
scandal in Britain and attracted considerable attention.
The Danish situationists were not slow to respond.

The political culture of the early 1960’s continued to


be marked by the nihilistic crisis, which followed the
self-destruction of nazism and the polarisation of the
globe into the East/West oppositions of the cold war.
Although a politically conservative culture was slowly
being replaced by the more optimistic one fostered by
the expanding economies of the Western countries,
events like the erection of the Berlin Wall ensured this
change was short lived. The year before the

31
Dépassement de l’art

manifestation took place in Odense, the world had


been brought to the brink of nuclear war when
American aircraft discovered that the Soviet Union was
preparing to install earth-to-earth missiles in Cuba.
President Kennedy briefed the American public on the
matter in a nation-wide TV-speech on the 22nd of
October when he launched a blockade against Cuba.
At that moment Soviet ships carrying missiles were
already on their way across the Atlantic Ocean to
Cuba. Several hair-raising days followed, during which
the Soviet ships continued their course and the armies
of the two superpowers were put on a state of high
alert. The risk of nuclear war seemed immanent but in
the final hour the Soviet ships were called back.

The events of the Cold War and the threat of mutually


assured destruction contributed to the creation of the
protest movement, of which the Spies for Peace group
formed a part. In accordance with their theories the
Situationist International regarded themselves as the
brain of this growing protest movement. In so far as
they were the avant-garde of the avant-garde the
situationists had developed an adequate revolutionary
theory uniting the destruction of art with
contemporary political struggle. The action in England
was to be put into a proper historical and theoretical
setting by the situationists who presented the Odense
manifestation as its continuation and as an extension
of the battle against the ruling powers. The
manifestation was intended to widen the perspective,
fusing isolated and concrete phenomena (such as
Spies for Peace) into a total situationist critique. The

32
Dépassement de l’art

destruction of art and political revolution were two


sides of the same coin. Therefore the situationists
attempted to stage a kind of total context-text, in
which revolutionary consciousness and artistic critique
were united. In so far as art was trapped in a
dialectical position between subversion and
subvention of dominant values, the manifestation in
Odense (including Martin’s cartographies and Debord’s
directives) had to produce both a critique of modern
art and, in the negative, refer to the authenticity art
had possessed before it was recuperated by
spectacular market society. “Destruction of RSG-6”
was thus an attempt to challenge the occupation of art
by the spectacle. Debord’s directives, Martin’s maps
and Bernstein’s victories were all examples of a
situationist use of art in which an anti-ideological
communication was supposed to appear through the
critique and stultification of modern art. In Martin’s
maps it was abstract expressionism that was ridiculed
and turned upside down. In Bernstein’s victories it was
both monochrome painting and the nouveaux
réalistes. According to the situationists all these
contemporary artistic practices were examples of how
the spectacle had reduced art to the aesthetic
preservation of alienation and separation. The artists
performed a fully ideological task. The role of the work
of art in the society of the spectacle was to affirm the
alienation of that which, in art, caused revolt and
critique against insensitivity and conformism.

The manifestation in Odense received quite a lot of


attention in the Danish newspapers but failed to

33
Dépassement de l’art

generate many dedicated reviews. In most


contemporary writing on “Destruction of RSG-6” it was
presented as a comical incident, with one particularly
telling headline describing it as “A cracking painting
show”. In the only real review published in the Danish
daily Politiken, the critic Pierre Lübecker expressed his
doubts as to whether the manifestation was an art
exhibition at all. He finished his review by writing: “It is
of course against the war itself and the totalitarian
state power that they [the situationists] object and
they will probably interpret it as a compliment when it
is said that they don’t do it with artistic means. But it
is not intended as such by yours truly.”

The situationists themselves were not content with the


course of events and on the 4th of July Danish SI
members J. V. Martin, Peter Laugesen and Hervard
Merved demanded the manifestation to be terminated.
According to the situationists Galleri Exi had closed the
first room, the shelter, and allowed the audience to
make their way directly to the targets and anti-works.
This was unacceptable to the situationists. Tom
Lindhardt, the owner of the gallery, responded that the
situationists’ exaggerated demands were impossible to
satisfy. When it was closed down, there were only a
few days left of the manifestation’s scheduled period.
Both the closure and subsequent fuss in the press
were probably planned in advance, since the
situationists wanted to confirm their anti-artistic
stance and gain as much attention as possible for their
theories. In retrospect the course of events in Odense
appear as a desperate attempt to have it both ways:

34
Dépassement de l’art

use art in a situationist way while rejecting art and its


infrastructure. The situationists were caught between
on the one hand the need for publicity and recognition
and on the other the belief that any attention or
recognition would damage and compromise their
entire project, ultimately preventing the advent of the
much desired revolution. Because the situationists
tended to reject the possibility of authentic artistic
communication, there was little they could do apart
from abandon art and disappear. On the one hand it
was necessary for the situationists to keep a certain
distance from the modern world of the spectacle
whose offer of a place in the spotlight constituted an
attempt to neutralise them. On the other it was
necessary to challenge the spectacular market society
here and now with a concrete and topical project.
Acuity, secrecy and teleology fused in the obscure
situationist mixture. It became extremely difficult to
locate the difference between a critique of institutions
and incorporation into them; between appropriation
and recuperation. The situationists were being pulled
apart by the suffocating tension between this world
and the one they desired; between what was and what
ought to be. Caught in this limbo the situationists went
on, blind to themselves. This ignorance devoured
them: like all true avant-gardes the situationists were
first and foremost a vanguard for themselves. That is
why they persecuted themselves, and forced a
constant rejection of their rearguard. They were the
present seen from the future.

Silkeborg

35
Dépassement de l’art

After Asger Jorn had donated a large amount of art


works by artists like Dubuffet, Henri Michaux and
Roberto Matta to the museum in Silkeborg in 1950’s, in
1960 it was decided to set up a situationist library at
the museum. This decision coincided with a visit by
Jorn and Debord who, when they came to Silkeborg,
also went to visit the old syndicalist Christian
Christensen, who had introduced Jorn to alternative
Marxism in his youth. The library was to be set up
according to a scheme that Debord drew up during
their stay in Silkeborg. It was to be divided into four
different sections. The first of these was to contain pre-
situationist material and had four subcategories: A)
COBRA (with a section on the origins of COBRA and
Surréalisme Révolutionnaire), B) lettrism (with a
section on Isidore Isou’s lettrism after 1952), C) The
Movement for an Imaginist Bauhaus, D) the
international lettrists. The second section was
supposed to contain situationist material: journals,
leaflets, posters and other printed matter. The third
was the so-called historical section and contained
material about the situationists authored by others.
The last section was the copy-section, which was to
present examples of works imitating the situationists.
In a small notice in the fifth issue of Internationale
situationniste it was the last section that was singled
out as being most important. The fact that the
situationist followers had just copied and thereby
falsified the situationist project made it all the easier to
condemn their practices. The last section was also
supposed to hold a number of different diagrams

36
Dépassement de l’art

depicting the historical development of the avant-


garde. They were supposed to show that the
Situationist International was the only authentic
contemporary avant-garde, an avant-garde true to the
project of the interwar dada and surrealist
experiments. As the organisation of the library makes
clear, the most important creation of the situationists
were themselves. In a contra-revolutionary moment,
the self-realisation of the avant-garde was both the
most difficult and important task an avant-garde could
set itself. This realisation was however complicated by
the fact that the spectacle sought to recuperate the
avant-garde by any means necessary. The avant-garde
should therefore shun any contact with the cultural
establishment; it must refuse containment by the
pacifying representations of the spectacle,
representations that reduced people to the stale
identities of artist, politician, revolutionary, writer,
filmmaker, etc. These identities now prevented people
from performing activities once prescribed by these
terms. The avant-garde faced the problem that any
realisation, any created work, was a concession to the
ruling powers and to the banality of the old culture.
Therefore the situationists had to conceal every
‘finished’ object, mask themselves and realise their
actions in a hurry without leaving traces. If the
institutions of the spectacle spotted the avant-garde
and its possible realisations they would suck up and
tame the avant-garde and use it to keep intact the
deceitful world of the spectacular commodity. If the
avant-garde was to succeed it should cancel its own

37
Dépassement de l’art

conditions of existence and become invisible. The


avant-garde should work towards its own abolition: The
situationist library in Silkeborg was never realised.

Randers

After Jørgen Nash and the other Scandinavian


members of the Situationist International had been
excluded in 1962, it was up to the painter J. V. Martin
to lead the Scandinavian section. Martin’s hometown,
Randers in Jutland, subsequently became the centre
for situationist activities in Denmark. During the next
decade Martin more or less single-handedly organised
a range of events, which caused small scandals in
Denmark. Following the founding of the 2. Situationist
International by Nash and his compatriots, Martin
directed a series of attacks against Nash and the other
renegades. In the eyes of the ‘original’ situationists,
like Debord, Martin and the others, the Nashists
‘falsely’ presented themselves as situationists to a
Scandinavian public. In articles and interviews Martin
objected to Nash’s misuse of the situationists’ theories
and vocabulary and described him as a ‘parasite’. The
2. Situationist International was nothing but a “baby
soothing, court jesting and peasant girlish romantic
escape from reality”. Martin and the situationists
presented the exclusions as simply a question of the
proper understanding of situationist ideas. The
exclusions were a necessary condition for the
revolutionary clarity the situationist avant-garde
should express. If situationist ideas were used as
legitimation for different artistic or semi-artistic

38
Dépassement de l’art

activities, the institution would swallow the


revolutionary avant-garde. Fellow travellers were not
accepted.

Martin’s staging of the manifestation “Destruction of


RSG-6” functioned both as a critique of the threat of
nuclear war and a response to the Nashist exhibition
“Seven Rebels” the year before in Odense. But Martin
really became the man of the moment in December
1964, when he produced and distributed two postcards
with anti-royal content. The postcards, which were
produced in a run of 2000, each showed a naked
woman with text bubbles attached. In one a girl,
stripped to the waist, lay in a wicker chair saying: “The
liberation of the working class is its own work!” On the
other, a well known photo of the British prostitute
Christine Keeler was reproduced. She says, “As the
Situationist International says: It is more honourable to
be a prostitute like me than marry a Fascist like
Konstantin.” Keeler had been involved in a big scandal
the year before: the so-called Profumo-affair hinged on
Keeler having an affair with the British minister of
defence while simultaneously sleeping with a Soviet
naval officer. The postcard’s most provocative element
was nevertheless the text bubble in which the recently
celebrated marriage between Danish Princess Anne-
Marie and the Greek King Konstantin was commented
on in terms which left little doubt as to the situationist
attitude towards the political situation in Greece. The
combination of the naked British prostitute and the
text bubble proved too much for Inge Hansen, the
chairman of religious and anticommunist organisation

39
Dépassement de l’art

Moralsk Oprustning (Moral Rearmament). She reported


Martin to the police and accused him of lese-majesty.
The case was dropped, according to the situationists
because the police and the Danish government wanted
to avoid further scandal.

The postcards are a good example of the activity the


situationists undertook after they left the art world
behind. When they practised their interventions into
the social imagery, they of course used insights and
practices from dada and surrealism. Despite this, the
situationists did not consider their actions as art in a
traditional sense. They looked upon themselves as a
revolutionary groupuscule that had understood that art
was a thing of the past and of no use to present critical
tasks. Instead of creating works of art, the situationist
avant-garde occupied itself with the theoretical
organisation of resistance against the spectacle. ‘Art’
created a passive spectacular relationship. All artistic
media, including visual art, literature and cinema, were
one-sided spectacular expressions which the
situationists sought to dominate or interrupt.

That the Situationist International constituted a real


danger to the society of the spectacle was, according
to them, confirmed in 1965 when a bomb exploded in
Martin’s house in Randers during a demonstration
against NATO. Søren Kanstrup, a former East German
spy who took part in the rally, had brought a bomb to
Randers from Copenhagen. The bomb exploded in
mysterious circumstances in Martin’s house,
destroying the interior and more or less his entire

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Dépassement de l’art

archive. Kanstrup was arrested but the case was never


solved. The situationists never had any doubt that
Kanstrup was an agent provocateur for the police and
the Danish Communist Party, DKP. According to the
situationists, the forces of law and order and the
Stalinists had joined forces to counteract the
Situationist International and the growing protest
movement. The incident in Randers confirmed this self-
conception and revolutionary propaganda was
intensified.

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