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Jean-Pierre Baudet

Anders
Gli opuscoli di Omar Wisyam

Volume n. 15
Anders

Jean-Pierre Baudet Pagina 2


Anders

GÜNTHER ANDERS

« DIE ANTIQUIERTHEIT DES


MENSCHEN »

RÉSUMÉ
ÉPURATOIRE

Premier volume publié en 1956

Dans le monde moderne, l'individu ne


dispose de choix que parce que ceux-
ci sont déjà faits (p. 1) — Les
« moyens » (techniques) n'en sont
pas : ce sont des décisions déjà prises
sur la vie de chacun, la preuve en
étant qu'il n'y a pas des moyens isolés,
mais un système d'objets dont chaque
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objet est un élément, une pièce, qui


appelle l'ensemble (p. 2) — La
« culture de masses » est un
analphabétisme post-littéraire, une
marée d'images qui bouche les yeux
de ceux qui n'ont plus rien à dire
(p. 3) — L'image ne peut expliquer le
monde, mais seulement assommer le
spectateur par des lambeaux qui
cachent la logique réelle (p. 4) — Du
fait que production et vente d'objets
industriels doivent sans cesse
progresser, toute critique est un
sabotage du « progrès » et qualifiée
de réactionnaire (p. 4) —
L'assimilation de la critique à un
simple chipotage réactionnaire fut
inaugurée par le national-socialisme
(p. 5) — Le destin, ce fut la politique
(selon Napoléon), puis l'économie

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(selon Marx), aujourd'hui c'est la


technique (p. 7) — Réflexions
oiseuses sur l'objet de la philosophie
aujourd'hui (p. 11 à 14) — L'étrangeté
d'objets surréalistes en présence
réalisée et dépassée par celle d'un
permanent face à face entre l'homme
et la pensée d'ordinateur (p. 16) — La
déhiscence entre les rapports de
production et les représentations
idéologiques (chez Marx) une seule
parmi tant d'autres : entre l'action et la
représentation, entre l'action et le
sentiment, entre le savoir et la
conscience, entre le corps et la
technique : l'homme apparaît comme
un carrefour de « retards » d'un
facteur sur l'autre, comme l'exact
contraire de l'idéal de la
« personnalité harmonieuse » du

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XIXe siècle (p. 17) — La conception


classique de la finitude humaine (vie
limitée par la mort) est une
abstraction salonnarde face aux
limitations effectives et réelles
(l'insuffisance des fonctions naturelles
de l'individu face à une puissance
sociotechnique non maîtrisée) —
Nécessité « d'exagérer » les tendances
actuelles pour figurer leur
aboutissement futur, sous peine de ne
pas reconnaître les tendances elles-
mêmes (p. 20) — Dans sa timidité
devant les objets, l'homme vénère ces
derniers comme des autorités
ontologiques, comme une classe
sociale supérieure (p. 23) —
L'homme moderne a honte de
devenir, plus ou moins aléatoirement,
ce qu'il est, au lieu d'être

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téléologiquement produit comme les


engins (p. 24) — Ce n'est plus
l'orgueil prométhéen, c'est la honte
prométhéenne (= de s'être fait soi-
même) — Le sentiment d'insuffisance
provient du mode marchand de
l'appropriation, où cette dernière ne
répond pas à une manifestation d'une
faculté ou d'un talent, mais d'un
manque, comblé par un achat (p. 27)
— Les vitrines illustrent en
permanence avec pesanteur tout ce
qui toujours échappera à l'individu
(p. 28) — L'individu moderne n'a pas
honte de sa réification, mais de
l'insuffisance de sa réification (p. 29)
— L'imperfection instrumentale du
vivant apparaît comme manque à la
conscience abusée (p. 30) — La
timidité du consommateur devant la

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marchandise devient timidité des


parents devant l'enfant, auprès duquel
les anciens cherchent à se substituer
des équipements ersatz, en raison de
leur propre insuffisance notoire
(p. 35) — C'est l'engin technique et
marchand qui devient à son tour
consommateur (= sujet de la demande
d'être équipé, nourri, entretenu, etc.)
(p. 40) — En soumettant son corps et
son esprit aux exigences du système
moderne, l'individu accomplit les rites
d'initiation, qui n'ont donc pas disparu
de la société : les machines y ont
seulement remplacé les anciens
(p. 41) — L'individu moderne n'a pas
peur d'être utilisé (employé, exploité),
mais de ne pas l'être (p. 42) — La
version moderne de l'immortalité,
c'est l'existence en série, où des êtres

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pseudo-individuels se succèdent sans


interruption : la marchandise accède à
cette divinité, devant des hommes
misérablement mortels (p. 51) —
L'industrie est platonicienne, en ce
sens que l'eidos préexiste à sa
réalisation standardisée éphémère
(p. 52) — En mourant, l'homme
n'accède pas à l'Olympe des produits
calibrés, mais à l'Hadès des matières
premières brutes, indignes (p. 54) —
Par l'image, l'homme cherche à
construire la dénégation de sa
finitude : la vedette
cinématographique entre dans
l'éternité pour avoir consenti à
devenir une pure image (p. 57) — La
vedette fait facilement de la publicité
pour une marchandise, car l'âne se
frotte à l'âne : les immortels en

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famille (p. 57) — Lorsque le général


Mac Arthur voulut transformer la
guerre de Corée en Troisième Guerre
Mondiale, on lui retira la décision non
par désaccord avec ses intentions,
mais pour s'en remettre aux
ordinateurs « stratégiques » (p. 60) —
Mac Arthur (vexé) démissionna... et
devint PDG d'un groupe industriel
spécialisé dans les ordinateurs de
bureau (p. 63) — Contrairement à la
morale, qui croit qu'on a honte des
fautes qu'on a positivement
commises, les faits démontrent qu'on
a honte de ce qu'on n'a pas fait, de son
impuissance, de sa passivité, de ce
qu'on subit (p. 70) — Dans un monde
marchand, non seulement l'homme est
spectateur des choses mais il l'est de
lui-même au sens où il se sent épié

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par les choses et leur exigence


implicite d'une adéquation de
l'homme avec elles (p. 81-82) —
Propagande du travail mécanique
(répétitif) à travers les néomusiques
(rythme pauvre et syncopes érigées en
principe de « composition ») (p. 84)
— Le travail industriel comme
construction active de sa propre
passivité physique et mentale (p. 90)
— L'humanité commence là où la
distinction opératoire entre moyen et
but cesse (p. 100) — La
consommation de masse ne peut
s'accomplir que dans l'isolement de
chacun : chaque consommateur est un
travailleur à domicile non payé
coopérant à produire l'homme de
masse (p. 101) — Impossibilité
historique de délimiter production et

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consommation (ce que Marx avait


commencé par appeler consommation
productive, mais dont Anders ne pipe
mot) : le travailleur à domicile (en
tant que transformateur de sa propre
nature en spectateur aliéné) n'est pas
rétribué, mais paie lui-même pour
accomplir ce labeur, il doit même
acheter la perte de sa liberté (p. 103)
— Les spectacles de masse nazis sont
devenus inutiles, aucune dépossession
de l'homme n'étant aussi efficace que
celle qui simule le respect de la liberté
individuelle (p. 104) — La télévision,
installée chez les gens, détruit la
collectivité familiale en la
déréalisant : « lorsqu'un fantôme
devient réel, la réalité devient
fantomatique » (p. 105) — La
télévision est exactement le contraire

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d'une table, qui réunit les gens : c'est


le point de fuite de toute communauté
en présence (p. 106) — Il n'y a plus
de proximité que géographique ; face
au bavardage médiatique, les hommes
redeviennent « infantiles », au sens
initial : ne sachant pas parler, ce qui
n'est pas inessentiel, puisque « la
parole est l'expression de l'homme,
mais l'homme est aussi le produit de
sa parole » (p. 110) — À travers les
médias, les événements viennent à
nous, nous n'allons pas à eux : le
monde extérieur s'approche de nous,
dûment remodelé, une fois que nous
nous sommes terrés au tréfonds de
notre « chez soi » ; de ce fait, nous ne
faisons plus partie de ce monde, nous
le consommons, nous en
consommons le fantôme, et, ne

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pouvant lui parler, nous devenons


d'ineptes voyeurs (p. 111) — Le
monde ne devenant important que
sous sa forme reproduite, en tant
qu'image socialement valorisée, la
différence entre être et apparence,
entre réalité et image disparaît, et la
réalité doit s'adapter à l'image, la
copier (p. 111) — « Ce n'est que
lorsque la porte s'est refermée derrière
nous que l'extérieur devient visible ;
ce n'est que lorsque nous sommes
devenus des monades sans fenêtre que
l'univers se reflète en nous » ; à force
de penser que le monde existe pour
nous (= position idéaliste), nous
croyons ne plus faire partie de lui
(p. 113) — Le vieux concept
d'expérience (de voyage dans le
monde) devient caduc quand nous

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n'allons pas au monde, mais qu'une


image frelatée du monde vient à
nous : la seule façon qu'avait l'animal
sans instinct de devenir homme, celle
développée par le Bildungsroman,
n'est plus (p. 114) — Ce qui rend
impossible l'expérimentation est tant
la vitesse subjective (d'une simple
insertion sociale) que la disparition de
ce qu'il y a objectivement à
expérimenter (p. 115) — Abolition de
la distance dans la familiarité
imaginaire avec des personnages
fictifs du spectacle, instauration de la
distance entre voisins et individus
spatialement rapprochés (p. 117) — À
la place de l'identification plotinienne
ou goethéenne avec l'univers
(Einfühlung), copinage et familiarité
illusoires (références au langage

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publicitaire et journalistique
américain, « good old Cassiopeia »,
p. 118) — Socrate devient « quite a
guy », et le lecteur d'illustrés juge de
l'histoire universelle (p. 119) — La
grandeur passée est vécue comme
provincialisme pittoresque de
l'histoire : mépris de la modernité
pour ce qui la dépasse, c.-à.-d. pour
tout — L'adéquation de la
marchandise au manque préfabriqué
fait disparaître le sentiment de la
réalité, conforte l'image de la réalité
comme simple existence objective de
l'hallucination (p. 122) — La
familiarité est la dénégation de
l'aliénation, son faux contraire, sa
devanture (p. 124) — L'aliénation
vient ouvrir la blessure que la
familiarité referme : le sentiment de la

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blessure nous cache la dépendance de


la drogue, et l'absorption de drogue
nous fait oublier l'existence de la
blessure (p. 126) — La radio du matin
est la cérémonie profane par laquelle
l'esclave moderne commence la
journée qui n'est pas à lui (p. 127) —
L'aliénation est-elle encore un
processus dans les métropoles, ou y
est-elle déjà un état apriorique ? Les
abstractions mécanicistes des
psychologues ne trouvent-elles pas un
sujet d'observation à leur niveau ?
(p. 129) — La succession rapide
d'images désordonnées exprime une
tentative maladroite d'échapper à
l'ennui, à l'orée du « temps libre »
(p. 137) — La tentative de contenter
tous les organes sensoriels
simultanément (lire et boire pendant

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que retentit la radio et qu'on bronze à


la plage, p. ex.) renforce
l'autonomisation des organes
sensoriels, qui font exploser le sujet
(le Moi) (p. 138) — Habitué dans le
travail à l'action mécanique du corps
et des fonctions mentales, le salarié
recherche des distractions qui
prolongent cet état, et entretiennent sa
passivité (p. 139) ; dans ce contexte,
la question du sens (de la
signification) des activités ne peut
plus être posée, ne correspond à rien :
les organes s'accrochent en toute
« liberté » au premier prétexte venu ;
« être occupé » doit être compris
comme on dit d'un taxi ou des WC
qu'ils sont « occupés » : ils sont
bouchés, et inaccessibles (p. 140) —
Au XIXe siècle, le Gesamtkunstwerk

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visait déjà à réaliser positivement


l'horreur du vide : rien d'étonnant à ce
que le totalitarisme politique se soit
saisi de cet art totalitaire, que
Nietzsche seul critiquait violemment
(p. 140) — La standardisation est une
division, l'individu devrait s'appeler le
« dividu » ; ce que l'on représente à la
télévision ne peut être analysé ou
compris à l'aide des anciens concepts
de la théorie esthétique : la qualité
esthétique n'est jamais en jeu, ni son
revers : la conscience du fictif ; la
télévision produit exclusivement ce
qui n'est plus ni réel ni apparence,
mais l'ambiguë confusion qui balaye
ces distinctions (p. 143) — La réalité
devient un rêve, le rêve une réalité : la
même apparence médiatique traitant à
la fois le réel et la fiction, cette

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apparence ne peut plus apparaître


comme spécifiquement « esthétique »,
elle devient elle-même clandestine et
permanente ; les vieilles dames
américaines tricotent des pull-overs
pour des personnages de feuilleton, et
envoient des paquets de cadeaux pour
des naissances fictives (p. 145) —
Ces tricoteuses sont les Parques de
l'irréalité moderne ; les gens
illusionnés jusque dans leur vie
affective, de cette façon, sont encore
plus anéantis que ceux qui n'avaient
que des opinions illusoires (p. 146) —
Le sentiment devient dès lors
synonyme de bêtise ; que le
spectateur prenne au sérieux ce qui ne
l'est pas, et inversement, correspond à
un besoin du système : le spectateur
doit être en permanence l'homme de

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l'incertitude, face auquel les médias


gardent toute initiative (p. 151) —
« Le but poursuivi par la fourniture
d'images est de recouvrir la réalité
avec ce qu'on prétend être cette
réalité : de recouvrir le monde par son
image, et de le faire disparaître »
(p. 154) — Le mensonge dominant
porte moins sur les parties que sur le
tout : le mensonge, c'est le tout, et le
tout d'abord (p. 164) — L'image
médiatique du monde n'est pas
construite d'après sa réalité, mais
comme ensemble de stimuli
préfabriqués et de « behavior
patterns » ; le rapport magique au
monde est ainsi inversé : dans la
magie, on pratique sur le simulacre ce
que l'on veut faire au réel ; dans le
spectacle, on agit sur le réel pour y

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retrouver l'image (le simulacre)


(p. 165) — Plus le médium gagne en
prétention d'objectivité (la
photographie par rapport à la
peinture), plus il devient mensonger,
et peut se le permettre (p. 166) — La
morale au service de la marchandise :
« apprends à convoiter ce que le
marché propose » (p. 172) — Ne pas
consommer est un acte de sabotage,
un manque de civisme, celui qui
s'abstient bafoue les droits de la
marchandise, il est pire que le voleur,
qui ne paye pas, mais convoite
(p. 172) — Le piéton comme hors-la-
loi [Anders arrêté comme promeneur
par des flics américains, quiproquo,
impossibilité d'expliquer l'errance
sans qu'elle tombe dans la catégorie
juridique du vagabondage] (p. 173)

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— Le besoin ne précède plus la


consommation mais lui succède : on
achète « ce qui sort », et une fois
acheté, on le considère comme un
besoin (p. 176) — Toute la
marchandise ressemble à la boisson
Coca Cola, qui n'arrête pas la soif,
mais la reproduit, et la reproduit
comme soif de Coca Cola ; une fois
acheté un produit, le consommateur
« s'approprie » les besoins du produit
lui-même (besoin de compléments, de
carburant, de techniques de
maintenance, d'équipement pour
recyclage périodique de son « look »,
etc.) ; après s'être lié à la proliférante
famille des objets, personne n'a plus à
réfléchir à ses besoins : les objets
expriment les leurs, et exigent d'être
satisfaits ; nous ne sommes plus que

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leurs serviteurs imparfaits, qu'ils


rappellent sans cesse à l'ordre (p. 177)
— Le mensonge n'est plus un simple
mensonge dès lors qu'il transforme le
monde pour ressembler à une vérité :
le monde évolue « à l'image de ses
images ». (p. 179) — Le monde
actuel est post-idéologique, au sens
où il n'a plus besoin d'une idéologie
surajoutée à une réalité qui est elle-
même une idéologie matérialisée
(p. 195) — Dans toute l'imagerie
marchande, l'approbation est intégrée
comme le sont les applaudissements
dans certains disques ou dans
certaines émissions télévisées (p. 197)
— Comme chez Beckett, les tragédies
ne ressemblent plus qu'à une farce
(p. 217) — Chez ces clowns fatigués,
l'action est devenue une variante de la

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passivité : je reste, donc j'attends


(Godot) : (p. 218) — C'est la mise en
scène d'êtres reproduisant des
attitudes religieuses sans même plus
savoir quel est l'objet du culte : du
« mauvais infini » à la mauvaise
éternité (p. 223) — Comme il ne se
passe rien, la répétition n'est plus
perçue comme telle (l'acte II de Godot
répète l'acte I), (p. 223) — Le temps
n'est plus qu'un espace où se déploie
l'amnésie (p. 224) — À notre époque,
le but de l'existence consiste à
produire des moyens (p. 251) — Le
but assigné à un but est d'être un
moyen pour les moyens : dès lors, on
n'autorise plus qu'une critique qui
s'attaque à l'adéquation opératoire du
moyen, et en aucun cas une critique
qui commence à raisonner en termes

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de buts (p. 252) — Les moyens


justifient les fins (p. 252) — La
parcellisation des « compétences »
produit l'incompétence générale face
à la totalité réelle, jusqu'au sommet
du pouvoir (p. 270) — L'homme
n'existe plus quand ses rôles
fragmentaires se sont totalement
autonomisés, à l'image du bon père de
famille gardien à Auschwitz (p. 272)
— La croyance dans le progrès était
une croyance dans le caractère infini
du processus, pétrie d'optimisme et
ignorante de l'existence du négatif
(p. 278) — La croyance dans le
progrès rendait inutile d'imaginer
l'avenir, qui se faisait tout seul : il faut
à présent comprendre que rien ne se
fait tout seul, mais que nous le faisons
(p. 282) — Dans le travail conçu

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Anders

comme valeur morale en soi, le travail


lui-même justifie le produit (le
résultat), au sujet duquel toute
interrogation devient superflue : la
production du pire est encore de la
production, donc sacro-sainte (p. 289)
— Comme il n'existe positivement
aucun point de vue extérieur au
travail, il n'en existe aucun où l'on sait
ce qu'on fait, et ce qui se fait (p. 293)
— Le caractère banal du criminel de
guerre est mille fois pire que la
passion meurtrière, qui sait ce qu'elle
fait, alors que le premier n'exprime
qu'une impuissance illimitée (p. 297)
— L'art musical produit
l'identification de l'auditeur avec ce
qu'il entend, et produit donc en lui un
sentiment chaque fois original, qui
n'existe pas indépendamment du

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Anders

morceau qui le crée : chaque musique


crée un nouveau sentiment sui
generis ; preuve, positive cette fois,
de la plasticité et de l'historicité
encore inconscientes de la vie
affective.

Jean-Pierre Baudet

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Anders

Appendice:

Signé X

Il y a des publications dont il est


préférable de rester absent, afin de ne
pas cautionner leurs défauts quand
ceux-ci ont atteint un degré
réellement inacceptable ; comme on
peut aussi se flatter que notre
mémoire s’effacera de l’esprit d’un
public abusé et docile, excepté
néanmoins du petit nombre de ceux
qui ont une idée plus exigeante de la
vérité.

Les lecteurs de la « Correspondance »


de Guy Debord publiée par Fayard

Jean-Pierre Baudet Pagina 29


Anders

ont désormais entre les mains le


sixième volume d’une passoire qui
espère faire oublier ses trous.

On savait déjà que cette


« Correspondance » n’en est pas une,
et n’en a que le nom, puisqu’il a été
décidé d’en éliminer intégralement
tous les courriers adressés à Guy
Debord : défaut largement suffisant
pour la disqualifier ; on savait
également, plus accessoirement, que
comme le rappelle le debordologue
Bourseiller, elle comporte
d’importantes lacunes parmi les
lettres écrites par Debord, par
exemple à Michèle Bernstein, à
Jacqueline de Jong, à Michèle
Mochot-Brehat, et qu’elle fait
l’impasse sur de nombreuses cartes

Jean-Pierre Baudet Pagina 30


Anders

postales et mots brefs, pas forcément


négligeables ; on sait aussi qu’elle n’a
pas repris la lettre à Daniel Denevert
du 26 février 1972, dont l’importance
est pourtant tout à fait incontestable ;
et, petit détail particulièrement
remarquable, on est bien obligé de
constater qu’elle ne souffle mot de
tout cela, ce qui n’arrange
évidemment rien.

Quant aux personnes qui ne se sont


pas opposées à la publication des
lettres qui leur avaient été adressées,
elles admettent donc, de fait, qu’une
édition puisse présenter de tels
défauts, et qu’elles la trouvent
néanmoins acceptable.

Jean-Pierre Baudet Pagina 31


Anders

A n’en pas douter, certaines parmi


elles éprouvaient quelque envie de
manifester leur désapprobation, mais
il faut croire que l’envie se mue vite
en humeur passagère, et quand on a
l’habitude de se dire qu’il n’y a rien à
faire, on finit par ravaler sa salive.
D’ailleurs, pour quelques uns, le
plaisir secret de voir leur patronyme
apparaître dans cette anthologie
médiatisée ne l’emportait-il pas
finalement sur le déplaisir d’accepter
de si méprisantes, et méprisables
conditions ? Pour d’autres encore,
toujours prêts à faire dans le positif, il
aura importé de ne pas entraver la
publication de « la Correspondance de
Guy Debord », moyennant quoi ils
auront contribué à n’en faire qu’une
monstruosité hémiplégique, le

Jean-Pierre Baudet Pagina 32


Anders

contraire de ce qu’on pouvait attendre


et qui aurait pu justifier leur soutien.

On peut aussi voir ces questions


autrement. C’est pourquoi j’ai envoyé
aux Editions Fayard, en date du 5
avril 2006, une lettre recommandée
dans laquelle je rappelais que
plusieurs volumes déjà publiés
illustraient leur approche unilatérale
et déformante d’une correspondance,
amputée de tout répondant ; que, par
un artifice de ce genre, leur politique
d’édition présentait les interlocuteurs
de M. Debord comme réduits au
mutisme, et incapables d’avoir
inspiré, alimenté ou contredit ce que
celui-ci avait exprimé dans ses
propres lettres ; que je n’avais certes
pas l’intention de discuter de

Jean-Pierre Baudet Pagina 33


Anders

questions de méthodologie avec un


éditeur aussi diversifié que celui du
collaborateur Brasillach et du pape
Ratzinger, ou de sommités aussi
indiscutables que Jacques Attali et
Guy Sorman, mais que, plus
modestement, je me contentais
d’interdire formellement la
publication des lettres que m’avait
adressées M. Debord entre 1985 et
1989, ainsi que celle des parties me
concernant dans les courriers par lui
adressés à des tiers ; parce qu’il ne
pouvait être question pour moi de
participer, même involontairement, à
une opération de déformation aussi
grossière et aussi systématique.

La lecture du Tome 6 montre que les


Editions Fayard ont donné suite à

Jean-Pierre Baudet Pagina 34


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cette demande. Je ne peux que m’en


déclarer satisfait, en les encourageant
à poursuivre ainsi avec le Tome 7.

Du coup, d’aucuns seront


probablement surpris, voire
mécontents, de constater qu’il
suffisait de demander pour obtenir, et
qu’il est désormais manifeste qu’eux
n’ont rien fait de tel. D’autres, moins
instruits de ces circonstances, se
demanderont qui donc est le
mystérieux « X » qui apparaît de
façon répétée, dans certains courriers.
D’autres encore concluront que la
proportion de courrier me concernant
était de faible importance, et que sa
disparition n’est pas une grande perte.
La modestie m’interdisant de
contredire ces derniers, je crois

Jean-Pierre Baudet Pagina 35


Anders

néanmoins devoir faire observer


qu’ils ont tort puisqu’ils ne disposent
plus, par exemple, de l’importante
lettre adressée par Debord à Jean-
François Martos et à moi-même le 9
septembre 1987, lettre dans laquelle il
alimentait de façon détaillée la
rédaction d’un pamphlet contre ceux
dont, si peu de temps auparavant, il
était encore l’ami le plus enthousiaste
(l’Encyclopédie des Nuisances).

Pour ma part, il me semblait plutôt


que, lorsque la qualité d’une édition
s’avère aussi déplorable, on se doit de
l’aggraver encore, afin de rendre la
honte encore plus honteuse. Cela
m’apparaît en tout cas plus conforme
à l’esprit de l’époque que ces
courriers relatent, et qui a disparu,

Jean-Pierre Baudet Pagina 36


Anders

d’une façon si massive, du temps de


leur publication.

Mon seul regret en la matière porte


sur une certitude désormais établie : si
d’autres correspondants, même en
petit nombre, avaient adopté la même
attitude que la mienne, la pression
aurait notablement augmenté en
faveur d’une édition acceptable,
hypothèse qui est maintenant
suspendue à un avenir des plus
incertains. Ainsi, ceux qui n’ont pas
agi partagent pleinement la
responsabilité de cette édition
postiche, et il importe peu, désormais,
de savoir s’ils en sont mécontents ou
flattés, ou, le plus probablement, les
deux à la fois.

Jean-Pierre Baudet Pagina 37


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Jean-Pierre Baudet

Le 3 février 2007

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