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LES PUNKS ET LES SITUATIONNISTES

"All these movements can be seen as the groping of youth


towards explosive self-expression and show that young people
are not content simply to become the well ground sand in the
joints of a crumbling, oppressive, adult-delinquent society. They
are expressive both of consumption crazed society and of
rebellion against corrupted mores; both a visible and audible
symbol of a society whose effusions, institutions and attitudes are
hopelessly disoriented and no longer completely intelligible to
anyone" (Charles Radcliffe)

Pour peu qu'on aille un peu plus loin que la simple chronique, on associe parfois les
punks aux situationnistes mais rarement en profondeur comme si cela allait de soi, comme si
on savait de quoi il retournait. Qu'en est-il réellement ? Est-ce que le "No future" est un
parallèle rock and roll du "déclin et chute de la société spectaculaire marchande" tant anonncé
par l'IS ? Les punks étaient-ils manipulés par un groupe politique pour abattre la royauté
britannique ?
Force est de constater que les punks n'ont pas exprimé leur révolte avec les mots et les
références des théories radicales et a fortiori ils ne se sont pas revendiquer des situationnistes
et pourtant….

Petit flashback sur les situs.

L'Internationale Situationniste est fondée formellement


en 1957, par des individus venant de l'Internationale lettriste,
du Mouvement International pour un Bauhaus Imaginiste, et du
Comité Psycho-géographique de Londres. Comme pour
d'autres avant-gardes artistiques avant elle, son but est de
dépasser l'art pour créer une vie authentique, "Affranchir le
quotidien de ses contraintes fonctionnelles, lui redonner de la
magie par le jeu libre de situations sans cesse nouvelles", et
affiche une volonté farouche d'en finir avec le way of life
dominant.
A partir de 1961, l'IS commence à développer une critique de
cette "nouvelle pauvreté dissimulée sous l'abondance de
marchandises”.

Vaneigem en donnera un condensé dans "La vie s'écoule, la vie


s'enfuit", une chanson, composé bien plus tard pour le disque
"Pour En Finir Avec Le Travail - Chansons Du Prolétariat
Révolutionnaire"
"Les jours défilent au pas de l'ennui / Le travail tue, le travail
paie / Le temps s'achète au supermarché / Le temps payé ne revient plus / La jeunesse meurt
de temps perdu /
Les yeux faits pour l'amour d'aimer / Sont le reflet d'un monde d'objets. /
Sans rêve et sans réalité / Aux images nous sommes condamnés /
Plus de dirigeants, plus d'État / Pour profiter de nos combats "

Le dépassement de l’art n’est plus au centre de leurs préoccupations, remplacé par le


projet révolutionnaire. Projet bien plus exaltant. La rupture avec les milieux artistiques est
consommée et les membres qui ne seront pas d’accord avec les nouvelles orientations seront
exclus. Désormais il est question de luttes des classes, de révolution ou de conseils ouvriers
tout en citant Rimbaud, Lautréamont ou le Marquis de Sade… Marx côtoie Ravachol et la
Columna de Hierro, les dadaïstes… On est loin du crédo des marxistes d’autant plus qu’ils
posent une exigence de cohérence entre la vie réellement vécue et les idées proclamées. Vaste
programme !
"Une société qui abolit toute aventure fait de l'abolition de cette société la seule aventure
possible", "L'ennui est contre révolutionnaire", "Ceux qui parlent de révolution et de lutte de
classes sans se référer explicitement à la vie quotidienne, sans comprendre ce qu'il y a de
subversif dans l'amour et de positif dans le refus des contraintes, ceux-là ont dans la bouche
un cadavre.", "Vivez sans temps mort !", "Ne travaillez jamais !".

Leur moment de gloire est Mai 68, d'abord parce qu'ils l'avaient annoncé et ensuite
parce que leurs idées étaient les plus en phase avec les évènements. Certes les situs n'ont pas
été les seuls à prôner la révolution et la révolte, ils ont su l'exprimer d'une façon nouvelle et
bien après son auto dissolution en 1972, leurs idées continueront à trouver un écho… Pas
toujours pour le meilleur, elles servent parfois d'alibi à un hédonisme consumériste et à un
sectarisme forcené avec ses crispations idéologiques et ses mythes.

Angleterre

Il y a eu une section anglaise de


l'Internationale Situationniste mais la plupart de
ses membres seront exclus à part Alexander
Trocchi qui démissionne en automne 1964 et
Charles Radcliffe en novembre1967. Ce dernier
participe aussi à la revue Heatwave. Sans section
locale, les idées situs continuent leur chemin avec,
par exemple, un groupe répondant au nom de
King Mob qui, pour l'histoire qui nous intéresse,
est important puisqu'on y trouve Jamie Reid et par
la bande Malcolm Mc Laren qui seront derrière
les Sex Pistols
La filiation avec le punk londonien se fait
donc par ces personnes mais c'est surtout le single
"God Save The Queen", qui est un véritable brûlot
situationniste tant par le propos que par la forme :
mépris de l'autorité avec le souci non dissimulé de
foutre le bordel et la pratique du détournement
"Détournement : S'emploie par abréviation de la
formule : détournement d'éléments esthétiques préfabriqués. Intégration de productions
actuelles ou passées des arts dans une construction supérieure du milieu."."Le détournement
est un jeu dû à la capacité de dévalorisation. Celui qui est capable de dévaloriser peut seul
créer de nouvelles valeurs. Et seulement là où il y a quelque chose à dévaloriser, c'est-à-dire
d'une valeur déjà établie, on peut faire une dévalorisation. Le détournement se révèle ainsi
comme la négation de l'expression artistique conventionnelle et de son jugement
institutionnel".
Détourner une chanson ce n'est pas lui redonner une jeunesse ou lui rendre un
hommage, bien contraire, c'est la dénaturer pour lui faire perdre son sens premier et surtout lui
insuffler un autre contenu, subversif si possible. Et l'hymne national revu et corrigé par les
Sex Pistols s'inscrit dans cette droite ligne.
Le lettrage vient davantage des dadaïstes et l'épingle à nourrice dans la bouche de la
reine n'est pas s'en rappeler les moustaches de la Joconde par Marcel Duchamp.

La rencontre des punks et des situs ne s'explique pas par le savoir faire de quelques
uns, fussent-ils inspirés, pas plus que le succès des punks par la malice de Mc Laren. Les Sex
Pistols ont lancé un cri de rébellion qui a trouvé un écho auprès d’une frange de la jeunesse,
complètement désillusionnée quant à son futur programmé et ce, dans une Angleterre
essoufflée où les mythes de la joie de vivre des 60's prenaient l'eau.

Avec des chansons de moins de trois minutes, le punk exprime un désir de créativité
inassouvi et fait un doigt à la morosité du rock ambiant… Là où les tenants des longs
morceaux y voient une pauvreté de créativité, nous y voyons une façon radicale de
remettre en cause ces spécialistes qui réduisent la musique à une histoire de technique
et ces artistes en quête de respectabilité. En son temps, l'IS était partie en guerre contre
les artistes qui tiennent à leur statut, contre les techniciens de l'art et souvent avec
véhémence. Elle appelait à briser la relation acteur-spectateur et les punks en érigeant
le "Do It Yoursef" en style de vie ne faisaient pas autre chose… "Vous connaissez
trois accords c'est amplement suffisant pour monter un groupe".

"La fraction révoltée de la jeunesse exprime le pur refus sans la conscience


d'une perspective de dépassement, il lui faut atteindre la cohérence de la critique
théorique et l'organisation pratique de cette cohérence" ("De la misère en milieu
étudiant")… Sans parler de révolution, les punks ont cherché à se donner les moyens
de cette organisation pratique en créant ses propres structures pour la musique (auto
production, distribution indépendante, concerts auto organisés). Le “Do It Yourself”
dépasse le simple cadre du rock… Mépris des conventions sociales, prise en charge de
sa propre vie.
Exceptés pour les imbéciles, la rage des punks ne se réduisait pas à la hargne
contre les rêves hippies et le " no future " n'était pas si nihiliste qu'on a voulu bien le
dire.

En traitant sans fard et souvent crûment de l'ennui urbain, les paroles ont apporté
une nouvelle radicalité d'expression dans les thèmes qu'ont développés les situs

Sur la société des loisirs :


"A cheap holyday in other peoples misery
I don't wanna holiday in the sun
I wanna go to the new belsen
I wanna see some history" (Sex Pistols "Holydays in the sun")

Sur la fétichisation de la marchandise :


"Our new soap that's peachy keen saves your soul and keeps you clean
It's recommended, used by the queen
Gonna improve your IQ, help in everything you do
It's economic, don't cost too much." (The Saints "Know your product")

Sur le travail :
"The offered me the office, offered me the shop
They said I'd better take anything they'd got
Do you wanna make tea at the BBC?
Do you wanna be, do you really wanna be a cop ?"
(The Clash "Career opportunities")

Ce que les situs ont théorisé, les punks l'ont ressenti et exprimé à leur manière, certes,
parfois confusément, ils n'étaient pas dans cette logique de théoriser leurs actes.
Qu'il y ait des liens réels entre les punks et les situs ou qu'ils soient fantasmés par un
apprenti gratte papier, cela n'a aucune importance en soi, les deux ont marqué une
époque et ce qui compte en fait c'est de voir qu'il y a toujours des individus qui
n'acceptent pas le monde tel qu'il est et qui refusent de le subir, qu'importe qu'ils
n'avaient pas " la conscience d'une perspective de dépassement " et qu’importe
que les mouvements soient récupérés ou se fossilisent par la suite avec un discours
caricatural et des attitudes stéréotypée. La vie continue….

PS : Les illustrations sont de King Mob

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