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ARTEFACT

Plan du mémoire :
1-Introduction
Choix du sujet, implication personnelle
Enjeux, objet et problématique du mémoire

2-Rapport Art / Architecture


2.1- Un bref aperçu historique
Le cubisme
Le futurisme
Le Stijl Hollandais
Le constructivisme
2.2-Aujourd’hui

3-Rapport Art /Ville


3.1-La ville dans l’art

3.2-L’art dans la ville

3.3.1 - L’art fabriquant de ville


- Lire la ville – Un autre regard
-Fabriquer l’espace urbain –Révéler l’espace public
- Agir sur le cadre de vie : pour une approche sensorielle de
l’urbain

3.3.2- Le musée dans la ville


-Un rôle social
-Une réalité économique

3.3.3- L’Institution muséale: ses missions, son historique

1-Généalogie

A-la conservation
B- l’éducation

2-Historique

1
A-les premières présentations d’œuvres
B- De la collection au musée
C-Les Modèles classiques
D- Les ruptures du Mouvement Moderne

4-Analyse de musées et de fondations

4.1- Exemples de musées

4.1.1-De la Ménil Collection jusqu'au Zentrum


Paul Klee :
A- Variation et continuité dans l’œuvre de R .Piano.
1- La Ménil Collection –Houston, Etats-Unis
2-Pavillon Cy Twombly –Houston 1993-1995
3- La Fondation Beyeler

B- le Zentrum Paul Klee


1- La problématique monographique
2- Le rapport à Klee

4.1.2-Fondation Maeght : une rencontre entre


Un mécène, Un architecte et des artistes.

4.1.3- Les thermes de Vals : la Lumière comme


langage

4.2-La muséographie et la scénographie en question

5-Pierre Soulages : l’Outre noire ou la poétique de la lumière.

5.1- Une œuvre intemporelle

5.2- L’intuition de l’instant

5.3- La lumière comme matière


5.4- Le spectateur dans l’espace
5.5- Vers une interprétation spatiale de l’oeuvre
5.6- L’Entretien avec Soulages

2
6-L’Implantation du Musée P. Soulages à Rodez

6.1-Analyse de Rodez

6.1.1-Historique d’une ville

6.1.2-Géologie du site

6.1.3-Le contexte régional


A_ L’approche territoriale au sein de
l’agglomération du Grand Rodez
B_ Des projets urbains à l’échelle de
chaque séquence
C_ Une dynamique culturelle

6.1.4 Le Contexte local

6.2- Le jardin du Foirail: problématique urbaine et potentialité


d’un site

6.2.1 Lire la ville, Ecouter le site

6.2.2 Des barrières qui isolent….


A -La barrière topographique
B- La barrière des flux
C-La barrière due à l’implantation d’équipements sportifs

6.3-Domaine d’intervention et intentions paysagères et urbaines


A- Domaine d’intervention
B- Intentions Paysagère Urbaine
C- Composition du jardin

6.4- L’Axe Est- Ouest : Une Artère Paysagère pour restructurer


la ville
A_ L’ancrage à la ville historique

3
B_ Sortir des limites
C_ Se glisser dans la maille existante
D_ Des bâtiments de soutènement

6.5-L’axe Nord_ Sud : rétablir un lien transversal entre le


Foirail et le Pré Lamarque

6.6- Le programme
A- Une interface entre l’art et la ville
B_ Un lieu initiateur à l’éveil des sens
C- Un regard renouvelé sur l’œuvre

6.7- Une donation, une scénographie, une architecture

A- Une donation, une scénographie


1-Dépasser la contrainte temporelle
2-Un musée pédagogique
3-Des Toiles qui structurent

B_ Une architecture

1-Le rapport spatial à l’œuvre de Soulages


2-Le parcours
3-Volme- vide- matériaux

Conclusion

4
Avant - Propos

Qu’est ce qu’un Artéfact ?


Définition du Larousse : (artefakt) (lat. artis facta, effets de l’art).
Didact. Phénomène d’origine artificielle ou accidentelle, rencontré au cours
d’une observation ou d’une expérience.

Un certain nombre d’artistes revendiquent pleinement la part de hasard dans leur


manière d’aborder leur art. De Bonnard : « la couleur agit »1 à Francis Bacon
« ce que je crois, c est que le hasard et l’accident sont des outils les plus
productifs à la disposition des artistes d’aujourd’hui »2 en passant par N. De
Staël « je crois à l’accident ; je ne peux avancer que d’accident en accident.
Dès que je sens une logique trop logique cela m’énerve et vais naturellement à
l’illogisme…. »3. Loin de porter un regard diminutif à leur travail, cette
revendication n’est que l’expression d’une liberté et d’une audace face à la toile
blanche, l’artiste tel un prédateur part au combat en ayant comme seule arme
l’intuition de son instinct.
Comment provoquer le hasard en peinture ? Ensuite comment le saisir?
Comment échapper à la pensée préconçue et purement rationnelle face à une
toile blanche ?
En revanche même si c’est un acte « construit », réfléchi, synthétisé à partir de
données réelles et palpables ; je m’interroge sur les portées et les limites d’une
telle démarche en architecture.
La part d’instinct et d’accident provoqués et ensuite maîtrisés. Ont-ils une place
dans le processus créatif en architecture ?

1
Bonnard, Antoine Terrasse, découvertes Gallimard
2
Télérama hors série- Nicolas de Staël, La Lumière au couteau
3
Bacon monstre de peinture, Christophe Domino, découvertes Gallimard /centre Georges –Pompidou

5
INTRODUCTION :

L’Acte de Résistance et/est l’Acte de Bâtir


Plusieurs facteurs ont motivé mon choix pour ce sujet.
Tout d’abord, ma fascination et ma curiosité pour l’art: comme acte de liberté et
acte de résistance4 à la fois ainsi que ma passion pour l’architecture: comme
acte de bâtir et d’engagement social.
Réconcilier deux domaines à la fois fusionnels et opposés, établir des ponts
entre eux afin de permettre une lecture transversale, pour mieux les faire
dialoguer, n’était pas chose évidente.
Ce rapport complexe entre Art/ Ville /Architecture a toujours été le centre de
mes interrogations les plus profondes.
Ce n’est que lors d’un bref passage au sein de l’agence de Zaha Hadid à Londres
que je me suis réellement rendu compte que l’architecture a tout intérêt à
s’ouvrir sur les autres domaines artistiques et d’en puiser sa sève nutritive: « les
arts ont des racines en commun, et cette constatation est d’une grande portée »5.
Cet échange interdisciplinaire dont parle Alvar Aalto est capital pour
l’enrichissement de notre champ créatif.
Par ailleurs le choix que j’ai porté à la fondation Pierre Soulages pour l’Art
Contemporain est dù à ma grande fascination à l’œuvre et au discours du
peintre.
Je reviendrai au cours de ce travail sur cette manière poétique de peindre et de
concevoir la peinture. Je remercie au passage Pierre Soulages qui a bien voulu
me recevoir et m’éclairer sur son travail.
La problématique qui se dégage de ce choix, est de définir une position
architecturale claire à l’égard de l’œuvre et du discours du peintre.

4
Conférence donnée dans le cadre des mardis de la fondation FEMIS - 17/05/1987
G. Deleuze ; Qu’est-ce que l’acte de création ?
« Quel est le rapport de l’œuvre d’art avec la communication ? Aucun.
Aucun, l’œuvre d’art n’est pas un instrument de communication. L’œuvre d’art n’a rien à faire avec la
communication. L’œuvre d’art ne contient strictement pas la moindre information. En revanche, en revanche il y
a une affinité fondamentale entre l’œuvre d’art et l’acte de résistance…
….Malraux développe un bon concept philosophique. Malraux dit une chose très simple sur l’art, il dit “c’est la
seule chose qui résiste à la mort“.
Je dis revenons à mon truc de toute à l’heure, au début, sur qu’est-ce que c’est, qu’est-ce qu’on fait quand on
fait de la philosophie ? On invente des concepts. Et je trouve que là, c’est la base d’un assez beau concept
philosophique. Réfléchissez…Alors oui, qu’est-ce qui résiste à la mort. Ben oui, sans doute, il suffit de voir une
statuette de trois mille ans avant notre ère pour trouver que la réponse de Malraux est une plutôt bonne réponse.
Alors on pourrait dire, alors moins bien, du point de vue qui nous occupe, ben oui, l’art c’est ce qui résiste, c’est
ce qui résiste et c’est être non pas la seule chose qui résiste, mais c’est ce qui résiste. D’où ; d’où le rapport, le
rapport si étroit entre l’acte de résistance et l’art, et l’œuvre d’art. Tout acte de résistance n’est pas une œuvre
d’art bien que, d’une certaine manière elle en soit. Toute œuvre d’art n’est pas un acte de résistance et pourtant,
d’une certaine manière, elle l’est.»
5
La truite et le torrent, Alvar Aalto, Domus 1947

6
En d’autre termes, ce va et vient entre d’un coté la dimension artistique de
l’œuvre du peintre (et tout ce qui en suit comme discours) et la conception
spatiale et scénique d’une fondation (qui lui est dédiée) sont directement liées.
En d’autres termes, quel rapport établir entre contenu et contenant ?
Quelle « espèce d’espace »6 devront nous concevoir pour entretenir un rapport
adéquat avec l’œuvre de Soulages ?
Comment mettre en scène de telles œuvres afin qu’elles dialoguent entre elles,
avec l’espace et avec le spectateur ?
Enfin, ce sujet m’a séduit car il part d’une implication de bases de données
réelles imbriquées dans des divers domaines; à la fois artistique, culturel,
architectural, et urbain.
Sur le plan artistique : ceci concerne l’approche et le discours artistique du
peintre comme base de départ. De plus, une donation majeure de 500 œuvres à
la ville de Rodez a été finalisée. Diversement constituée (gravures, bronze,
études préparatoires, eaux-fortes, peintures…), cette donation permet d’avoir
une lecture globale sur l’évolution du processus créatif de l’artiste depuis ses
débuts.
Sur le plan culturel: les potentialités et l’impact d’une telle fondation sur le
rayonnement culturel de la ville de Rodez.
Sur le plan urbain: Le projet de la fondation s’inscrit dans un grand projet
d’urbanisme qui interviendra sur le site de Foirail à Rodez, ou figurent
également un palais des congrès et un complexe cinématographique.
La communauté de l’agglomération du Grand Rodez vise à « conforter le
dynamisme du territoire et l’ancrer dans un développement durable » faisant
ainsi du quartier de Foirail « un ensemble culturel fort qui travaille en
synergie ».7
Enfin sur le plan architectural: un concours d’architecture sera lancé par la ville
de Rodez afin de synthétiser toutes ces problématiques et ces contraintes
artistiques/scénographiques et urbaines /culturelles.

1- Rapport Art / Architecture

6
Espèce d’espace, George Perec, Seuil.
7
Communauté d’agglomération du grand Rodez : Faisabilité et définition des équipements du foirail.

7
Le propre de l’art est d’éclairer la dimension d’être, « Le rapport des artistes
avec le peuple a beaucoup changé: l’artiste a cessé d’être l’Un -Seul retiré
en lui-même, mais il a cessé aussi de s’adresser au peuple, d’invoquer le
peuple comme force constituée. Jamais il n’a eu autant besoin d’un peuple,
mais il constate au plus haut point que « le peuple manque » -le peuple c’est
ce qui manque le plus. Ce ne sont pas des artistes populaires ou populistes,
c’est Mallarmé qui peut dire le livre a besoin du peuple, et Kafka, que la
littérature est l’affaire du peuple, et Klee, que le peuple est l’essentiel, et
pourtant qu’il manque »8; par ces propos Deleuze veut souligner le caractère
avant-gardiste et émancipateur ainsi que l’engagement social que détient
l’artiste pour élever et éduquer la masse.

Plus concrètement, si on faisait un bref retour à l’histoire même de


l’architecture. S’il est vrai qu’au 19 e siècle les techniques nouvelles de la
fonte et de l’acier ont suscité des formes nouvelles en architecture, au
commencement du 20 e siècle, un événement inattendu se produit: une vision
nouvelle des peintres un peu partout en Europe (le Cubisme en France, le
Futurisme en Italie, le Stijl en Hollande et le Constructivisme en Russie) ou
l’influence des plasticiens fut considérable, contribuant à la métamorphose de
l’architecture: La technique ne fera alors que suivre .

2.1 –Un bref aperçu historique

Le cubisme
En parlant de Cézanne, André Malraux affirme qu’il «préfigure toute
l’architecture du 20 éme siècle». Il est vrai qu’en regardant les peintures de
Cézanne, on s’aperçoit que le peintre dissèque et recompose les objets qu’il
peint. Sa manière de tout ramener dans la nature au cube et au cylindre peut
être considéré comme le manifeste de l’architecture qui va se développer à
partir de 1911.
Un ensemble d’événements se conjugue pour une mutation. En 1910, deux
peintres continuent ce que Cézanne avait déjà amorcé : Braque et Picasso
inventent le Cubisme en France. En Allemagne Kandinsky invente l’art
abstrait, en Russie c’est le début du suprématisme de Malevitch.
Braque et Picasso arrivent à détruire l’espace optique à trois dimensions de la
Renaissance, espace Euclidien qui paraissait alors si logique, le cubisme
rompait avec la perspective de la Renaissance en ne donnant pas la priorité à
un point de vue dans la perception d’un objet. Tous les points de vue étant
bons, tous ayant la même valeur: le cubisme contourne et pénètre les objets.

8
Gilles Deleuze, Mille Plateaux, éditions de Minuit, 1980, p 427

8
L’influence du cubisme sur l’architecture ne sera pas immédiate. Si le
cubisme des peintres se situe entre 1910 et 1914, le cubisme ne touchera
l’architecture qu’à partir années 1917-1920.
Néanmoins, l’espace ouvert des cubistes aura un rôle déterminant sur la
réalisation d’une architecture ouverte. L’architecture va tendre vers
l’immatérialité, les vides auront autant d’importance que les pleins……ces
principes feront les bases de l’architecture moderne.

Le Corbusier déclarera « aujourd’hui la peinture a précédé les autres arts »,


le cubisme sera pour lui une référence permanente pour son architecture.
En 1918, le Corbusier et Ozenfant exposent ensemble leurs peintures et
veulent être les précurseurs de l’après cubisme: le purisme.
Pendant toute sa vie parisienne, le Corbusier sera peintre le matin et
architecte le reste du temps. Et sa peinture sera « le laboratoire de ses formes
architecturales.»9

Les peintres cubistes ne se sont pas préoccupés de repenser l’architecture.


« Involontairement, l’influence de Braque et de Picasso sur l’architecture du
20eme siècle n’en sera pas moins profonde. »10
Par contre, les futuristes italiens, les constructivistes russes, les membres du
Stijl hollandais voudront intégrer une portée architecturale dans leur
mouvement et être les précurseurs de l’architecture à venir.

Le futurisme

Le manifeste des peintres futuristes fut publié en 1910. Si les cubistes se


préoccupent surtout de l’espace, les futuristes s’attachent au mouvement.

9
« La peinture , chez moi , a été le laboratoire des formes .mon architecture était sans forme avant la
villa la roche de 1923 ,alors que mes tableaux se succédaient depuis 1918.c’est avec eux que j’ai
trouvé les formes de mon architecture , avec ces bouteilles qui suivaient la leçon de Cézanne .la
peinture demeure pour moi un truc pathétique .elle demande une discipline féroce de l’esprit .le
moment ou l’on trouve une forme est incontrôlable .on ne sait d’où ça vient …j’ai fait de ma peinture
une cohérence et une invention … » interview de Le Corbusier par Michel Ragon , Arts,1963-
10
Histoire de l’architecture et de l’urbanisme modernes, Michel Ragon, essais Seuil

9
Leur but était de créer un rythme inspiré de la vitesse, de montrer le dynamisme
de la vie moderne et sa puissance.
La Città nuova, élaborée par un groupe d’artistes et d’architectes intitulé
« nouvelle tendance » ayant pour chef de fil Sant’Elia, projetait le rêve
piranésien d’une cité à plusieurs niveaux, pour la première fois, la machine
devenait ville. Avant le Corbusier l’idée de « maison-machine » fut prononcée. Il
anticipe même avec l’architecture mobile en évitant les matériaux lourds mais
emploie des matériaux flexibles et légers, permettant la mobilité et le
dynamisme. C’est le début de l’architecture éphémère: chaque génération disait
Sant’Elia, devrait construire sa propre ville répondant à des besoins toujours
nouveaux.
Le Futurisme italien exercera une forte influence sur le Stijl hollandais, du fait
d’avoir voulu faire converger tous les arts: poésie, peinture, musique,
architecture, sous le signe de la vitesse et de la machine.
Le Futurisme marque la « violente conversion des artistes au monde
mécanique»; la génération précédente s’était accrochée au passé par aversion
pour le monde industriel. Par contraste, cette nouvelle génération dit abominer le
passé, la culture, les musées, « brûlez les musées » s’écriât Marinetti le
précurseur du futurisme, « videz les canaux de Venise». C’est contre cette Italie
figée dans son passé que réagissait le Futurisme.

Le Stijl Hollandais

A l’origine du mouvement qui a vu le jour en hollande en 1917, se trouve un


peintre : Piet Mondrian.
Après s’être imbibé du Cubisme, Mondrian arrive à dépasser son langage
pictural réaliste pour atteindre l’abstraction; de sa célèbre suite des arbres, il en
gardera que le rythme des branches.
Dépassant le Cubisme par une série de tableaux de signes abstraits (surnommés
Plus et Moins) où les lignes horizontales et verticales se conjuguent en un
rythme, c’est le début de sa peinture abstraite qui a fait sa renommée.
Rejoint par Van Doesburg, ensemble ils fondent la revue et le mouvement De
Stijl (le style). L’équipe devient rapidement pluridisciplinaire avec l’intégration
du sculpteur Vantongerloo et surtout de l’architecte Rietveld.
Le Stijl est une des premières tentatives réussies de synthèse des arts: l’activité
du groupe débordera de la peinture à la sculpture pour atteindre principalement
l’architecture.
Les premières créations des architectes du Stijl sont basées sur l’inspiration
picturale de Mondrian. Les principes directeurs de l’esthétique de Stijl résident
dans l’équilibre des seules lignes horizontales et verticales, l’usage des couleurs

10
primaires pour composer l’espace. Pour Mondrian et pour Van Doesburg la
peinture n’avait d’autre mission que de montrer le bon chemin à l’architecture.
Mondrian écrivait « l’architecture n’a qu’à réaliser dans le concret ce que la
peinture montre dans la nouvelle plastique d’une façon abstraite ….aussi
longtemps qu’il n’y a pas une architecture entièrement nouvelle, la peinture doit
faire les choses sur lesquelles l’architecture –ainsi qu’elle apparaît en général –
reste en retard, à savoir elle doit figurer des proportions purement équivalentes
ou, autrement dit, elle doit être une plastique abstraite réelle. C’est justement
pourquoi la peinture abstraite réelle reste provisoirement le succédané
sauveur ».
Par la suite toute la synergie du mouvement focalisera sur l’architecture. Dans
cette optique la peinture abstraite n’était qu’une étape provisoire, pour servir
l’architecture; ainsi dans son Manifeste Mondrian souligne l’idée de la mort de
la peinture au profit d’une sorte d’esthétique généralisée : « L’art disparaîtra à
mesure que la vie aura plus d’équilibre …dans l’avenir, la réalisation de la
plastique pure dans la réalité papables remplacera l’œuvre d’art …nous
n’aurons plus besoin de peintures et de sculptures, car nous vivrons au milieu de
l’art réalisé.. »; le Stijl redonnera à la peinture, à la sculpture et à l’architecture
leur unité perdue et aura un grand impact sur le Bauhaus.

Le Constructivisme
Si l’architecture et l’urbanisme soviétiques modernes n’ont vu le jour qu’après
la révolution d’Octobre 1919, le terrain était préparé par les peintres et les
sculpteurs.
Là encore l’œuvre peinte a précédé l’œuvre architecturale et lui a servi en
quelque sorte de laboratoire expérimental de formes.
Le Suprématisme de Malevitch date de 1913, le terme « art constructiviste »
englobera tout l’art d’avant-garde russe, de 1910 à 1930.
Conscient de devancer par sa peinture l’architecture Malevitch écrira : « les
peintres ont fait une grande révolution, dans la peinture imitative de l’objet, et
ils sont arrivés, à un moment à la peinture sans objet. Ils ont trouvé des
éléments nouveaux qui posent, dès aujourd’hui, les problèmes de l’architecture
de l’avenir.»
La première œuvre qui marque la naissance de l’architecture soviétique moderne
fut imaginée par un sculpteur et non un architecte: Vladimir Tatline. Il s’agit du
monument à la 3eme internationale 1920 qui est resté à l’état de maquette.
On le présente souvent comme sculpture or pour Tatline il s’agit bien d’une
architecture. Ce projet visionnaire en spirale devait atteindre 400 mètres de haut,
plus visionnaire que Sant’Elia; Tatline imaginait déjà l’architecture suspendue et
mobile. En même temps Gabo imaginait un projet d’émetteur de radio,
Malevitch réalisa plusieurs maquettes d’architecture qu’il nommait « planites »
ou « architektona ».

11
«L’ambition du Constructivisme, disait Gabo, n’est pas de créer des peintures
ou des sculptures, mais des constructions dans l’espace ».
Un autre peintre, El Lissitzky, a fait une proposition avec les constructions en
hauteur des gratte-ciel intitulée « l’étrier des nuages ». El Lissitzky, tout comme
l’ensemble de l’œuvre des constructivistes russe, eut une influence considérable
hors d’URSS, en effet les théories de Malevitch et de Tatline toucheront le
Bauhaus que le Stijl.
«Quoi que l’on dise, les résultats obtenus en Russie entre1920 et 1930 n’ont pas
d’équivalents. Dés 1917, la recherche fondamentale fut considérée comme un
élément capital pour la victoire du communisme. Le rôle directeur accordé dans
l’enseignement ou l’administration à des artistes comme Malevitch, Tatline, El
Lissitzky, Kandinsky, donna pendant un temps, l’impression qu’en Russie
« l’imagination avait pris le pouvoir »10.

2.2- Aujourd’hui

Ce bref détour historique, à des dates clefs qui ont fait l’émergence de modernité
en architecture montre bien que la relation art(s)/architecture a commencé à faire
parler d’elle et à interroger les artistes et les architectes depuis un certain temps.
La raison principale qui a fait cette émergence est la problématique posée par
l’interdisciplinarité.
Cette relation, ce face à face entre le champ des arts plastiques et l’architecture
est d’une grande complexité.
Cette relation de transfert, d’interaction, de solidarité ou, à l’inverse, de
confrontation, de rapports de forces et parfois même de repli, exprime la
porosité des limites, le flou des frontières, les empiétements de problèmes « …la
mise en circulation de concepts nomades. Pour féconder et enrichir les
domaines jusqu’ici séparés »11, parfois jusqu’à l’hybridation de leurs formes;
Dan Graham, à qui un journaliste demandait si ses pavillons étaient de la
sculpture ou de l’architecture répondait ceci : « ils sont la rencontre impossible
entre Venturi et Mies Van Der Rohe. Ce sont des hybrides, comme l’art actuel
qui se trouve de plus en plus dans cette situation limite.»

Un texte d’Adolphe Loos m’a interpellé, il s’interroge sur la nature artistique de


l’architecture en la comparant à l’œuvre d’art : « Aujourd’hui la plupart des
maisons ne plaisent qu’à deux personnes : le propriétaire et à l’architecte. La
maison doit plaire à tout le monde, c’est ce qui la distingue de l’œuvre d’art, qui
n’est obligée de plaire à personne …l’œuvre d’art est par essence
révolutionnaire, et la maison est conservatrice. L’œuvre d’art pense à l’avenir,

11
Gilles Deleuze, Mille Plateaux, éditions de Minuit, 1980

12
la maison au présent. Nous aimons tous notre commodité, nous détestons celui
qui nous arrache à notre commodité et vient troubler notre bien-être.
C’est pourquoi nous aimons la maison et détestons l’art .Mais alors la maison
ne serait une œuvre d’art? L’architecture ne serait pas un art ? Oui c’est ainsi.
Il n’y a qu’une faible partie du travail de l’architecte qui soit du domaine des
beaux –arts: le tombeau et le monument commémoratif. Tout le reste, tout ce qui
est utile, tout ce qui répond à un besoin doit être retranché de l’art.»12
La question soulevée par Loos reste d’une actualité vivace et nous interroge
encore aujourd’hui.
En effet comment penser l’architecture en tant qu’art contemporain ?

Dans un entretien intitulé « qu’est ce que l’art ? »13Josef Beuys postule que la
pensée est à elle seule déjà un processus sculptural, un véritable acte créateur,
réalisé par l’homme, par l’individu lui-même sans qu’il ait été inculqué par une
quelconque autorité. Beuys affirme dans ce propos sa volonté de rompre avec les
grands récits constitutifs de l’histoire de l’art. Le passé n’est plus approprié et
son inactualité peut se résumer en quelques idées qui constituent autant de
brèches permettant à l’art d’opérer ses transferts vers d’autres champs
d’expérimentation et notamment vers l’architecture.
Parmi celles –ci, l’effondrements de la mimesis (ni la sculpture, ni la peinture ne
cherchent plus à traduire le réel ou à copier la nature), la déconstruction de
l’espace perspectif par le cubisme, la substitution des techniques artistiques
traditionnelles par des techniques nouvelles comme le dripping de Jackson
Pollock, en passant par l’installation.
L’installation, l’in situ , l’art environnemental attestent que l’architecture
possède la capacité à accueillir en elle d’autres domaines artistiques et il est
parfois difficile, voire impossible, de distinguer ou commence l’espace de
l’œuvre d’art et ou se situent les limites du contenant architectural.
Je pense la tout particulièrement au Land art et au earth - works : la sculpture
voulant sortir de son socle, pour s’élargir sur le champ du paysage (expended
Field) atteint, de par sa spatialité et de son échelle le champ architectural (le cas
de R. Serra , G. Oteiza, ou de Chillida)

Aujourd’hui, l’influence des plasticiens se fait surtout sentir par une conception
nouvelle de l’architecture qui passe par une réflexion sur l’épiderme
architectural : la matière.

12
Adolf Loos, « Architecture »1910, paroles dans le vide –chroniques écrites à l’occasion de
l’exposition viennoise du jubilé.
13
Joseph Beuys, qu’est que l’art ? 1986, éditions de l’arche, p34

13
« Dali rappelle son entrevue avec le Corbusier …. Le Corbusier me demanda si
j’avais des idées sur l’avenir de son art. Oui, j’en avais d’ailleurs des idées sur
tout. Je lui réponds que l’architecture serait molle et poilue… »14

Cette architecture de la matière dans laquelle apparaît l’apport des mouvements


artistiques comme le Land art, l’Arte povera, l’Art minimal ou même le Pop art,
n’est pas nouvelle; elle traverse l’histoire de l’architecture comme la mosaïque
antique aux pavement baroque en passant par l’art nouveau, la matière existe.
Des œuvres comme le parc Guell à Barcelone de Gaudi ou l’hôtel Tassel à
Bruxelles d’Horta sont des exemples qui assument la valeur plastique et
symbolique de la matière.
D’autres architectes ont voulu rompre avec la pensée du mouvement moderne en
intégrant la matière dans la conception de la spatialité de leur architecture :
Alvar Aalto en Finlande, Luis Barragan au Mexique, Carlo Scarpa en Italie, ont
cette approche épidermique de l’architecture.
La matière porte en elle un sens charnel proche du désir: désir de toucher, de
sentir, de voir, de goûter à l’épiderme architectural: «Donner de l’ampleur à
l’architecture afin de créer des lieux qui sont, métaphoriquement, comme
‘creusés dans la matière’… »15

Cette conception de l’espace sculptural, de la lumière sculpturale par la matière


est une valeur ajoutée à la réflexion architecturale.
Ce qui lui a conféré plus de sensualité et d’expressivité (comme on peut le voir
dans l’architecture suisse allemande) ; Non pas que « le jeu correct et
magnifique des volumes sous la lumière » soit incompatible avec la recherche de
texture, mais cette pensée considère seulement la matière comme un plus, un
élément mineur de l’élaboration du projet et non une idée en elle-même.

Archi-design
Une autre tendance commence à envahir le domaine architectural.
Issu des arts appliqués et des arts décoratifs le design n’a cessé d’élargir son
domaine d’action, de l’objet à tout les registres graphiques de signes, il a atteint
l’architecture pour prétendre même de l’absorber.
Andrea Branzi plaide pour un alignement de l’architecture sur le design : « le
design est l’une des activités centrales dans l’histoire du 20eme siècle.
L’architecture moderne est née du design».16
L’idée de Branzi est clair : l’architecture doit se mettre enfin à l’heure du design.
Plus récemment, le réaménagement intérieur du centre Georges Pompidou, les
14
Dali, jacques Leenhardt, édition actes sud, paris 1994
15
Dominique Perrault, meubles et tapisseries, édition Birkhauser, bale ,1997
16
Andrea Branzi, éditions Dis Voir, P59

14
propos de Ruedi Baur, le concepteur de la nouvelle signalétique du centre ont
retenu mon attention: voulant « un dépassement de la signalétique ». Selon lui le
signe doit se libérer du cadre étroit de la fonction signalétique il faut «dépasser
les seuls critères de lisibilité …en somme, s’il dépasse le strict langage
fonctionnel, le graphisme signalétique peut produire un espace profond et un
véritable environnement » dans cette logique le graphiste peut même prétendre
«remplacer les architectes qui ne pensent plus assez à l’espace, qui sont obsédé
par la surface »17.
Il suffit de regarder le sommaire du livre design is…publié la revue Metropolis,
le sous titre énumère : «Words, Things, People, Buildings and Place », le design
c’est …Tout. On n’est pas loin de la pensée d’une certaine idée du Bauhaus qui
situait l’amplitude du design entre la cuillère et la ville.

Je suis assez perplexe et même méfiant face à cette nouvelle tendance


d’appréhender l’architecture par le design. L’emprise du design sur
l’architecture et sur l’art en général passe par un souci de l’image. Face à ce
phénomène d’esthétisation générale, l’édifice s’apparente à un objet
consommable. En effet la pratique de l’architecture est conditionnée de plus en
plus par la logique de l’image.
Pervertir l’acte de bâtir en un simple souci graphique ou un simple objet de
consommation est indigne à mon sens, l’architecture n’est pas du design, tel
fut l’objet de la biennale de Venise de 2001 intitulée « moins d’esthétique, plus
d’éthique ».

Ccl : Ainsi la peinture de la première moitié du 20e siècle a eu une influence


directe sur l’architecture. A travers chaque mouvement (cubisme, futurisme,
Stijl,…) l’architecture s’est vu ajourée d’éléments nouveaux. Il sera question
d’une architecture ouverte, qui tend vers l’immatérialité et traite le rapport plein,
vide. C’est aussi une architecture qui aspire le mouvement, éphémère usitant des
matériaux légers.
Actuellement le type de rapport qu’entretiennent l’art et l’architecture semble
être à la fois un rapport de complémentarité, d’interaction mais aussi de
confrontation; ce qui révèle le flou des frontières.
Concrètement l’influence des plasticiens, se sent aujourd’hui à travers la
matière, la texture dans une architecture qui assume pleinement cette valeur
plastique et symbolique.

17
AMC (avril 2001)

15
3- Rapport Art /Ville

Dans sa dernière édition Art Sénat a voulu explorer des nouvelles formes de
création d’art contemporain en invitant une trentaine d’artistes à établir une
relation entre la ville et leur travail.
En ayant comme support le jardin du Luxembourg, l’exposition voulait traiter
d’une manière concrète ce rapport de l’art contemporain et la ville ; et ceci sur
deux volets: « L’art dans la ville » et « la ville dans l’art ».
Cette double lecture serait intéressante à explorer et permettra ainsi d’aborder
les spécificités du musée dans sa ville.

3.1-La ville dans l’art

La ville a toujours été un sujet d’exploration pour les artistes; ils en


dégagent les maux, ils en rendent visible l’invisible ou peu être parfois se qu’on
refuse de voir en face. C’est l’expression d’inquiétudes sur ce que pourrait
devenir la cité victime d’un développement anarchique ou d’utopie
urbanistiques.

Les artistes ont toujours montré un degré élevé de sensibilité face à la


« désespérante fragilité de la ville» comme l’avait exprimée Baudelaire. Les
artistes vont donc intégrer la ville à leur art en la représentant.
Réelle ou imaginaire, déserte ou habitée, la ville est présente dans l’histoire de
l’art, depuis les fresques de Pompéi jusqu’à nos jours. Depuis la ville est alors
imaginée, observée et métamorphosée.

Certains se sont penchés sur une possible interprétation de la Cité Idéale,


comme le montre le panneau d’Urbino de Luciano Laurana (architecte du Duc
Federico); présentant l’image d’une place déserte au pavement de marbre
bordée par des maisons et palais avec, au milieu de la place un édifice
circulaire; le tout étant structuré selon les règles d’une perspective stricte. La
cité idéale d’Urbino ne donne rien à voir qui se puisse raconter.
Ce soucis stricte de l’ordonnancement de la perspective répondait à une volonté
politique de l’époque qui concevait la ville comme instrument et symbole de
l’état, comme l’atteste l’expression choisie de Charles Perrault : « une ville en
forme de palais ».

Puis les artistes utilisent la ville comme sujet à part entière. Vermeer ne
redonne pas une version fidèle de Delft, sa ville natale, mais en fait des

16
juxtapositions abstraites d’éléments de la réalité. Voici donc un paysage urbain
condensé pour en faire une sorte de frise simplifiée par le peintre qui en a
distribué les contours et les zones lumineuses de manière sélective.

Malevitch de son coté, à travers ses maquettes intitulées Architectones,


voulait matérialiser sa perception de ville idéale, totalement abstraite et
appartenant à son répertoire formel pure qui a fait sa renommée. Ces maquettes
devaient servir de modèles à la reconstruction de la nouvelle société
Bolchevique.

D’autres artistes se sont contentés d’observer la ville, non pas d’une


manière passive mais pour capter « cette petite seconde d’éternité » comme le
souligne Robert Doisneau dans ses photos des années 50, pour exprimer la
tristesse de Paris sous l’Occupation.

Hopper, quand à lui croyait transcrire « littéralement » la septième avenue


mais donna en fait à voir la tristesse de la monotonie: un rythme sériel est créé,
rangée de boutiques anonymes, une lumière quasi artificielle; une ville morose
sans âme. Ce n’est pas la ville qu’il peint en 1930 avec Early Sunday Morning
mais l’atmosphère spécifique d’un dimanche matin désert.

Les artistes contemporains sont quand à eux animés d’une volonté de


matérialiser un certain vertige, à la limite entre une vision abstraite et un aspect
absurde.
Ils prennent donc la ville comme cadre d’observation de l’activité humaine et de
ses conséquences pour tenter de comprendre et de deviner l’avenir de cet espace
vivant.
De même des photographes comme Andréas Gursky qui veulent porter un
regard critique à l’égard de l’espace moderne et du monde contemporain où les
individus sont noyés dans des environnements qu’ils ne maîtrisent plus, tels que
les concerts, la bourse ou les supermarchés…

Une ville peut donc se résoudre en quelque sorte à une accumulation complexe
d’architectures, d’hommes, de mémoires dont la simple appréhension par
l’individu qui y habite est devenue impossible, et cela essentiellement depuis la
naissance des mégalopoles.

Personne aujourd’hui ne traite la ville pour son pittoresque. Ce ne sont plus les
centres historiques qui attirent les regards des artistes mais plutôt les ensembles
HLM, les échangeurs, les chantiers. Il ne s’agit pas toujours d’en extraire
quelque poésie: il serait plutôt question de constater que la ville moderne n’est
pas gaie, peut être même menaçante. La plus part la voient déserte et pour
certains elle grouille d’une population inquiétante.

17
L’artiste n’aurait il pas le devoir d’intervenir dans la ville devenue si
inhospitalière pour aider les hommes à y vivre ?

3.2-l’art dans la ville

Pour aborder ce thème de « le l’art dans la ville », je trouvais plus ciblé, de


parler plutôt d’Art catalyseur d’urbanité dans la ville.

La nuance me parait de taille : concevoir l’art d’une manière passive, et


contemplative inerte « 1% décoration », ou tel des objets momifiés dans des
lieux stérilisés, me parait très réducteur à sa vrai vocation (Picabia dénonce « ces
cadavres domestiques, en bronze ou en marbre, de nos places publiques.. »***)
Le concevoir comme un catalyseur d’urbanité à travers l’intervention et
l’implication active des artistes dans la réflexion urbaine de nos villes me parait
d’un grand apport.

3.2.1 - L’art fabriquant de ville

Lire la ville – Un autre regard

Aussi éloigné du propos de l’urbaniste que paraisse l’artiste, son mode


d’exercice et celui du projet urbain ne manquent pas de parenté : l’un et l’autre
proposent un récit un imaginaire qui doit, par sa seule force évocatrice,
remporter l’adhésion des partenaires et des usagers.
Si les paysagistes et si certains concepteurs érudits peuvent être intégrés dans
l’aménagement urbain, ceci n’est pas toujours le cas pour les artistes.
Et pourtant, l’artiste contemporain de par sa sensibilité, et les outils qui lui sont
propre, peut porter un autre regard sur la ville, s’en faire le médiateur auprès de
ses usagers quotidiens.
Citons au passage le cas du premier musée en banlieue le Mac Val à Vitry-sur-
Seine. Cet équipement culturel est donc un espace favorisant le brassage
culturel, et ce à travers l’art contemporain.
Cette expérience serait à retenir, à développer et à perpétuer afin de sensibiliser
et intégrer les communautés (au lieu de ‘karcheriser’) et créer ainsi un lien et
une cohésion sociale entre les individus.

18
L’artiste contemporain agitateur non consensuel se propose de « montrer » le
monde, d’interpeller sa conscience intrinsèque, de questionner ses valeurs
fondamentales.
Il décrypte différemment l’existant, avec un décalage, une esthétique de la
tension.

Critique, il peut révéler des fractures sociales, des contradictions, les tensions
urbaines, thèmes cruciaux pour la ville. Il peut se mobiliser sur des questions
écologiques, comme Mierle Laderman réfléchissant à la reconversion
d’anciennes décharges à New York.

L’artiste est plus libre, moins lié à des commanditaires qu’un urbaniste ; il
intervient sur l’émotion, sur l’essence des choses, approche dont manque le
mode de production de la ville moderne.
Son apport diffère de celui des autres concepteurs, par son rapport au site.

Fabriquer l’espace urbain- Révéler l’espace public

Dani Karavan, face à la boucle de Cergy-pontoise, ne glisse pas dans le paysage


comme le ferait peu être un paysagiste: « il exhausse son esplanade pour créer
un rapport dramatique à la géographie »18 il assume «quand je plante un arbre,
je le veux sculpture »17.
Les artistes décryptent différemment l’existant, avec un décalage, une certaine
«esthétique de la tension » comme le souligne l’artiste.
Par ailleurs son apport peu être considérable, notamment par la création de lieux
identifiables, repères dans la ville qui deviennent lieux de rencontre et
témoignent de la créativité contemporaine, surtout quand ils osent le contraste
avec le patrimoine historique, comme les colonnes de Daniel Buren au Palais
Royal.

La mission des artistes, pour peu que la ville leur soit ouverte : offrir quelque
chose d’inattendu aux habitants, leur donner à voir, à réfléchir, peut être à
sourire. Leur rendre la cité aimable en leur procurant l’occasion de la voir
autrement.

18
Penser la ville par l’art contemporain (Editions De La Villette)

19
Des manifestations comme celles des nuits Blanches (qui sait réunir création,
urbanisme, patrimoine et architecture) contribue aussi à mon sens, le temps
d’une nuit, à porter un regard différent à ce patrimoine, et à le redécouvrir.
En s’ouvrant à l’art, la ville offre une occasion pour les citoyens de se
réapproprier des lieux inconnus, ou ignorés.

Ainsi dans ça cinquième édition, elle s’est étalée sur plusieurs arrondissements
(quartier aisé : Champs - Elysées/Concorde, ou populaire: La Goutte d’Or)
faisant du thème Métissage et Croisement des cultures son champs
d’action : « nuits blanches 2006 propose de transformer plusieurs quartiers en
lieux de vie , d’échanges et de découvertes en dialogue constant avec les
artistes, nous avons souhaité tisser une trame artistique dense qui vient se
superposer , se fondre , puis se croiser avec la logique urbaine»19
Mais encore, l’art peut se révéler un outil remarquable d’organisation de
l’espace urbain et remplir une fonction essentielle aux métropoles dans le
repérage spatial.
Participer à la hiérarchisation des espaces, créer des repères et des points focaux,
sont des actions déterminantes dans la lisibilité de l’espace public.

Aussi, dans une ville en mutation, l’art peut recréer un lien entre les fragments
d’une ville suburbaine, entre les composantes éclatées d’une agglomération,
entre le centre et sa périphérie. Il s’agit de constituer des parcours et de relier
les lieux afin de créer un ensemble, une unité cohérente.
Concrètement, ce serait structurer, construire des continuités identitaires sur les
artères principales d’une ville (voies, espaces publics).
Mais aussi contribuer à réparer les dommages de l’urbanisation en zoning,
notamment dans les périphéries des villes, en estompant les notions de limite, de
frontière, ou de clôture.

Agir sur le cadre de vie : pour une approche sensorielle de


l’urbain
Le rôle de l’artiste, enfin et surtout, est de donner à un lieu, espace ou territoire,
le «génie»20 dont il est parfois dénué, c’est à dire la capacité d’émouvoir.

19
Nicolas Bourriaud et Jérôme Sans, directeurs artistiques des nuits blanches, Nuit Blanche 2006, mode
d’emploi, Mairie de Paris
20
Norbert Christian Schultz « L’art du lieu »

20
Créer la surprise, introduire de la poésie, de l’imaginaire autant de formes
d’action subtiles qui ont un grand impact sur notre cadre de vie.
Jusque dans les parkings et les stations de métro, les artistes peuvent injecter une
identité à des espaces anonymes.
A partir de son récit l’artiste contemporain offre un rêve, crée des ambiances,
procure du plaisir, notions immatérielles et impalpables.
Il évoque soit un récit passé, soit une fiction ancrée dans une géographie une
histoire, et ce à partir de références littéraires, philosophiques, poétiques,
musicales, théâtrales …
Il engage généralement le dialogue avec ceux qui passent. Aucune provocation,
jamais de dérision : l’esprit du jeu en revanche, de l’humour ou des échappées
poétiques attendent l’observateur.
L’habitant, le promeneur ne peuvent se contenter de la ville fonctionnelle.
L’œuvre d’art, comme le projet, construit et nourrit un imaginaire ; un
imaginaire collectif qui influe sur notre perception de l’espace.

L’intervention de l’artiste ouvre un champ peu connu des usagers, impliquant


tous nos sens, alors que l’urbanisme privilégie l’approche visuelle (graphique)
et fonctionnelle (lié à l’usage). Cette approche sensorielle à l’urbain et à
l’espace peut introduire une modification subtile à notre perception spatiale, et
une régénération de notre culture urbaine.

Pensera-t-on un jour peut être à une démarche visuelle, acoustique, sonore,


tactile, voire sensuelle de l’espace urbain ?

3.3.2- le musée dans la ville

Un rôle social

L’Icom (conseil international des musées) a vu le jour dans le sillage de


l’Unesco en 1946.
L’évolution de la définition du musée selon les statuts de l’Icom est à cet égard
révélatrice.
En 1951, « le mot musée désigne tout établissement permanent, administré dans
l’intérêt général en vue de conserver, étudier, mettre en valeur par des moyens
divers et essentiellement exposer pour la délectation et l’éducation du public
un ensemble d’éléments de valeur culturelle : collections d’objets artistiques,

21
historiques, scientifiques et techniques, jardins botaniques et zoologiques,
aquariums»21.
Mais aussi, les bibliothèques publiques et les centres d’archives qui
entretiennent en permanence des salles d’exposition sont assimilés à des musées.

Toutefois dans les années 1970, une pièce essentielle a du être rajoutée et a
marqué un tournant, elle se présente comme suit : « le musée est une institution
permanente, sans but lucratif, au service de la société et de son développement,
ouverte au public et qui fait des recherches concernant les témoins matériels de
l’homme et de son environnement, acquiert ceux-là, les conserve, les
communique et notamment les expose à des fins d’études, d’éducation et de
délectations »22 (statuts de l’ICOM, article 2, paragraphe I).

Cette nouvelle définition intègre un élément capital à peine évoqué lors de la


fondation de l’ICOM : la relation fondamentale du musée à la société : « un
musée est une institution permanente (…) au service de la société et de son
développement ».

En effet l’institution muséale peut être un agent de régénération pertinent et


efficace du tissu social. Il permet notamment une ouverture sur d’autres cultures
que la sienne pour mieux connaître l’autre et favoriser la vie en communauté.
Au passage on notera qu’on visite rarement un musée seul. Les chiffres le
prouvent: 91% des visites se font à plusieurs, 36% en famille, 23% avec des
amis, 21% en couple et 11% en groupe (sources: développement culturel N°105
octobre 1994 ; d’après un sondage de l’observatoire des publics -1993)23.

Suite a leur mutation déclenchée a partir de mai 68, les musées contribuent
foncièrement dans la notion de démocratiser l’art afin qu’il soit accessible a
tous. Une nouvelle conception de la culture est née.

Le cas du Mac /Val cité précédemment, peut être aussi retenu comme tentative
de cohésion sociale du musée en banlieue.
Au delà du caractère éducatif et social du musée, celui-ci possède des
potentialités a générer toute une dynamique économique autour, dont la ville
bénéficie directement.

Une réalité économique

21
Musée et muséologie, Dominique Poulot, édition la Découverte
22
Nouvelles de l’IC OM, lettre du conseil international des musées, vol 57 ,2004
23
Les musées a la lumière de l’espace public, histoire, évolution, enjeux -Paul Rasse, l’harmattan, 1999

22
Le cas du Guggenheim de Bilbao, est un exemple révélateur de l’impact
économique du musée sur la ville, on parlera alors de « l’effet Bilbao ». En 2000
le musée enregistre 3,5 millions de visiteurs en trois ans, les retombées sur
l’activité économique de la ville sont évidentes. « L’ampleur de la
transformation de la ville de Bilbao en termes d’image fait du musée une icône
de la réussite urbaine et médiatique, que maints programmes essaient
désormais de copier »21.

Son directeur depuis dix-sept ans, Thomas Krens affirme qu’il conçoit
l’architecture de ses lieux comme des « instrument de marketing plus qu’un
bâtiment destiné à abriter des collections »24.

Le musée, aujourd’hui est une entreprise culturelle certes mais aussi


économique capable de drainer des foules de touristes et d’augmenter donc
l’activité tertiaire et par conséquent son chiffre d’affaire.
Dans ce même registre, en feuilletant Le journal des arts (n°244 octobre 2006),
je tombe sur une nouvelle qui « va ouvrir une brèche dans la politique des
musées » : le directeur du Victoria &Albert Muséum à Londres souhaiterait
mettre en place un système de location de tableaux issus des réserves du musée,
dont les recettes seraient affectées aux acquisitions.

Il s’agit bien d’idées pragmatiques anglo-saxonnes, qui nous mettent face à une
certaine réalité économique mais aussi commerciale (autant voir cette vérité en
face) qui font désormais partie intégrante du fonctionnement des musées, quand
ceux ci ne sont pas sous l’aile protectrice de l’état.
Au delà de l’engouement suscité par ses missions éducatives et culturelles, un
musée doit vivre et trouver son équilibre financier. Il se retrouve alors face à un
curieux paradoxe.

C’est ce même paradoxe, qui a fait naître une polémique de taille: paru dans
Le Monde du 13 décembre 2006 l’article, intitulé « les musées ne sont pas à
vendre » dénonce une dérive des musées. Ce texte est devenu une pétition pour
plus d’un millier de conservateurs. La « dérive » qu’ils dénoncent, a commencé
avec l’accord que le Louvre a signé avec le High Muséum d'Atlanta, aux États-
Unis, ainsi que l’ouverture d’une antenne en 2012 à Abou Dhabi.

24
Journal le monde du 26.09.05 « le musée Guggenheim de New York change de tête »

23
Les pétitionnaires craignent que les grands musées, subventionnés par l’état,
soient dépouillés de leurs chefs-d’œuvre et que le vrai motif de leurs antennes à
l’étranger soit pour des raisons économiques qu’artistiques ou éducatives.
Face à ces conservateurs (qui portent bien leurs noms) le directeur du Louvre
(Bruno Racine) s’explique dans un article intitulé « musées à l’heure de la
mondialisation »paru dans le même journal et se défend «de toute tentation
mercantile et indiquent que les musées doivent participer au mouvement du
monde. Tout ce qui doit durer doit changer. Leur mission (les musées) est de
conserver des œuvres, mais aussi de les présenter à des publics qui évoluent et
se renouvellent ».
Personnellement je pense que ce qui fait l’âme et l’identité même d’un lieu
vivant, tel un musée est sa capacité à se renouveler sans cesse, notamment grâce
à des expositions temporaires dans ou hors ses murs. Même le Louvre
« longtemps bastille du conservatisme »* s’est doté d’un vaste auditorium, de
salles d’expositions temporaires, de librairies, de boutiques, de restaurants….
Les opposants à ce mouvement de régénération ne semblent pas comprendre que
c’est justement ce mouvement, et d’abord la politique d’expositions, qui
permettent aux musées de vivre (« les musées meurent aussi » disait J. sallois,
magistrat à la cour des comptes placé à la tête de la direction des musées de
France par J. Lang) pour être autonome financièrement pour piloter et orienter
leur stratégie d’acquisition.
Oui, cette ouverture sur le monde est périlleuse et les dérives mercantiles sont
possibles. La vigilance est de mise. Mais la frilosité et le repli sur soi ne peuvent
être des réponses aux défis et enjeux de la mondialisation.

Par delà les missions initiales du musée : collection, conservation, étude,


exposition, éducation… Le taux de fréquentation s’impose aussi comme un
enjeu.
Les musées se retrouvent alors insérés dans les circuits touristiques, et doivent
fonctionner en réseau.
Ils sont contraints de s’aligner sur la scène mondiale ou nationale ce qui a une
incidence directe sur la définition de leurs programmes culturel et architectural.

24
Tenter d’échapper à ses murs pour conquérir la ville et tirer parti de sa vitalité, le
musée est un vecteur de dynamisme pour une ville ou une région. Ceci explique
l’attrait croissant qu’exerce son architecture.

3.3.3-L’Institution muséale: ses missions, son historique

1- Généalogie :
Pour mieux comprendre le musée, il serait important de replacer sa définition
dans une optique plus vaste que celle des définitions encyclopédiques, telle par
exemple celle que l’on peut lire dans le dictionnaire Robert : « Musée : …
Etablissement dans lequel sont rassemblées et classées des collections d’objets
présentant un intérêt historique, technique, scientifique, artistique, en vue de leur
conservation et de leur présentation au public. »

Ainsi, l’institution muséale est enfermé dans une définition étroite qui l’inscrit
dans un caractère statique et ne fait aucune allusion à un quelconque rôle
d’action culturelle.
Il sera alors nécessaire d’aborder cette définition d’un point de vue contenant les
facteurs socio psychologiques qui sont à l’origine de la fonction muséale.

A- La Conservation :

L’espèce humaine se caractérise par un sens de la transmission des acquis des


générations précédentes.
Une partie est d’abord conservée par la tradition orale et par la suite via
l’écriture. Une autre partie est liée aux ensembles d’objets sélectionnés et
accumulés qui représentent le témoignage d’un savoir faire des générations ou
civilisations passées.

A travers ces objets accumulés, se matérialise l’existence d’une société


détentrice d’une culture. Le rassemblement d’objets signifie pour un groupe
humain la reconnaissance de la valeur d’une existence historico-culturelle, en
d’autre terme d’une mémoire collective commune.
Préserver le témoin de l’être humain, c’est en quelque sorte préserver l’existence
de ce dernier. C’est assurer la permanence de cette existence et nier le caractère
mortel de l’homme.
On pourrait intégrer cette identité sociale « conservatrice » comme une des
dimensions principales qui font la vocation du musée.

B- L’éducation :

25
Une autre pratique concerne le mode d’évolution des connaissances humaines,
évolution qui fonctionne sur le mode de l’apprentissage et de la transmission des
expériences du passé.

L’apprentissage s’effectue donc par l’assimilation d’un héritage intellectuel ; cet


héritage se transmet sous la forme d’objets porteurs d’informations.
André Malraux souligne l’importance de cette fonction de l’éducation et de
l’enseignement :
« …le musée, s’il n’est un lieu d’enseignement, ne peut être qu’un concert
absurde ou se succèdent et se mêlent, sans entracte et sans fin, des mélodies
contradictoires »25.

On retrouve une des principales raisons qui font la vocation de l’espace muséal à
savoir : conserver (accumuler, sauvegarder, protéger) et éduquer (présenter,
observer, analyser, communiquer). Cette double fonction fait du musée un
instrument déterminant d’évolution et de culture à l’usage de l’humanité: « Le
musée impose une mise en question de chacune des expressions du monde qu’il
rassemble, une interrogation sur ce qui les rassemble. Au « plaisir de l’œil » la
succession, l’apparente contradiction des écoles ont ajouté la conscience d’une
quête passionnée, d’une recréation de l’univers en face de la création.
Après tout, le musée est un lieu qui donne la plus haute idée de l’homme » 24.

2- HISTORIQUE

A-les premières présentations d’œuvres

Le mot « musée » remonte au mouseion, le temple ou étaient présentées les


neufs muses. A la période hellénistique, les hommes de science qui se
réunissaient dans les bibliothèques s’étaient penchés sur l’organisation et le
recensement des valeurs dans les divers domaines de la pensée, et avaient donné
de nouvelles formes à la transmission du savoir.
Depuis l’antiquité alors, au désir de collection s’ajoute la volonté de
transmission du savoir. Les romains rassemblaient dans des temples les trophées
de leurs victoires.
A Alexandrie, un des premiers « musées » fut créé par Ptolémée 1er , il était
situé dans un palais et sa gestion était prise en charge par le trésor public.

25
André Malraux, le Musée imaginaire, folio essais ,2003

26
Les objets du passé et du présent y étaient rassemblés et conservés dans un but
éducatif, mais aussi pour glorifier la dynastie des rois d’Egypte. Il est intéressant
de noter qu’étaient réunis dans un même « complexe culturel » une bibliothèque,
une ménagerie, un jardin botanique, un observatoire, un amphithéâtre, des salles
de travail et un réfectoire. Toutefois, le musée n’était pas accessible à tous.
Au contraire, les collections privées des romains – œuvres d’art, butins de
guerre– étaient exposées dans des lieux publics comme les thermes, les forums
ou les portiques: il n’y avait pas, à cette époque, de bâtiment spécifique
d’exposition.
Au moyen age, les institutions religieuses, les églises et les cathédrales assurent
le rôle de conservatoire de l’art religieux.
Par la suite, les collections des familles princières d’Europe, des humanistes et
des philanthropes furent installées dans les galeries des palais ou dans les
« cabinets de curiosités ». Elles n’étaient pas accessibles qu’aux seuls initiés et
amis de leur propriétaire.
Bien qu’ils n’aient pas été conçus spécifiquement à des fins muséographiques,
ces édifices, par l’ampleur de leurs galeries, les aménagements réalisés, sont
devenus nos grands musées. Ils en constituent les modèles, qu’on pourrait
qualifier de « traditionnels ». En effet, l’architecture des premiers musées est
calquée sur celle des temples et des palais.
La spécialisation des contenus des collections privées s’est affirmée et l’accent
à été mis sur la présentation et le classement, par opposition, à l’accumulation
qui prévalait.
« La problématique du classement s’est illustrée, notamment en France, par le
remaniement effectué dans la galerie du Louvre en 1794, avec le classement des
tableaux par école en vue de son ouverture au public. Ce fait marque le passage
d’une muséologie de la vue à une muséologie du discours»26.

B- De la collection au musée

Les musées en tant qu’établissements publics existent, sans porter ce nom,


depuis la Renaissance.
En 1741 fut l’année de l’ouverture à Rome par Sixte IV, au Capitole, d’une
galerie publique de statues antiques.
Le premier musée d’état serait cependant le British Muséum, abrité d’abord dans
un hôtel particulier de Londres. Il fut fondé en 1753 et ouvert au public en 1759.
L’Ashmolean Museum d’Oxford, qui dépendait de l’université fut, quant à lui,
créé en 1677.
Ces deux établissements présentent des collections d’histoire naturelle, de
numismatique (monnaies, médailles) et de peinture.
26
Laurence Allégret, musées, paris, Electra /le moniteur, 1989 et 1992, 2 vol

27
En France, il faudra attendre la révolution pour voir s’ouvrir au public le musée
du Louvre (1795-1801), le Musée d’histoire naturelle, le conservatoire des arts
et métiers (1794) puis le musée des Monuments français (1796).
Les expositions universelles ont aussi contribué à générer la création de divers
musée, tels ceux des arts décoratifs ou d’art et de traditions populaires, comme
le Nordiska Museet de Stockholm, en 1873.

C-Les Modèles classiques

Les premiers édifices conçus spécifiquement pour la fonction de musée sont


l’Altes Muséum de Berlin (1830), le nouveau bâtiment du British Muséum
(1823) et la Glyptothèque de Munich (1816-1830).
Leur architecture de style néoclassique a influencé les architectes du XIX siècle
et même du XX e, comme en témoigne la national Gallery de Washington de
1945.
De nombreux musées furent en effet créés en référence aux modèles proposés
par Boullée.
Cette architecture mêle le vocabulaire de la Grèce et de la Rome antique.
En Angleterre, l’exposition universelle de 1851 ouvre de nouvelles visions, en
effet, Le Crystal Palace exposait dans son architecture de verre et de fer des
objets manufacturés, mais également des objets d’art. La transparence et
l’ampleur des espaces libres offraient de nouvelles voies dont l’écho se fit sentir
dans le domaine des musées.

D- Les ruptures du Mouvement Moderne

Vers 1945 le Corbusier et Mies Van Rohe conçoivent des projets qui
bouleversent les schémas antérieurs en termes de fonctionnements, d’images du
musée et de rapport aux collections.
Dans le projet du Mundaneum, centre de culture mondial de Genève, de Le
Corbusier (1929), le visiteur accède au musée par le centre de l’édifice et
commence le parcours par le niveau supérieur. La réflexion porte, sur la
circulation conçue pour une promenade sans escalier et réalisée grâce à une
rampe et sur la recherche d’une « lumière régulière, égale partout »26.
Il s’agit de son concept de « musée à croissance illimitée », longue spirale
évolutive sur pilotis « extensible à volonté »27, ce projet est formé de modules de
7 m2 .Une rampe située sous l’édifice mène à une salle centrale ou débute le
parcours, « le visiteur ne verra jamais de façade, il ne verra que l’intérieur du
musée…» 26. Entre 1952 et 1957, à Ahmedabad, Chandigarh et Tokyo, trois
projets concrétiseront ces recherches. Frank Lloyd Wright ira dans le même sens
27
Le Corbusier, L’œuvre complet

28
au Guggenheim de New York (1959) dans cette typologie de musée à spirale
refermée sur elle-même.

Cette attitude de retrait par rapport à l’extérieur se situe à l’opposé de celle


adoptée par Mies van Der Rohe : la Galerie nationale de Berlin (1968) «est un
écrin abstrait ouvert sur l’extérieur, en prise directe mais contrôlée sur la
ville »28, il s’agit d’un plateau d’un seul niveau sans circuit imposé.

Elle prolonge les recherches entreprises dés 1942 par Mies van Rohe avec le
projet de « musée pour une petite ville » 29. Dans ce texte publié en 1943, Mies
exprime une volonté « de faire du musée un lieu de jouissance et non de
réclusion de l’art » et ceci en abolissant « la barrière entre l’œuvre d’art et la
communauté ».
L’extension réalisée pour le musée des arts de Houston, le Cullinan Hall, sont
une préfiguration de cet espace libre du musée, ou l’art va à la rencontre du
public : « l’espace architectural ainsi créé devient un espace qui définit plutôt
qu’il confine ».

Ccl : En somme, le musée détient un rôle social important au sein d’une société
et une portée économique non négligeable pour sa ville. L’institution muséale
s’est vue naître à travers le sens inné de la conservation et de la transmission
chez l’homme. Ainsi, tout a commencé par le temple des muses de la période
hellénistique, en passant par les modèles classiques des années lumières qui
puisèrent leur vocabulaire architectural dans l’antiquité gréco-romaine. Tandis
que le 20ém siècle, a bouleversé les schémas classiques e, offrant une nouvelle
approche du musée. Il s’agit d’une réflexion profonde qui tient compte de la
lumière, du parcours, des œuvres et leur rapport au lieu.

4-Analyse de musées et de fondations

4.1- Exemples de musées

4.1.1-De la Ménil Collection jusqu'au Zentrum Paul Klee :

28
Christine Desmoulins, 25 musées, Le moniteur 2005
29
« Un musée pour une petite ville », publié dans Architectural Forum, 1943, p84-85- Mies van der Rohe :
réflexions sur l’art de bâtir, p317 –le moniteur

29
L’œuvre de Renzo piano est caractérisée par une certaine contextualité (non de
neutralité, l’acte de bâtir ne peut jamais être neutre à mon sens) elle fait preuve à
chaque fois d’ingéniosité face à chaque problématique urbaine ou paysagère.

Il ne s’agit pas de recette pré mâchée, parachutée sur un site ou un certain ego
mis en avant broyant ainsi ce que l’architecture du lieu est censée servir.
Cette manière d’aborder le projet, en a fait de Piano un spécialiste des lieux
d’expositions.
Dans ses lieux de la Ménil collection en passant par la fondation Beyeler, les
œuvres exposées s’expriment (ceci n’est pas toujours le cas dans certain lieux
d’exposition). Elles dialoguent avec le lieu.

Ce qui est particulièrement marquant et déterminant dans son travail, c’est une
certaine continuité, fil conducteur d’un projet à un autre, sans passer par une
quelconque redondance.

A- Variation et continuité dans l’œuvre de R. Piano.

2- La Ménil Collection –Houston, Etats-Unis

Date de la construction : 1983-1987


Surface du terrain (village - musée et muse) : 90 000m2
Surface nette de plancher : 8640 m2
Surface d’exposition : 2600 m2

Suite à la demande de Dominique de Ménil, qui voulait créer un musée


expérimental : un centre de restauration, un site d’exposition Piano avait émis
l’idée d’un village -musée. L’autre élément déterminant était que cette personne
« Nourrissant un grand amour à la lumière, elle souhaitait que nous travaillons
sur le thème de l’éclairage naturel »30.

Par ailleurs l’abondance d’éléments à exposer insista à concevoir l’idée d’une


treasure House ou les œuvres seraient exposées par roulement pendant de brèves
périodes.
Cette idée a permis d’exposer les œuvres à une lumière plus forte que celle dont
on avait l’habitude dans les musées parce qu’on les décrocherait au bout d’un
temps assez court.

30
Renzo Piano, Carnet de Travail, Seuil

30
« On pourrait ainsi les admirer sous un éclairage très vif. En effet, Mme de
Ménil tenait à ce que son musée soit envahi par une lumière vivante, palpitante,
aussi changeante que le jour, de façon à apporter aux œuvres d’art des lectures
chromatiques infinies »29.

Pour éviter les rayons ultraviolets (dangereux pour les œuvres d’art) et pour
répondre à une abondance de lumière manifestée par le maître d’ouvre, une
couverture constituée par la répétition d’un élément modulaire « feuille » a été
pensée, celui-ci étant composé d’un profil mince en ferrociment. Ces feuilles
légères, remplissent un rôle important en couverture, au niveau de la ventilation
et du contrôle de la lumière.
La contribution de Peter Rice était importante pour affiner ce concept de
feuilles : en partant d’un niveau d’éclairage de 80 000 lux (celui d’une journée
de printemps) le niveau d’éclairage intérieur était ramené à 1000 lux :
« La Ménil Collection est le fruit d’une technologie de pointe dans la structure,
les matériaux. Qui n’est pas exhibée. Ici, la technologie existe parce qu’elle est
utile, elle se manifeste donc comme effet, et non comme un instrument»29.

C’est la lumière naturelle qui met en scène les œuvres exposées à travers ce
dispositif minutieux. Lumière, transparence, immatérialité sont les leitmotivs
pour créer « une atmosphère qui prédispose le spectateur au calme, à la
sérénité, à la contemplation …la Ménil Collection parvient à restituer l’émotion
d’un lieu sacré …pour obtenir ce résultat, nous avons enfanté un espace dont la
richesse et la complexité dépassent la volumétrie, le jeu des éléments répétés,
les plan multiples. Nous avons essayé d’utiliser en architecture des éléments
immatériels tels que la transparence, la légèreté, la vibration de la lumière »29.

Pour confirmer cette quête de sacralité dans son espace Piano a établit une
certaine comparaison entre La Ménil collection et Beaubourg : « si Beaubourg
s’opposait de façon polémique au poids du passé et des monuments de Paris, la
Ménil Collection naquit de l’exigence inverse. A Houston, Ville privée de
mémoire, il était nécessaire de sacraliser le lieu du musée»29.

Le dispositif élaboré au niveau de la toiture pour filtrer la lumière y est pour


beaucoup dans la création de cette atmosphère.
Ce dispositif va s’affiner d’avantage dans les autres projets qui vont suivre tel
que le pavillon Cy Twombly à Houston qui sera une sorte de maquette pour
l’élaboration de la Fondation Beyeler à Bale.

2-Pavillon Cy Twombly –Houston 1993-1995

31
Le Pavillon de Cy Twombly est un bâtiment mitoyen à la Ménil fondation. Il
s’agit du même commanditaire qui vouait une admiration a ce peintre, ce
pavillon se voulait être non pas une aile ajoutée, encore moins un bâtiment en
compétition avec la fondation mais un bâtiment différent dans une certaine
continuité.
Cy Twombly avait manifesté un désir de sobriété et de pureté dans un lieu qui
abriterait son œuvre.
Le musée de la Ménil collection est conceptuellement un seul espace souple,
divisé par des cloisons mobiles : il peut donc être organisé de diverses façons
selon le besoin. Le Pavillon Cy Twombly est, en revanche, fait pour un seul
artiste pour des œuvres bien définies.
La structure de l’espace est plus rigoureuse, plus définie. L’édifice ne contient
que des salles d’exposition. Leur plan a pour base une trame structurelle de trois
mètre par trois ; répétée trois fois par coté. Chaque carré forme une galerie
indépendante. Toutes les galeries, à l’exception de celle du milieu, sont éclairées
par la lumière zénithale naturelle.

La couverture a été conçue comme une série d’étages superposés qui filtrent la
lumière. Le plus haut d’entre eux est composé de grilles métalliques, et le plus
bas de tissu. Entre ces deux couches il y a une couche de déflecteurs solaires et
une surface vitrée.
Contrairement à la Ménil Collection, le Pavillon Twombly abrite, une exposition
permanente, beaucoup plus exposée aux dommages provoqués par un excès de
lumière. C est pourquoi les niveaux d’éclairage sont plus faibles et plus
constants, 300 lux contre les 1000 de La Ménil.
Cette lumière « raréfiée, semblait contribuer à rendre encore plus vibrants et
contre plus mystérieux les subtils graffitis exposés dans ce lieu »29.

3- La Fondation Beyeler

Date de construction : 1994-1997


Surface du terrain : 42800 m2
Surface couverte : 5490 m2
Surface espace d’exposition : 2710 m2

Situation et site :
Le musée de la fondation Beyeler a pour vocation d’exposer l’exceptionnel
œuvre privée d’Ernest Beyeler. Il est bâti sur un terrain public, à Riehen, juste à
l’extérieur de Bale, en Suisse. Le site fait partie d’un parc, au milieu des arbres

32
d’un site historique du XIXéme siècle, les galeries d’exposition se développent
de façon rectiligne dans les espaces de ce parc.
Toit structure
La galerie est couverte d’un toit auvent qui laissera entrer la lumière naturelle
tout en la modulant.
Cependant, cette structure sera, dans sa forme et dans ses proportions,
indépendante des espaces situés en dessous; elle s’avancera notamment en saillie
au delà des murs externes.
La légèreté du toit créera un fort contraste avec les murs ancrés dans la terre. Un
plafond en toile, cachera les éléments structurels et ceux servant à la diffusion de
la lumière, de façon à ce qu’ils ne fassent pas partie intégrante de l’architecture
intérieure.
A travers ce projet, Piano a démontré sa capacité à ressentir l’esprit d’un lieu.
L’esprit du travail de Piano, cherche à atteindre une intimité avec
l’environnement et la nature, ainsi qu’avec les usagers.
Le projet est ancré dans son contexte: les élévations devinrent plus complexes
et les matériaux plus chauds.
La collection d’Ernest Beyeler, constituée minutieusement au cours de longues
années, compte 180 toiles exceptionnelles allant de Monet à l’art le plus récent
de l’Allemagne de l’Est. On y retrouve, entre autres, des ouvres majeures de
Cézanne, Matisse, Picasso, Braque, Klee, Kandinsky, Rauschenberg et, ainsi que
des sculptures de Giacometti, et d’autres provenant d’Océanie et de l’Ile de
Pâques.

Lumière et éclairage :
Sur la coupe l’éclairage Zénithal et les plafonds transparents sont conçus pour
inonder les galeries d’une douce lumière naturelle. Sans être aussi intense qu’a
la Ménil Collection, celle-ci sera tout aussi vivante reflétant les changements
climatiques extérieurs.

Murs
Ce projet représente très bien une certaine alchimie entre l’intérieur et
extérieur, et ceci grâce notamment à des murets qui prennent naissance du
projet et débordent au delà de sa limite pour aller chercher le parc et
l’introduire dans l’espace intérieur du musée.
Dominant le plan, quatre murs droits traverseront le terrain du nord au sud,
parallèlement à une portion de mur d’enceinte, le long de la route. Ces murs
principaux, de même longueur, s’élèveront depuis le milieu du parc et
soutiendront l’auvent rectangulaire du toit en surplomb.

33
Les trois bandes d’espace formées entre chaque mur seront principalement
occupées par des galeries d’exposition.
Le long de la portion de mur d’enceinte parallèle aux murs porteurs, sous le toit
plat soutenu par ce mur, seront installés divers espaces de services qui ouvriront
sur le hall d’entrée.
Ces parois seront revêtu de pierre: une pierre qui ressemble au grès rouge local,
mais pour des raisons d’effritement et de fragilité, son utilisation aurait posé des
problèmes d’entretien, cette pierre fut importée d’Argentine.

Programme et parcours :
L’arrivée au musée se fera par le Sud. Une fois dans le parc, les visiteurs auront
le choix entre pénétrer dans la villa, faire quelques pas au delà de la villa pour
admirer le parc et le panorama sur la campagne, ou tourner à droite pour se
rendre directement au musée. L’entrée au musée est guidée par un mur en pierre
bas qui, en s’élevant par palier, se prolongera pour devenir le mur porteur le plus
à l’est.
Sur le coté nord, on trouvera ainsi qu’une rampe d’accès pour les automobiles,
qui mènera directement au sous sol. Ce niveau souterrain abritera, outre un
parking pour l’équipe du musée, un quai de chargement, des salles de stockage,
des locaux techniques et des ateliers. Une galerie spéciale y trouvera place,
réservée aux œuvres fragiles (comme les aquarelles) qui ne peuvent être
éclairées que faiblement et artificiellement.
Au dessus, au niveau principal, les quatre murs modulant les galeries se
projetteront au delà du périmètre fermé du musée pour soutenir les extrémités du
toit en porte à faux. Les larges avant-toits seront supportés par les extrémités des
poutres en diagonale fixées aux murs les plus à l’extérieur. Les murs parallèles,
d’une grande force expressive à l’extérieur, seront discontinus à l’intérieur,
interrompus par une succession d’ouvertures plus ou moins larges. Les galeries
exposition (occupant les bandes de 7.50 mètres formés par des murs d’une
épaisseur de 70 centimètres) s’arrêteront à peu de distance de l’extrémité des
murs et aboutiront à des écrans entièrement vitrés. L’effet recherché est
d’affirmer la prédominance des murs et de suggérer, d’une part la priorité de la
structure sur l’espace contenu et, d’autre part, une certaine qualité systématique,
quoique indéterminée, caractéristique de l’œuvre de Piano.
En avant du mur le plus à l’ouest, directement sous le bord externe de l’avant-
toit, se tiendra une paroi vitrée avec des menaux très rapprochés. Cette parois
abritera un jardin d’hiver long et étroit qui, contrairement aux salles d’exposition
introverties et éclairées par la lumière du nord, jouira de la vue et du soleil de
l’après midi. Il servira d’espace d’exposition pour les sculptures et accueillera
deux escaliers et un ascenseur permettant d’accéder à la galerie en sous sol. A
chaque extrémité de ce jardin seront installés des espaces pour regarder des
vidéos.

34
Structure et aération :
Ainsi certains éléments structurels du toit seront visibles autour de l’enveloppe
de l’édifice, mais aucun ne le sera de intérieur des galeries ; de même, la
structure en béton sera presque entièrement cachée. La pierre recouvrant la face
externe des murs ne sera pas structurelle. Les quatre murs principaux cacheront
de vastes cavités dans lesquelles seront logées les colonnes de béton et les
conduites d’extraction de l’air, ouvertes au sommet des murs.
Ce projet présente un système efficace avec un air conditionné alimenté à travers
le sol par des ouvertures pratiquées dans le parquet, lui-même rehaussé de 48
centimètres au dessus de la chape de béton.
L’air conditionné pénétrera dans la galerie contractant avec la simplicité des
murs ancrés dans le sol, le toit, flottant légèrement au-dessus d’eux, sera lui-
même un mélange de simplicité et de complexité.

Conclusion
Dans tous ces lieux, Piano a su mettre en valeur les œuvres exposées, et faire
preuve d’une subtile présence architecturale tout en laissant les œuvres
s’exprimer pleinement et ceci en faisant appel à un matériau immatériel : la
lumière. A chaque fois celle-ci était le centre de la réflexion architecturale du
projet

Fondation Paul Klee :

Surface du terrain : 60000 m2


Surface brut : 16000 m2
Ouverture juin 2005

Pour le centre Paul Klee à Berne il s’agit autres types de


problématiques.

35
a- La problématique monographique :

Paul Klee était membre du Bauhaus, cette expérience fertile au


croisement des disciplines et des différentes cultures artistiques et à
l’image de la diversité artistique dans l’œuvre de Klee. En effet en
plus de la peinture, Klee manifestait un grand intérêt pour la musique
(Pierre Boulez a repris dans son livre sur l’inspiration musicale,
l’importance de la poétique musicale de Paul Klee dans son œuvre.) À
cet égard, Piano ne voulait pas d’un musée strictement
monographique.
« C’est toujours dangereux …..D’ailleurs les musées monographiques
sont toujours difficiles à gérer puisque vous avez des œuvres exposées
de manière permanente et les gens ont toujours l’impression qu’une
fois qu’ils les ont vues c’est fini »31. Par rapport à cela Piano, chercher
à créer à travers ce centre, un lieu où l’on dépasse les limites et les
frontières entre certaines disciplines artistiques.
La musique sera assez présente à travers un auditorium de 300 places,
Pierre Boulez animera un ensemble inter contemporain. Par ailleurs,
un ensemble constitué de musiciens se pencheront sur des
interprétations musicales qui se rapporteront directement à Paul Klee,
un programme sera alors établi en corrélation avec l’exposition.
relier l’art et la musique était une préoccupation centrale du projet,
« la musique fait partie intégrante du concept directeur du musée…
créant ainsi une corrélation avec les visions artistiques de Paul
Klee »32 .

Un théâtre aussi a été créé en rapport avec l’œuvre de Klee, pour élargir
consolider et questionner les impressions nées au cours des déambulations dans
la collection. Le Zentrum Paul Klee invite des troupes de théâtre à travers le
monde à donner des représentations se référant au travail de Klee.
Par ailleurs le centre dispose d’un kindermuseum Creaviva, il s’agit d’un musée
pédagogique qui s’étale sur 700 m2 destiné aux enfants (dimension de
l’innocence, notion importante dans l’œuvre de Klee) pour « découvrir et jouer
avec les sens, les couleurs et le sons »31.
D’autres expositions temporaires seront organisées avec d’autres artistes.
Il y a aussi un centre de recherche de documentation autour des archives de Paul
Klee.
« Donc ce n’est pas seulement un musée, c’est un centre qui tourne autour de la
figure de Paul Klee, et autour du rêve selon lequel le frontières entre les
31
Site Internet ARTE : www.arte-tv.com/fr/art-musique/klee/interview
32
Site Internet Zentrum Paul Klee : www.paulkleezentrum.ch/ww/fr/pub/web_root/act/musik.cfm

36
différentes disciplines artistiques n’existent pas ……………ce mélange (entre les
différentes activités autour du musée) est très important, il ne s’agit pas du tout
d’un musée monographique » 32.

b- Le rapport à Klee

Riche d’un ensemble de 4 000 œuvres, ce lieu pose une problématique de taille:
quel rapport établir entre contenu et contenant entre l’œuvre et son espace ?
D’autres questions sous-jacentes se posent aussi : la donation est principalement
constitué d’œuvres sur papier de petites dimensions, d’où une certaine fragilité
dans la manière dont elles seront exposées. Comment dialogueront-elles avec
l’espace, son échelle et sa lumière ?
Et enfin comment le centre dialogue avec le site et sa géographie ?

Dans ce projet, Piano n’était pas dans une logique de monumentalité (d’après
ses propos) ni même dans une logique de modestie : « un bâtiment institutionnel
pour Paul Klee, qui va durer je l’espère des centaines d’années, des milliers
d’années peut-être, c’est en tout cas l’idée folle qu’on a quand on construit un
musée, il faut que ça dure l’éternité !
Donc un chantier comme ça ne peut être trop modeste, n’exagérons pas .il peut
ne pas être monumental, arrogant, rhétorique, bien sur, mais il faut quand même
qu’il ait sa force, une certaine gueule , il faut qu’il ait un caractère… » 31.

Piano revendique une certaine autonomie à l’égard de l’œuvre de Klee, il


n’hésite à souligner l’importance de dialoguer avec le lieu aussi : « Dans le lieu,
les éléments d’un projet sont assez souvent déjà contenus » 31.
Cette phrase avec laquelle il entame le rapport à Klee en dit long « or il faut
aussi dire que Paul Klee est un artiste incroyablement riche et inspiré….vous
voyez c’est toujours dangereux de dire : alors à cause de cela on a fait un projet
comme si c’était Klee qui l’avait fait », ça c’est une bêtise énorme parce que
grâce à dieu, chaque discipline artistique a ses règles et son langage » 31. En un
certain sens, il est vrai qu’une attitude mimétique, risquerait de nuire à
l’expression et à la lecture de l’œuvre de Klee. Il ne s’agit pas alors de faire
comme si Klee avait conçu le lieu ni même partir d’une toile de Klee et l’élever
en volume, toutes ces réponses seraient plate et du 1er degré.
L’attitude inverse serait aussi inappropriée, face à cette problématique,
concevoir un lieu qui ne puise pas sa sève de l’ensemble de l’œuvre de Klee
n’est pas non plus une attitude adéquate : « c’est la poétique qui est derrière
(l’œuvre de Klee) qui elle peut aider puisque la poétique c’est la base sur
laquelle l’expression se fond…je trouve que l’idée de labourer un champ,
comme si on était des paysans avant d’être des architectes , c’est une idée qui
appartient bien sur à l’humilité et à la modestie de Klee…..et c’est comme ça

37
qu’on à commencer à labourer un champ, par travailler le terrain ,..Sculpter le
terrain pour qu’il finisse par devenir un bâtiment » 31.
Sculpture paysagère en trois nefs parmi les collines agricoles qui constituent
« une zone de silence qui prépare la rencontre avec Klee » 31 de l’extérieur, ce
paysage ondulant s’articule de l’intérieur à partir d’une rue intérieure de 160
mètres de long.
La luminosité qui inonde cette rue contraste avec la pénombre, la fragilité des
œuvres ne permet pas plus de 80 lux.
Une autre problématique s’est aussi posée, au de la de la fragilité physique (sur
papier), Paul Klee a toujours travaillé sur des petites dimensions, quelle échelle
spatiale établir avec de telles œuvres ?
Pour l’architecte « on serait tenté par l’équation : petites œuvres = petits
espaces. Si les œuvres sont petites, il faut faire de petites pièces. C’est une bêtise
gigantesque puisqu’on est capable, avec la mauvaise idée de la neutralité de
l’architecte, de tuer une œuvre d’art. Il faut faire attention parce qu’un espace
mort, plat, neutre, tue l’œuvre d’art ».

Globalement, je trouve la réponse de Piano assez juste, j’aurais juste aimé que
ce champ labouré dont il parle puise d’avantage son inspiration dans le langage
artistique de Klee si richement composé. On est un peu loin de l’épuration
architecturale de la Beyeler Fondation ou même de la Ménil Collection ; il s’agit
bien d’un monument qui se dresse, tel fut d’ailleurs le titre d’un article du
journal le Monde « Renzo Piano élève un monument à Paul Klee ».
Ceci –dit sa conception et ses propos, plus exactement sa sincérité en parlant de
sa manière de concevoir ces lieux si magiques que sont les musées m’ont
interpellé : « dans un musée il s’agit toujours de mélange entre le sacré et le
profane…qu’est ce alors un musée ?sinon un lieu dans lequel le temps disparaît.
Les musées sont hors du temps, ils construisent le durable. L’œuvre est fragile,
éphémère par définition ; le musée l’arrache à la dimension du temps court et la
met dans une dimension qui est hors du temps, hors contexte. L’œuvre devient
« hors contexte », elle est toute seule, là, et c’est vous et l’œuvre. . Et cette
poétique forte qu’il faut obtenir………… … or tout cela c’est des mots, mais je
ne suis pas sure que tout cela se réalise. C’est le défi. vous ne pouvez accepter
un tel défi que la création d’un espace pour Klee en vous disant que c’est facile
, qu’il suffit de faire des pièces de trois mètres de haut ….comme ça on ne
dérange pas. Oui on ne dérange pas mais on peut tuer » 31.

4.1.2-Fondation Maeght : une rencontre entre

38
Un mécène, Un architecte et des artistes.

Surface construite : 2767 m2


Surface du musée : 1928 m2

Crée en 1964 par le couple Maeght, la fondation s’élève sur les collines du Midi,
à proximité du village de Saint Paul (à 25km de Nice). Ce musée magique se
veut être un lieu emblématique d’art moderne et contemporain, où les sculptures
de Miro, Giacometti ou Calder scrutent l’horizon.

Naissance de la fondation

Marguerite et Aimé Maeght sont des passionnés d’art qui en 1945, encouragés
par Matisse, avaient ouvert une galerie à Paris (8è).
En 1953, leur fils cadet décède. Plongés dans un malheur profond, les Maeght
vont encore une fois suivre la voie suggérée par les artistes. Braque les incita « a
entreprendre quelque chose de plus grand qu’eux », qui les aiderait a dépasser
leur peine : « Créer un lieu d’art moderne, au milieu du thym et du romarin » 33.
Les Maeght venaient de visiter les fondations américaines comme Barnes,
Phillips et Guggenheim. Peu à peu se précise l’idée de créer une fondation où
Aimé souhaite y rassembler sa collection et offrir à ses amis artistes, un lieu où
ils puissent travailler ensemble et échanger leurs idées. Il s’agit d’un endroit qui
ne serait pas un musée conventionnel mais un espace totalement dédié et ouvert
aux artistes. Fernand Léger disait : « Si vous faites ça, j’apporte ma barbouille,
je vous peindrais même les rochers».

Une initiative privée

C’était la première fois depuis la création du musée d’art moderne de Paris que
l’on construisait un musée en France. Un privé ne s’était jamais lancé dans une
telle aventure. Même aux yeux des artistes, le projet paraissait totalement fou :
construire un lieu d’art contemporain dans un village de provence. Sans aucune
aide de l’Etat, ni subvention, ni incitation fiscale, le projet avait néanmoins le
soutient de Malraux, ministre de la culture de l’époque «Ici est tenté quelque
33
Lluis Sert

39
chose d’exceptionnel. Ceci n’est pas un musée. Ce qui se passe ici est peut être
quelque chose de l’esprit ».
Pour financer le chantier les Maeght puisèrent dans leurs économies et vendirent
notamment une toile de Léger au Musée Guggenheim.
De leur coté les peintres et les sculpteurs qui les entouraient offrirent leurs
oeuvres et leur temps.
Reconnue d’utilité publique, la fondation fonctionne de façon complètement
autonome.

Le projet architectural

Le projet est suivi de fond en comble par le couple en parfaite harmonie avec
Josep Lluis Sert, architecte catalan qui avait réalisé l’atelier de Miro. Ils tracent
ensemble les grandes lignes d’une galerie idéale dans un site unique de la cote
d’azur, à l’aplomb de la méditerranée.
L’enjeu est alors d’intégrer le bâtiment au site qui sera protégé au tant que
possible. Les plantes et les arbres déjà existants en particulier les pins, romarin
et la lavande appartiennent au lieu.

Sert œuvre à faire de la fondation un lieu où l’on puisse voir l’art dans les
meilleures conditions. Il est contre l’idée d’un musée fermé, vaste labyrinthe
dans lequel il faut pour regarder un œuvre, défiler devant toutes les autres.
Concrètement le point de départ du projet est une petite chapelle en ruine qui
reconstruite sera partie prenante de la fondation.

La topographie du terrain fut très importante dans la détermination du style et de


l’agencement des pièces, des cours et des jardins en terrasse. La pente et ses
contours arrondis ont dicté le mouvement et les orientations changeantes des
différents volumes, des jardins et des cours.
L’édifice est constitué de deux corps de bâtiments reliés par un hall d’entrée.
L’ensemble est antimonumental et montre la réflexion de Sert quand à l’échelle
adéquate du bâtiment dans son site. Les façades imposantes sont délaissées au
profit de petits volumes semblables à ceux des habitations locales.
Ces volumes semblent enracinés dans le sol et, comme ceux des villages
méditerranéens traditionnels, ils se prolongent par la racine sous forme de murs
de soutènement qui modèlent les jardins en terrasse. Ces murs soulignent l’unité
de la topographie et l’architecture qui en découle.
Comme dans le plan de n’importe quel village, il est toujours possible d’ajouter
un bâtiment.
Les éléments essentiels de cet ensemble sont des salles bien définies et aux
proportions différentes.

40
Les murs sont faits de briques à l’extérieur, et de ciment blanchi à l’intérieur.
Les murs continus, qui permettent de consacrer un espace maximum à
l’accrochage des tableaux, ne sont interrompus que pour permettre d’avoir vue
en certains points stratégiques sur les cours, les jardins et les paysages.
Les différents niveaux du sol ont été déterminés par la pente du site, le niveau du
toit restant toujours le même. Ceci permet des variations dans la hauteur des
plafonds où petits et grands tableaux trouvent toujours une dimension qui leur
convienne.
Le caractère de village se trouve plus fortement accentué par les cours et les
espaces ouverts autour des bâtiments qui ont été cassés en différents niveaux de
terrasses de telle sorte que l’extérieur prolonge les niveaux des espaces
intérieurs.

Les patios et les jardins étant considérés comme des salles sans toit forment une
continuation des espaces intérieurs qui font plus que doubler leur superficie.
Un facteur déterminant pour les plans était la nécessité de permettre un
cheminement continu du public à travers les salles et vers les cours et les jardins.
C’est donc un parcours non figé qui se prolonge vers l’extérieur. Ce
déplacement a été prévu de façon à former des circuits complets si bien qu’il est
inutile de passer deux fois au même endroit. Selon l’importance de l’exposition
on peut établir différents circuits complets.

Le jardin de l’entrée est naturel et irrégulier. En opposition, la cour Giacometti


est conventionnelle régulière afin d’amplifier le mouvement des personnages qui
la traversent. La « Mairie » fut ainsi baptisée parce qu’il s’agit d’une vaste salle
de réunion séparée des autres pièces et conçue de façon plus conventionnelle.
Outre l’administration et la chapelle, le musée comprend une bibliothèque, un
cabinet des estampes et de nombreuses salles, cours ou jardins où se fait le
musée : salle Kandinsky, cour Giacometti, bassin Braque, …. Les éléments du
toit en forme de parasols soulignent ce formalisme et permettent de voir la
fondation de très loin. Ce sont deux impluviums surplombant le toit servant à
collecter l’eau de pluie qui est ensuite dirigée vers les bassins.
Sert défend donc une architecture de climat, une architecture méditerranéenne
faite pour un soleil intense, une atmosphère limpide et un paysage avenant
«Notre art ne peut respecter d’autres limites que naturelles, géographiques,
éternelles »33.

La lumière

Sert se fixe pour objectif de faire de cet espace une galerie idéale permettant
d’exposer des œuvres dans une lumière égale, claire neutre et naturelle. Le choix

41
de cette lumière, un des principaux problèmes, impose une solution d’ordre
architectural. L’architecte comprend comment on peut capter cette lumière
indicible du Midi.
Ces conditions de lumière naturelle ont déterminé le dessin de vasistas spéciaux,
ou pièges de lumière dans les toits qui confèrent aux bâtiments leur caractère
particulier. Ce sont des toits voûtés, voûtes semblables à de petits tonneaux
permettent à la lumière de pénétrer abondamment. L’agencement des vasistas
varie avec la taille des salles.
Quelque soit la hauteur du soleil aux différentes heures du jour et au cours de
l’année, les rayons lumineux réfléchis par le sol et les murs arrivent à 45° sur les
tableaux qu’aucun d’entre eux n’éblouisse le spectateur. Sert met ainsi un
éclairage zénithal particulier qui sera utilisé dans chacune des salles de la
fondation.
La diffusion de la lumière encore accentuée par la couleur blanche du produit
imperméable qui recouvre les toits.

Les matériaux

Sert donne une dimension à la fois humaine et résolument contemporaine à ce


lieu.
Il mélange les matériaux traditionnels (la pierre, la brique, la terre cuite) avec le
béton brut de décoffrage, créant le décor idéal pour accueillir les œuvres des
artistes d’après guerre qui allaient donner vie à la fondation.
Sa préférence va à la pierre extraite de la colline. La brique servira de relais
entre la pierre et le béton dans l’élévation des murs « La brique ni claire, ni
sombre, explique l’architecte, d’un brun rosé mais varié par le feu, convient à la
tranquillité des cours. Par ailleurs employée en panneaux entre les piliers et les
poutres en béton, elle maintient la réalité du mur en donnant à sa surface, un
corps à son élévation » 34. Les trois cents mille briques de sable rosé utilisées
sont évidemment modelées à la main et cuites au four à bois selon la tradition
locale. Le béton utilisé pour le reste de l’édifice recouvert d’un enduit blanc,
laisse apparaître le dessin des coffrages.

La fondation et ses artistes

Saint Paul est un lieu élu par les artistes. Chacun devra participer à l’édification
de la fondation pour que ce rêve devienne réalité. Les artistes de la galerie

34
Guide de la fondation Maeght

42
Maeght à Paris sont associés au projet : Braque, Calder, Chagall, Miro,
Giacometti, Chillida, Kandinsky, Ubac, Tall Coat, Ariguas, … Ceux ci vont y
intervenir directement.
On vit alors éclore une architecture surprenante. Les toiles de Léger, Chagall et
de Kandinsky s’exprimaient pleinement sur les murs du bâtiment, côtoyant les
longues tiges métalliques des mobiles de Calder. La cour servait d’écrin aux
Hommes qui marchent de Giacometti. Dans les jardins, braque décorait les
bassins de ses mosaïques en forme de poisson et Miro construisait son musée
imaginaire, le labyrinthe, posant ses sculptures monumentales au milieu des
arbres et des eaux jaillissant des fontaines. Le pépin géant en bronze de Jean Arp
triomphait sur la pelouse.

4.1.3- Les thermes de Vals : la Lumière comme langage

Pourquoi analyser des thermes pour la conception d’un musée ?

Le choix que j’ai porté à l’analyse des Thermes de Vals n’est pas un choix
innocent.
Tel un musée le lieu est conçu en parcours, en séquences, en ambiances qui
procurent des sensations fortes. La lumière structure et compose le lieu.
Au delà du thème choisi («se ressourcer au contact de l’eau»), l’architecte
P.Zumthor se trouvait dans la nécessité de pousser l’architecture à ses limites,
voire même de lui faire transgresser ses limites afin de dissoudre des frontières
disciplinaires :
L’œuvre qui résulte de ce processus prend ainsi le langage descriptif
conventionnel en défaut, elle sollicite un important travail de redéfinition des
composantes de la construction: les murs ne sont plus exactement des murs, la
dalle de couverture n’est plus exactement une toiture, les percements ne sont
plus exactement des ouvertures. L’édifice, dans son ensemble, n’est plus à
proprement parler un bâtiment, mais un objet intermédiaire, situé au seuil de
l’art et de la nature, à mi-chemin entre architecture et sculpture, au point de
fusion des valeurs sensibles et des idées abstraites.
L’architecte pousse très loin, la recherche d’un mode de communication aussi
a-symbolique que possible, c’est à dire susceptible de toucher l’usager sans que
celui-ci ait à décoder un ensemble de signes conventionnels. L’univers minéral,
les effets de lumière, l’ensemble diversifié des sensations olfactives, auditives,
tactiles, visuelles sont orchestrés en vue d’une expérience brute, archaïque,
originaire, soustraite à la médiation des signes.
Cette stratégie, avec un langage architectural épuré, ne craint pas de confronter
ses interlocuteurs à l’expérience du vide, du silence, du mystère. Là où il n’y a
rien à comprendre, parce que les signes sont absents, que l’échange sémiotique

43
est mis hors circuit, c’est le corps qui prend le relais, qui devient le guide et
l’instrument de l’exploration.
Sans doute le ressourcement que l’architecte entend procurer aux usagers des
thermes coïncide- t-il fondamentalement avec une expérience renouvelée du
corps. L’espace pour le bain est ici radicalement un espace pour le corps. Il
ramène l’essence même de l’architecture à ses fondements majeurs.

Un lieu hors du temps

Les thermes de Vals ont été construits entre 1993 et 1996. Niché au creux d’une
vallée, le village de Vals exploite depuis le siècle dernier une source d’eau
chaude. En 1986, la commune rachète un complexe hôtelier et décide de faire
construire à sa proximité un établissement thermal afin d’attirer une nouvelle
clientèle. Cet édifice sera placé précisément là où jaillit la source.

« Si l’on repense au fait de se baigner, et si l’on repense à la source chaude on


peut construire un bâtiment qui est conforme à la topographie et la géologie de
l’endroit et non pas avec l’aspect immédiat du site environnant. C’est un bain
qui naît de la montagne comme la source d’eau chaude naît de la montagne.
L’eau jaillit de là, et ceci détient aussi des dimensions dans le temps géologique.
Considérer que ce bâtiment a toujours été là et avant toutes les autres » 35.

Pour ne pas gâcher la vue des bâtiments jouxtant, la commission a interdit à


l’architecte de construire en hauteur. Il y répond en enfonçant le bâtiment à
moitié dans la pente. Le toit plat, recouvert d’herbe, achève de fondre le
bâtiment dans le paysage.

L’unique façade des thermes tournée vers la vallée est entièrement construite en
pierre venant de la carrière locale et utilisée depuis des siècles pour la
construction des chalets de Vals. Une pierre cristalline qui se travaille en plaque
fine et qui résiste bien aux écarts de température.
La façade est percée de larges ouvertures, fenêtres et terrasses, pas de portes.
Pour pénétrer dans le bâtiment, il faut néanmoins par un entrée du coté de l’hôtel
principal et emprunter dans le sous sol une entrée indépendante, un couloir qui
traverse la montagne.
L’espace des thermes s’organise autour de deux grands bassins de formes
irrégulières. L’un au centre du bâti l’autre en plein air.
Entouré de hautes parois, le bassin extérieur semble creusé dans la montagne.
Des pierres plates et des bancs à flan d’eau lui donnent l’allure d’un bassin
naturel alimenté par la source en eau chaude. Passer de l’un à l’autre c’est passer
35
Entretient Peter Zumthor

44
d’un espace ouvert à un espace plus intime avec ses clairs obscurs et ses contres
jours.
« Dans ce cas la première idée était d’ouvrir la montagne et de créer une
carrière où les blocs sont restés et où l’on peut creuser aussi vers le coté et ce
qui reste sont des toits ou des fragments de toit»36 .

La façade avec son alternance de plein et de vide affiche le mode de


construction de l’ensemble du bâtiment. Il se compose d’une quinzaine de
volumes simples, des parallélépipèdes en pierre. Ces blocs sont tous différents,
ils portent chacun un morceau plus large qui dépasse. La plaque de béton au
départ est maintenue à l’horizontale par des câbles métalliques qui ramènent les
efforts vers le sol. Des tirants sont invisibles, coulés dans une deuxième couche
de béton ou pris dans du béton entre deux couches de pierre dans les parois des
blocs. Couvrant la totalité du bâti, les morceaux de toits s’ajustent à la manière
d’un puzzle alors qu’en dessous les blocs plus petits n’occupent pas tout le sol.
L’espace ainsi libéré permet de circuler dans tout le bâtiment. Les blocs font
aussi la façade. Aucun des morceaux de toit ne touche l’autre. Les pièces du
puzzle sont toutes séparées par des interstices larges de 8cm. Des joints en verre
protégent de toute infiltration.

A l’intérieur du bâtiment l’effet est double, le toit semble très lourd et pourtant
chaque morceau cerné de ligne de lumière semble flotter dans le vide. Dans
chacun des blocs Zumthor crée une surprise. D’abord par de volumes intimes
qui contrastent avec l’aspect massif de l’extérieur. Ensuite par l’usage de la
couleur, du béton teinté des parois qui rompt avec le gris des pierres du grand
volume. Enfin par une rencontre à chaque fois unique avec l’eau. L’architecte
met en scène une sensation et une seule dans chaque bloc. Le chaud, c’est à dire
42°, température de l’eau sur la peau associée à la couleur rouge. Dans les autres
blocs on peut découvrir l’eau qui tourbillonne, l’eau avec des pétales de fleurs,
on peut goûter l’eau, prendre un bain de vapeur ou se baigner dans l’eau froide à
14°.
D’un bloc à l’autre chacun s’invente son parcours et peut vivre dans un ordre
librement choisi, toutes les expériences de l’eau.
« L’architecture a un corps, ce corps est physique, il est la. Ce qui m’intéresse
c’est l’architecture concrète. L’architecture virtuelle sur papier ou sur écran ça
ne m’intéresse pas, comme une idée peut être. Je trouve incroyable d’avoir des
espaces qui ont une présence ou une ambiance, qui sont entourés, de matériaux
particuliers où l’enveloppe du bâtiment est comme un instrument36.»
Avec ses blocs de 4 m de haut, l’architecture crée un paysage de falaises et de
failles, des aliments de volume hors d’échelle avec la taille humaine.

45
Ces grands aplats de pierre ne sont pas des masses aveugles et lisses. Les parois
sont constituées par l’empilement méthodique des dalles de hauteurs différentes.
Soixante mille pierre taillées de 1 m de long, soixante km de pierre.
Chaque lit de pierre parcours tout le bâtiment en conservant la même hauteur.
Chaque dalle semble avoir une épaisseur différente. L’ordre dans lequel elles
sont empilées pourrait être aléatoire. Ce n’est qu’une illusion.
C’est de fait la déclinaison de trois éléments d’épaisseurs différentes mais dont
la somme fait toujours 15 cm. La permutation dans l’ordre des éléments suffit à
créer une grande variété visuelle sans pour autant compliquer la construction.
Zumthor a créé une grande partition de pierres mais c’est le corps de l’homme
qui est en est la mesure. Plus petit que ces grandes falaises, l’homme est rassuré
par ces minces couches de pierre que nous pourrions tenir dans la main.
Bien plus qu’un effet plastique, c’est un effet de mise en scène. La mise en scène
de notre place dans l’échelle de l’univers.
En répétant ce face à face où nous sommes presque nus devant le grand
spectacle de la montagne, l’architecte nous confronte à ce qui nous dépasse.
« Se baigner devient un rituel presque mystique où mythologique de nettoyage,
de détente. Il s’agit de se transformer en se débarrassant des vêtements du
quotidien. Et il y a un endroit rituel où on se dénude, et on vient dans un
nouveau monde, où il s’agit de pierre et de peau, d’eau de différente
température, de lumière, d’effet acoustique, de surfaces différentes qu’on sent
sur la peau. Une richesse incroyable. Formellement tout est simple et essentiel.
36
»
Moitié pierre moitié eau, toute l’expérience du bâtiment passe dans cette
alternance entre l’austérité et la sensualité, entre l’immobilité des lignes droites
parallèles et le balancement des courbes de l’eau et le reflet, entre le gris
monochrome et les jeux de lumière.
La nuit tout s’inverse, c’est l’eau qui crée la lumière.

Avec une telle architecture, le maître d’oeuvre voulait suspendre le temps ; en


évitant même de poser toute trace d’horlogerie dans le lieu.
Ici l’architecte a inventé le programme pour le bâtiment et le bâtiment pour le
programme.
C’est un monde où les cinq sens sont sollicités, jamais un effet n’est isolé,
soufflant le chaud et le froid, mélangeant l’intime et le sublime. Cette richesse
des mises en scène cache sous l’apparente simplicité une grande maîtrise.

4.2-La muséographie et la scénographie en question

En guidant les pas et le regard du visiteur et en focalisant son attention avec plus d’autorité
qu’une déambulation ponctuée de temps forts, de plages de repos et de mises en perspective,
les expositions temporaires ont influencé les présentations permanentes. En 2003, une
exposition itinérante sur la scénographie des expositions temporaires montée par la DMF,

46
l’Association française d’action artistique (AFAA) et le musée du Louvre a mis en évidence
une tendance française. Fondée sur la maîtrise de l’émotion, ce qui n’est pas toujours le cas
dans d’autres pays, elle s’efforce d’éviter une certaine démagogie dans la présentation des
collections.
Dans le domaine des restructurations, si les maîtres d’oeuvre proposent des réponses de
qualité, ils adoptent toutefois souvent des références assez proches au détriment de la
recherche d’une véritable identité, quand chaque lieu est par nature unique.
Se laisser guider par l’esprit du lieu devient alors crucial pour trouver de nouvelles pistes.
Ainsi, adopter la silhouette d’un bidon de lait pour un musée du lait ne fait que renvoyer à
l’esthétique des pavillons des Foires internationales américaines de l’après-guerre. Derrière
les notions de muséographie et de scénographie, plusieurs questions se profilent. Elles
renvoient à l’exigence que l’on a face aux musées — rendre la culture accessible — qui est
loin d’être nouvelle. Dès lors, jusqu’où miser sur l’émotion, au risque de transformer le
musée, installation pérenne, en simple spectacle culturel ? Outre la dépense imputée aux
collectivités, un recours abusif aux installations audio-visuelles ne banalise-t-il pas un musée
au lieu de soutenir sa vitalité tel le cas du musée du quai de Branly ? On constate en outre que,
si l’on utilise ces outils pour présenter les beaux-arts, les enfants tendent à négliger les
oeuvres au profit des images ; le plaisir de la confrontation de l’oeuvre originale dans un
espace adéquat est donc primordial. Enfin, jusqu’à quel point doit-on considérer le musée
comme un lieu de détente et de divertissement, alors qu’il doit inciter les visiteurs à se tourner
vers des objets qui nécessitent une réflexion et une disponibilité d’esprit ? Ne risque-t-on pas
de perdre l’ambiance de calme, propice à la réceptivité qui fait l’essence même du musée ?

Ccl : Enfin, à travers l’observation et l’analyse de ces exemples, le musée constitue une
complexité au niveau d’organisation de fonctionnement dans sa conception. Les œuvres de
Piano concernent ce thème illustrent cette problématique. A la fois dans une certaine
continuité et une certaine variation, Piano a su mêler fonctionnalité et esthétique. La fondation
Maeght représente un édifice intéressant par sa dimension humaniste, artistique, émanant
d’une incitative privée (rare en France).
Quand aux thermes de Vals, leur analyse m’a été d’un grand apport et influencera d’une
manière significative la réflexion sur la lumière.

5-Pierre Soulages : l’Outre noire ou la poétique de la lumière

5-1 Une œuvre intemporelle

Il est inutile à mon sens de faire un long détour sur la biographie du peintre qui a toujours
refusé d’être catalogué dans aucun « isme » réducteur de l’histoire de l’art, refusé
l’académisme d’une quelconque formation. A 18 ans, il se rend à Paris pour préparer le
professorat de dessin et le concours d'entrée à l'Ecole Nationale supérieure des Beaux-Arts. Il
y est admis mais convaincu de la médiocrité de l'enseignement refuse d'y entrer et repart
aussitôt pour Rodez.

47
Quand un certain nombre d’artistes contemporains se consacrent a développer un certain
discours théorique, au risque d’établir une dépendance de l’œuvre à ce long discours, l’œuvre
de Soulages, est autonome : « la peinture est l’état d’absence de mots….ils sont impuissants à
en pénétrer les pouvoirs. Les mots sont des béquilles qui permettent de faire un petit bout de
chemin en direction de l’œuvre…. Ce que je fais n’est pas du domaine du langage.»36, il y a
une sorte d’évidence et d’autorité dans l’art de Soulages; sa peinture n’a besoin ni de
référence bibliographique, ni même personnelle en rapport avec les états d’âme du peintre.

Quand il peint, il ne propose pas d’inscrire la trace d’un mouvement, ni d’exprimer une
émotion, ni de communiquer un message, encore moins de traduire un certain état intérieur. Il
ne laisse agir sur la toile que ce qui appartient uniquement à la peinture. Celle-ci s’exprime
pleinement par elle même : contraste clair/obscur, profondeur, matière, lumière, rythme…
Il veut laisser toute la liberté à qui regarde sa peinture. Celle-ci établit alors un rapport
particulier avec son spectateur et lui permet de s’y projeter. (On reviendra plus tard sur le
rapport de l’œuvre avec le spectateur).

La peinture de Soulages veut s’inscrire dans une certaine intemporalité ou même


d’universalité; tout comme les formes d’art qui l’ont marqué (l’art de la préhistoire ou dans
l’art roman).

N’a-t-il pas refusé d’être catalogué parmi les peintres gestuels, tel Mathieu ou Hartung.
Le peintre veut éliminer tout ce qui pourrait indiquer l’expression gestuelle, les marques
d’hésitations. « Volontés de soustraire l’œuvre à la temporalité et d’éliminer par conséquent
tout ce qui porte la marque du temps, tel précisément le geste »37.
Clément Rosset a fort bien résumé l’art de Soulages lorsqu’il parle de « l’alliance de la
véhémence et de la retenue ; d’une impression intense et d’une économie de moyens qui
confine à l’austérité »36.

Sans rupture et en parfait accord depuis ses premières toiles, la genèse artistique de l’œuvre
de P. Soulages (depuis plus d’un demi siècle, il est né en 1919 à Rodez) est cohérente dans
son évolution : l’œuvre a décliné le noir en cinq temps : les signes graphiques minimaliste à
la peinture noire et au brou de noix sur fond clair de ses débuts (1946/1947 jusqu’au milieu
des années 1950) ; les grandes formes noires impétueuses , violentes et intenses qui laissent
surgir de leurs profondeurs des éclats de couleurs montés des couches antérieures (deuxième
moitié des années 1950 et début des soixante); l’amplification des formats qui
monumentalisent le noir et l’associent parfois au bleu ou à l’ocre ( milieu des années 1960 et
années 1970); le saut dans le noir absolu et la puissance architectonique des outre noirs
souvent articulés en immenses polyptyques et dont les textures réfléchissent , sculptent ,
rythment la lumière (1979-1998) ; les stries effilées d’après 1999, qui instaure une
interpénétration du noir et du blanc pour mettre en vibration et en scintillement lumineux
l’espace du tableau.
Toutefois l’œuvre ne se développe pas que d’une manière linéaire. Au contraire. On remarque
même, un retour régulier à des formes, à des thèmes plastiques déjà apparus sur ses toiles, et
avancer ainsi de façon plutôt cyclique.

36
Clément Rosset, l’Objet pictural, catalogue Exposition Soulages, 1987
37

48
5-2 L’intuition de l’instant

« Dans une évolution vraiment créatrice, il n’y a qu’une loi générale,


C’est qu’un accident est à la racine de toute tentative d’évolution »38

Gaston Bachelard, L’intuition de l’instant

Tout au long de son parcours artistique, P. Soulages a développé une technique picturale bien
spécifique ; son approche artistique s’articule autour d’un des leitmotiv préférés de
l’artiste : « plus les moyens sont limités, plus l’expression est forte »39 .
Les matériaux bon marchés ont été le centre de ses investigations plastiques. Le brou de noix
et le goudron sont ses matériaux prédilection pour atteindre cette beauté brute, « le brou de
noix a une tonalité sombre, chaude, et profonde, une sorte de puissance élémentaire qui me
plait .il permet d’obtenir naturellement des transparences et des opacités avec une belle
résonance ; qui retient et distribue la lumière en surface dans l’espace du tableau. Cela me
convient d’autant mieux que c’est une matière banale et bon marché. »40
La matérialité de l’œuvre est directement liée aux outils avec lesquels elle a été élaborée. La
technique sera donc partie prenante de l’œuvre.
Pour l’artiste, l’outil est déjà préprogrammé à un certains usages, certaines formes, certains
effets. Pour échapper aux « brosses qui étaient faites pour la peinture de Signac et des
pointillistes »48, il s’est tourné tout d’abord vers les instruments, dont les brosses des peintres
en bâtiment qui « avaient une qualité ouvrière».

Ensuite il a décidé de fabriquer lui-même des outils au fur et à mesure de ses besoins
(semelles en caoutchouc, pinceaux enveloppés de chiffons..) c’est pour « répondre à un désir
d’aléatoire dans la trace qu’ils laissent. Je cherche toujours des outils qui correspondent aux
formes que j’ai envie de voir se produire » 48.

Cette notion me permet d’enchaîner avec un autre aspect caractéristique de son travail : « …..
des formes que j’ai envie de voir se produire » et non des formes que j’ai envie de produire; il
me semble que la nuance est de taille.
En effet l’artiste a toujours manifesté un intérêt pour ce qui pourrait surgir pendant
l’élaboration de son œuvre. « Il est bien plus intéressant d’être ouvert à l’inconnu que de
répéter ce que l’on sait déjà » 48. Même s’il revendique l’aspect artisanal, quand il fait appelle
aux outils et matériaux rudimentaires, mais pas dans l’aspect répétitif sans prise de risque par
obsession de la perfection, « si on ne fait qu’exécuter ce que l’on a imaginé, on n’est qu’un
tâcheron de la peinture. L’œuvre n’est intéressante que si elle dépasse l’artiste qui la
produite.» 48
Ceci a-t-il un quelconque rapport avec la notion de hasard en peinture ?
L’artiste ne revendique pas pleinement cela, même s’il admet qu’il y existe une forme
d’accident provoqué dans son travail. Il fait appel à une citation de Saint Jean de la Croix pour
exprimer sa manière d’aborder l’aléatoire : « cela ne se rencontre pas, cela s’atteint » 48.

38

Gaston Bachelard, L’intuition de l’instant, livre de poche/biblio -essais


39
www.lepoint.fr/edito/document/entretiensoulages.html
40
Pierre Soulages, Noir Lumière, entretiens avec François Jaunin, Paroles Vives ,2002.

49
Un certain rapport à l’aléatoire comme jeu sans maîtrise et sans un savoir vers où on veut
aboutir ne l’intéresse pas. Mais l’aléatoire comme aventure, comme engagement total de l’être
et comme état d’attente et de réceptivité à l’inconnu déconcertant, nourrit sa quête picturale.

5-3 La lumière comme matière

Contrairement à ce qu’elle dégage comme première impression, l’œuvre de P. Soulages n’est


pas uniquement l’éloge du noir ni même du blanc : «ce n’est ni le noir ni le blanc qui ont été
choisis mais deux types de lumière picturale poussés à l’extrême. C’est à dire, celle naissant
du contraste noir - blanc, et celle plus secrète émanant des différents états de surface du
noir….a chacun de ces champs d’action correspond une spatialité différente… » 48.
Il est vrai que l’artiste exploite dans son œuvre toutes les qualités possibles de ce noir couleur
mais aussi matière parfois violente et dynamique, parfois pesante et spirituelle. Mais la
simplicité et le minimalisme apparent de ces toiles génèrent un rapport constant entre la
lumière et l’œuvre elle-même : « je continue à appeler cela du noir (ou plus exactement outre
noir), mais en réalité c’est tout autre chose qui est en action, au point que je ne peux plus
dire que mon outil n’était pas le noir mais la lumière »48

Cette pensée pourrait rejoindre celle de Kahn pour qui « la matière (ou plus concrètement le
matériau) est de la lumière dépensée »41ou plus exactement consumée.
P. Soulages est donc le peintre non pas du noir mais de la lumière. C’est cette même lumière
qui réfléchit la matière, les rythmes des stries bref toute la dynamique de la toile. La
perception de la toile dépend donc de la lumière reçue et du point de vue d’où l’on regarde.

5-4 Le spectateur dans l’espace

Cette manière de peindre et de concevoir la peinture et qui fait de la lumière matière et


matériau à part entière exige une participation active du spectateur sans quoi l’espace
pictural du tableau est inerte : « il s’agit d’une lumière qui vient du mur vers celui qui
regarde. Du coup, l’espace de la toile n’est plus sur le mur, comme dans la peinture
traditionnelle ou derrière, comme dans la perspective. Il est devant .C’est une manière que la
peinture a d’entretenir un rapport avec l’espace qui diffèrent »42.
Ce rapport est d’autant plus prononcé, si on prend on considération le format monumental
des toiles qui induisent une autre manière de penser la peinture, différente de celle d’une
œuvre accroché au dessus d’un meuble .En supprimant les baguettes et les encadrements
habituelles, il conçoit sa peinture non pas comme étant une fenêtre dans un mur mais bien
comme mur. Cette notion de toile comme un mur ou comme un fragment d’un mur est
partagé par Antonio Tapies : « Que de suggestions peuvent naître de l’image du mur et de toutes ses
dérivations ! Témoins de la marche du temps, surfaces lisses, sereines, blanches, surfaces torturées,
vieilles, décrépites ; marques d’empreintes humaines…. »43

41
Louis Khan, Silence et Lumière, édition du linteau
42
Entretient P. Soulages
43
Antonio Tapies, Pratique de l’art, Folio

50
A la question qu’est ce que peindre ? Il y répond « …..Mes tableaux sont des objets poétiques
capables de recevoir ce que chacun est prêt à y investir à partir de l’ensemble de formes et de
couleurs qui lui est proposé …..Ma peinture est un espace de questionnement et de méditation
Où les sens qu’on lui prête peuvent venir se faire et défaire .parce qu’au bout du compte,
l’œuvre vit du regard qu’on lui prête. Elle ne se limite ni à ce qu’elle soit, ni à celui qui l’a
produite, elle est faite aussi de celui qui la regarde. Je ne demande rien au spectateur, je lui
propose une peinture : il en est le libre et nécessaire interprète » 48

Libre ! S’il est vrai que la peinture établit un rapport direct avec celui qui regarde, elle se vit
en direct. Mais devant ses toiles, pas d’échappatoire, le spectateur est assigné. Englobé dans
leur espace propre, happé par l’intensité de leur présence. « La présence, voila un mot qui me
parait essentiel. Toute œuvre doit avoir une qualité et une force de présence. A défaut de quoi
elle n’est que décoration »42.Une présence à la fois physique, qui fait de chacune un
formidable accumulateur d’énergie, et spirituel ou sacré, qui force à l’intériorité et à la
méditation.
Peinture d’autorité et de silence, de matière violente et tactile, sombre et lumineuse à la fois ;
comme si chaque tableau, constamment différent selon l’angle sous lequel on le regarde et
avec la lumière qui le saisit, s’impose au lieu et à celui qui regarde. Il s’agit bien d’un rapport
bien particulier à la notion d’espace-temps.
Pour Soulages « La réalité d’une peinture naît du triple rapport qui s’établit entre celui qui
peint, la chose peinte et celui qui regarde .toute la réalité du tableau est contenue dans cette
trilogie. C’est donc une réalité mouvante, multiple et constamment nouvelle.» 48

5-5 Vers une interprétation spatiale de l’oeuvre

L’interprétation spatiale de l’œuvre de Soulages est une question qui fermentait dans ma tête.
Je cherchais le chemin qui me mènerait vers une réponse architecturale pour un lieu dans
lequel, elle pourrait s’y abriter.
Je me suis alors tourné vers la sculpture, et lors d’un voyage à San Sébastien en catalogne, j’ai
découvert un sculpteur qui a toujours vécu dans l’ombre de Chillida, il s’agit de Jorge Oteiza.
L’œuvre sculpturale d’Oteiza m’a directement interpellé comme une possible interprétation
spatiale de l’œuvre de Soulages.
Je me suis alors entamé toute une mise en parallèle dans le travail pictural et spatial chez les
deux artistes.
Quand Soulages met en avant la lumière réfléchie par la matière noire de la toile, en faisant de
telle manière que l’espace pictural de la toile n’est plus sur ou dans la toile mais devant celle-
ci ; Oteiza, lui, fait du vide un élément générateur de sa sculpture. La perception plastique ne
réside plus Dans mais Tout Autour. « La spatialité perçue comme positivo- négative définit
l’œuvre par ce qu’elle a de matériel mais aussi de vide, surpassant ainsi ses propres limites
physiques. Commence alors un dialogue incessant entre l’homme et l’espace ou le spectateur
se trouve récepteur puis partie intégrante de l’espace » 44
Ceci devrait aussi nous rappeler le même type de rapport que Soulages vise à instaurer avec le
spectateur.
Il conçoit aussi la lumière comme un agent actif de la composition spatiale de son travail, et
les orifices par lesquels le vide s’infiltre sont nommés par l’artiste de « condensateurs de
44
« Jorge Oteiza » Valérie Vergez

51
lumière ». Ces orifices permettent à la lumière de s’infiltrer au cœur de la pierre qui semble
générer une énergie à la matière. Tout comme les stries noires de Soulages qui absorbent et
réfléchissent la lumière, et génèrent la dynamique de la toile.

Plus tard, Oteiza parlera dans son art de Désoccupation spatiale, et fait de telle manière que
les vides soient perçus non comme l’essence d’une masse solide, mais comme « la présence
créée d’un espace ». Il ne s’agit pas pour l’artiste d’évider un volume mais de créer en son
centre « un vide actif, énergétique ». De cette façon Oteiza crée « un vide respirable par les
formes ». Les tensions et rapports de force créés par l’enveloppe autour du vide contribuent à
dynamiser l’œuvre. Celle-ci n’est plus un objet inanimé mais rempli de vie, « la sculpture
respire ».
Pour Soulages, il s’agit des outres noir quand le noir a envahi l’ensemble de la toile et le
contraste du noir lumière a remplacé le contraste noir et blanc des débuts. La matière du noir
se nourrissait de la lumière.
A partir de 1958 ces sculptures font références directe à l’architecture; leurs titres en disent
long : Désoccupation spatiale avec circulation extérieure pour l’architecture, hommage à
Kenzo Tange, modulateurs de lumière, respiration spatiale……
Le caractère architectonique des œuvres se lit par les compositions spatiales bien élaborées ,
« Oteiza traite l’espace à la manière d’un architecte , maîtrisant et travaillant les plans, la
volumétrie et la respiration de l’œuvre »44 . La réciproque n’est pas toujours vraie, peu
d’architectes pensent l’espace de cette manière poétique. Toute fois les propos d’Oteiza m’ont
rappelé les propos d’un autre architecte : « L’espace est influencé par ce qui constitue
l’espace ou par ce qui l’entoure. L’espace lui-même est un vide, en tant qu’architectes nous
ne définissons que l’enveloppe de l’espace, peut-être sa forme, et vous percevez cela par les
sens». Il s’agit de Peter Zumthor, bien sur.
(Lors de l’entretien qui va suivre j’ai évoqué avec P. Soulages ce lien que j’établis avec son
travail.)

5-6 L’Entretien avec Soulages

-S.M : J’aimerais bien être éclairé par votre approche artistique pour une possible
interprétation spatiale. Pour cela retrouver des mots clefs, pour aborder le projet de la
fondation.
En première partie on essaiera d’aborder votre approche artistique, en deuxième partie en
essaiera d’établir le rapport entre le contenant et contenu, entre une œuvre et un lieu.
Votre œuvre m’a toujours intéressé de part sa dimension spatiale particulièrement, je me suis
déjà documenté sur les différents entretiens, j’aimerais donc aborder avec vous un certain
nombre de points sur lesquels vous ne vous êtes pas tellement exprimé.
Pour commencer une question très simple pourquoi le noir ?

-P.S : Le noir est antérieur à la lumière. Avant la lumière, le monde et les choses étaient dans
la plus totale obscurité. Avec la lumière sont nées les couleurs. Le noir leur est antérieur.
Antérieur aussi pour chacun de nous, avant de naître, "avant d'avoir vu le jour". Ces notions
d'origine sont profondément enfouies en nous. Est-ce pour ces raisons que le noir nous atteint
si puissamment ?
Il y a trois cent vingt siècles dès les origines connues de la peinture, et pendant des milliers
d'années, des hommes allaient sous terre, dans le noir absolu des grottes, pour peindre et
peindre avec du noir. Couleur fondamentale, le noir est aussi une couleur d'origine de la
peinture.

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Deux couleurs, le noir et le blanc, sont les seules qui soient d'une nature tout à fait différente
de celles du spectre: toutes les autres couleurs de la terre, écrit Hermann Melville, ne sont
que des subtiles illusions, aussi bien les douces teintes du couchant ou du feuillage des bois,
que le velours doré des ailes de papillons et des joues de jeunes filles. Oui, rien de tout cela
ne fait partie intégrante des choses, c'est un simple enduit, et toute la divine nature est
simplement peinte…

Le mot qui désigne une couleur ne rend pas compte de ce qu'elle est réellement. Il laisse
ignorer l'éclat ou la matité, la transparence ou l'opacité, l'état de surface, lisse, strié,
rugueux… Et aussi la forme, angulaire, arrondie... Il nous cache sa dimension, et sa quantité.
Toutes choses qui en changent la qualité, un kilo de vert est plus vert que 100 gr. du même
vert, disait Gauguin, les peintres savent qu'il en est ainsi pour toutes les couleurs. Une
peinture entièrement faite, par exemple, avec un même pot de noir, est un ensemble vaste et
complexe. De cet ensemble, dimension, états de surface, direction des traces s'il y en a,
opacités, transparences, matité, reflets de la couleur, et leurs relations avec ce qui les
avoisine, etc.…dépendent la lumière, le rythme, l'espace de la toile, et son action sur le
regardeur. L'appeler noire c'est dissocier l'ensemble, l'amputer, le réduire, le détruire. C'est
voir avec ce que l'on a dans la tête et pas avec les yeux.

J'aime l'autorité du noir, sa gravité, son évidence, sa radicalité. Son puissant pouvoir de
contraste donne une présence intense à toutes les couleurs et lorsqu'il illumine les plus
obscures, il leur confère une grandeur sombre. Le noir a des possibilités insoupçonnées et,
attentif à ce que j'ignore, je vais à leur rencontre.
Un jour je peignais, le noir avait envahi toute la surface de la toile, sans formes, sans
contrastes, sans transparences. Dans cet extrême j'ai vu en quelque sorte la négation du noir.
Les différences de textures réfléchissaient plus ou moins faiblement la lumière et du sombre
émanait une clarté, une lumière picturale dont le pouvoir émotionnel particulier animait mon
désir de peindre. - J'aime que cette couleur violente incite à l'intériorisation -. Mon
instrument n'était plus le noir mais cette lumière secrète venue du noir.

D'autant plus intense dans ses effets qu'elle émane de la plus grande absence de lumière. Je
me suis engagé dans cette voie, j'y trouve toujours des ouvertures nouvelles.

Ces peintures ont parfois été appelées Noir - Lumière désignant ainsi une lumière inséparable
du noir qui la reflète.
Pour ne pas les limiter à un phénomène optique j'ai inventé le mot Outre noir, au-delà du
noir, une lumière transmutée par le noir et, comme Outre-rhin et Outre-manche désignent un
autre pays, Outre noir désigne aussi un autre pays, un autre champ mental que celui du
simple noir.

-S.M : Votre œuvre a souvent été cataloguée parfois dans du gestualisme, parfois dans du
minimalisme; au fond je crois c’est une œuvre incataloguable. Comment situez- vous votre
travail dans l histoire de l’art. ?

-P.S : Il est certain que je n ai jamais accepté d’être considéré comme un gestuel au départ,
ni comme un expressionniste, dés le début j ai même écrit dans un catalogue en 1948, c était
de démontrer que je n étais pas un expressionniste, comment je me classe là dedans ? Je ne
sais pas. Ce n est pas mon affaire, ça concerne les historiens de l’art.

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-S.M : Comment peut on lire spécialement votre travail, c’est du noir et du blanc, c’est du
plein et du vide, c’est du rythme, c’est des stries, c’est de la matière etc.
Ce blanc qui pour moi, est une sorte d’espace interstitiel, pourrait être assimilé à du vide, qui
n’a pas tellement été planifié, contrôlé, qui est la résultante accidentelle du noir qui pourrait
être en l’occurrence assimilé à du plein ?

-P.S : Ca dépend de quoi vous parlez depuis 79 ou j’utilise presque souvent la réflexion de la
lumière sur la matière et la il n y a que du noir ça dépend de quel période dont vous parlez.

-S.M : J’aimerais revenir sur cette notion de vide, et je trouve même un certain rapport entre
vous et un sculpteur espagnol G. Oteiza et qui parle de ‘désoccupation spatiale’, ses
sculptures sont un hommage au vide, c’est en d’autre terme un sculpteur du vide et non de la
matière et du plein; l’autre parallèle que je ferais avec Oteiza c’est le rapport que vous
entretenez avec le spectateur qui n’est pas un juste récepteur mais aussi acteur ?
En d’autres termes comment aborder la notion du vide dans votre œuvre en général et dans la
fondation Pierre Soulages en particulier ?

-P.S : Je crois que c’est une approche très intéressante, le comment c’est une autre affaire
c’est l’affaire de l’architecte. Mais que sa réflexion porte sur cette question là cela me parait
fondamental.
Le vide existe toujours, on ne se rend pas toujours compte, je m’amuse quand je vois des
paysages en milieu urbain avec des grattes ciels ; j’aimerais faire un moulage de cela
comme les dentistes font voir le vide en plein.

-S.M : La notion de sacré est assez présente dans votre travail, vous manifestez un certain
intérêt à l’art roman dans votre travail, et récemment l’expérience que vous avez effectuée à
Conques vous touche à la fois au sacré, à l’espace et à la lumière.
Si vous nous parliez de cette expérience ?

-P.S : Conques c’est donc une Abbatiale assez importante, ou il y a 100 vitraux.
A Rodez il y aura toutes les études préparatoires qui seront là, les cartons se sont l’ossature
de l’intervention. Et c’est cette architecture du lieu qui a inspiré ce que j ai fait : donner à
voir une architecture qui me touche beaucoup.

-S.M : Une fondation pour Pierre Soulages est une tache assez sensible dans la mesure ou on
s’interrogerait quelle espèce d’espace devront nous concevoir pour une telle œuvre ?

-P.S : Un musée c’est tout d abord un outil qui devrait correspondre sûrement à ce qu on doit
y montrer mais il y a des conditions du matériel à respecter, à Rodez il y aura une grande
partie des œuvres sur papier et pour le papier il y a des exigences de lumière de durée
d’exposition à la lumière. Le projet du musée à Rodez sera principalement axé (jusqu'à
présent) sur les rapports avec Conques et avec toutes mes œuvres gravées lithographie peu
être mais surtout l’aquateinte, et sérigraphie aussi. L intégralité de l’œuvre gravées sera a
Rodez, y compris les cuivres, y compris les bronzes tout cela sera à Rodez, les œuvres sur
papiers Brou de noix et autres seront là aussi il y aura aussi quelques séquences de
peintures, ça sera diffèrent de ce qu’il y aura a Montpellier, le musée de Montpellier vient de
consacrer plusieurs salles qu’on est entrain de construire et qui seront visitables fin 2006.

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-S.M : L’idée du rapport du contenu et du contenant est le centre de la problématique d’une
fondation pour Pierre Soulages,
Un tel lieu devrait t- il être en parfaite adéquation formelle avec l’œuvre artistique ?
De telle manière que sans ce fond, cette architecture, ce lieu n’aurait pas de raison d’être ?

-P.S : On pourrait l’envisager comme cela en adéquation parfaite avec l’œuvre mais il n’y a
pas que cela vu qu’il y aura une salle d’exposition temporaire, et il faudrait qu’un tel lieu
puisse s’adapter à une création à venir par conséquent qui n’existe pas encore. Il y aura un
espace destiné à recevoir les exposions temporaires, il y a des espaces qui seront
obligatoirement adaptés à l œuvre c’est les espaces de représentations de Conques qui
doivent être adaptés , les espaces de représentations des œuvres sur papiers seront adaptés et
les espaces de représentations d’une catégorie d’œuvres sur papiers qui est l’œuvre imprimée
c’est à dire lithographie , sérigraphie … tout cela ce sont des espaces très particuliers qui
doivent être adaptés à ce qui va être montré à la collection à ce que cela sera.
Par ailleurs, il y aura d’autres espaces qui seront plus ouverts, à la peinture et puis des
espaces d’expositions temporaires, ça se sont les différents points auxquels il va falloir y
penser du point de vue OUTIL , un musée étant un outil fait pour monter une œuvre . La fin
esthétique de l’Outil est aussi importante.

-S.M : Renzo Piano vient de livrer le centre Paul Klee à Berne, il exigeait une certaine liberté
dans la lecture et l’interprétation architecturale de l’œuvre de Paul Klee, et que finalement
chaque discipline est autonome, et ce qu il fallait retenir de l’œuvre de Paul Klee c’est la
dimension Poétique mais en aucun cas il fallait partir d une œuvre de Klee et l’interpréter
spatialement, je trouvais personnellement dans ces propos une réelle bouffée d air

-P.S : Je crois parfaitement à cela mais surtout qu’il faut éviter la redondance, c’est un mot a
éviter : la redondance.
Quand j’ai fait Conques, mon problème était d échapper a toute redondance d’architecture
par exemple il y a une fenêtre, il y a une forme très précise, des proportions très précises je
n’allais pas la modifier, je n’ai mis aucune bordure ou parfois j ai utilisé une bordure plus
claire que ce qu il y a dans la partie centrale mais elle est plus claire pour permettre de
conserver à l’architecture, par le contraste du clair, sa véritable proportion.
Par ailleurs dans l’architecture de Conques, il y a des verticales surtout (les proportions c’est
extrêmement étroit par rapport à la hauteur , je crois que c’est 3 fois et demi comme rapport,
alors la dominante verticale est très affirmée . Il n y a pas d oblique, toute l’architecture de
conques est en verticale, bien sur des horizontales, mais aussi du plein cintre et bien dans les
vitraux j ai évité tout cela , il n y a aucune verticale ,il y a beaucoup d’obliques d’abord .
Ce que j’ai remarqué aussi que la lumière nous parvenait d’une manière oblique, parce que
la limite qui sépare l’ombre de la lumière est dans la plus part des cas une oblique.
En tout les cas cela me paraissait être du domaine de la lumière que celui de l’architecture.
C’est l’architecture des le départ qui a dicté et qui a fait la lumière et cela personne ne peut
en disconvenir car c’est inscrit dans la mesure même de l’architecture.
On peut être surpris de voir que les fenêtres de la nef au nord sont étroites et plus basses que
les fenêtres de l’arc en face coté sud, c’est quand même assez extraordinaire, et puis quand
on arrive au transept c’est l’inverse qui se produit, la lumière s’exprime d’une manière très
particulière, très différente de l’habitude.

Dans le transept les fenêtres ont toute la même hauteur et celle qui sont au sud sont étroites et
celles au nord sont larges, il est certain que dans ce bâtiment tel qu il nous apparaît la
lumière est un élément fondamental, capital et très particulier à ce bâtiment, c’est pourquoi

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j’ai tout d’abord décidé de travailler avec la lumière, cela me paraissait très important et ne
pas fausser ce que les architectes ont mis en place.
Pour cela, j’ai utilisé un verre totalement incolore, et je me suis forcé de respecter la
continuité des murs de telle manière que les fenêtres ne paraissent pas comme des trous qui
donnent sur l extérieur. Je cherchais une lumière.
Mais lorsqu’on module la lumière quand la lumière d’un certain endroit passe ……
-S.M : La lumière semble être un matériau dans votre travail, quel type de lumière pour un
musée Soulages ?
Pouvons nous lui qualifier des adjectifs pour mieux la cerner à la fois son rôle, c’est à dire sa
fonction mais aussi son esthétique ?

-P.S :C’est intéressant comme question, les œuvres jouent aussi dans la détermination de cette
lumière.
Il y a deux types d’œuvres dans ce que je fais : il y a celles qui appartiennent aux années
jusqu aux 1979, et à partir de 1979 il y a beaucoup d’œuvres qui jouent avec la lumière
reflétée par un état de surface : état de surface du noir. Elle n’est pas seulement reflétée, elle
est aussi transformée par le noir. Elle est reflétée par l’extrême du sombre.
Dans ce cas là, il faut trouver une lumière adaptée à ce type matière ou pas du tout
adaptée ;parce que ces peintures là quand elle sont face à la lumière elles sont très bien,
quand on les met face à une lumière frisante, elles sont autre, c’est différent.
Il y a je crois plusieurs lectures possibles ; l’intérêt de ces toiles c’est qu elles sont différentes
selon la place du spectateur, suivant le changement de la lumière du jour.

-S.M : J’aimerais revenir au centre de Paul Klee, l’architecte devait faire face à la fragilité de
l’œuvre de Klee, fragilité physique et non métaphorique : il s’agissait d’œuvres en huiles sur
papiers ceci nécessitera un dispositif.
« Par ailleurs Une autre question typique c’est que comme Paul Klee a toujours travaillé sur
de petites dimensions, on serait tenté par l’équation : petites œuvres = petits espaces. Si les
œuvres sont petites, il faut faire de petites pièces. C’est une bêtise gigantesque puisqu’on est
capable, avec la mauvaise idée de la perfection et de la neutralité de l’architecte, de tuer une
œuvre d’art. »

-P.S : Je partage pleinement cela.

-S.M : À Sète par exemple vous avez touché à l’architecture, en concevant vous-même votre
maison. On trouve toujours le même souci tout comme dans votre œuvre, d’un certain
minimalisme architectural, d’un recours aux matériaux bruts, le coté rudimentaire des
matériaux (béton brut banché, ardoise, bois brut, du blanc, du noir) est omniprésent dans vos
peintures mais aussi dans votre maison.

-P.S : Pourquoi j ai fait une maison a Sète ? C’est parce que je suis tombé amoureux d’un
paysage.
Là, je suis parti lorsqu’on m a dit, ça vous ne plaira pas mais venez quand même parce qu’il
y a tellement de réparation à faire que personne n’en voulait pas, je suis parti voir, et là je
n’ai pas vu une maison, j ai vu un paysage.
En revenant à Paris on me disait, tu as acheté une maison, je disais j ai acheté un horizon
vide.

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A Rodez, je crois il faudra tenir compte du lieu, l’architecture traditionnelle de rodez, c’est
une architecture en grès. C’est du grès plus au moins rouge et je crois que c’est un matériau
intéressant lié à Rodez.
Et ce que je préfère à Rodez, c’est la façade latérale de l’église qui donne sur la place
d’arme.
C est drôle parce qu’elle a commencé Romane, elle a continué gothique et après c’est
jésuite………
Il faut que l’architecte soit libre ……..

-S.M : Et votre atelier, si on essaie d’analyser le fonctionnement, d après l’ouvrage de Michel


Ragon : Les ateliers de Soulages, on a toujours ce souci d intériorité. Que signifie pour vous
cette notion d’intériorité ?
-P.S : Vous savez il y a un accrochage que j’avais fait au musée d’Orsay récemment, on m’a
demandé de choisir une œuvre du musée d Orsay et de mettre une œuvre a coté, et la je crois
j’ai fais quelque chose qui était assez réussi.
J’ai choisi une œuvre qui me plaisait beaucoup, une œuvre photographique de Legrés, c’est
un grand photographe et j avais mis une de mes toiles.
Au début il n y avait rien il y avait un mur blanc et puis brusquement on se retrouvait dans
une pièce relativement petite ou il y avait une grande toile. A l’inverse de ce qu on pouvait
penser , c’est une pièce ou il y avait une toile qui devait faire 4m50 sur 2m90 de haut et sur
presque 5m ; éclairée faiblement. Et bien ça marchait très bien.
Ce qui est intéressant, c’est la sonorité du lieu produite par les visiteurs, il y a des lieux où les
visiteurs parlent à haute voix et des lieux où ils parlent plus bas. Et cela est très intéressant à
remarquer. Je sais qu’à Conques c’était frappant quand avant il y avait des vitraux très
colorés, c’était du moyen age modernisé et bien là ils se sont brusquement mis à parler plus
bas. Et ça c’est ce qui s’est passé à Orsay : les gens parlaient normalement et en entrant dans
la salle c’était le silence.
D ailleurs ce n’est pas par l’excès de lumière que l’on arrive au meilleur contact avec celui
qui les regarde.

-S.M : Dans le cas du projet de rodez, j’aimerais partir d’une approche scénographique avant
même de commencer d’architecturer le lieux, assez souvent la tendance qu’on a lorsque on a
concevoir de tels lieux, on commence à imaginer un espace et après on fait appel à un
scénographe qui lui sera chargé de mettre en scène ce lieu comme, si les deux taches étaient
dissociés l’une de l’autre. Je crois que ça serait plus judicieux de commencer par une
scénographie qui donnera lieux à un espace.

-P.S : Je suis tout à fait d’accord avec vous, écoutez, à Rodez il y aura quatre choses :
D’abord les conques ce qui sera exposé sera plutôt didactique, ce ne sont pas des œuvres qui
y seront exposées, c’est du travail, c’est l’arrière plan de ce qui à donné les vitraux. C’est a
dire la recherche sur le verre, la recherche d’une lumière avec des échantillons de verres, et
j’explique les recherches qui m’ont orienté vers ce type de matériaux, pour un certain types
de lumières, une lumière particulière que je recherchais parce que l’originalité de ce travail,
j’ai procédé de la manière inverse:

D’habitude on demande à un artiste de faire des esquisses et par la suite on interprète ce qui
a été obtenu par le procédé pictural avec du verre, il y a eu une interprétation, un passage et
cette manière de voir les choses m’a toujours dérangé. J’avais un ami qui faisait ces dessins
au pastel et qui ensuite recopiait minutieusement avec de l’huile pour moi c’était du kitch.

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-S.M : Je me permets de citer un passage de l’entretien que vous avez donné à F.Jaunin :
« Quand j’ai commencé à faire de la peinture, je pensais qu’il fallait avoir son tableau dans
la tête avant de le réaliser. Mais j ai bientôt compris que peindre dans sa tête, c’est très
mauvais. Se plier à une idée ou à une image préconçue, c’est à coup sure appauvrir d’emblée
son tableau de tout ce qui pourrait surgir dans le travail. La peinture est l’exercice d’une
liberté. Il faut savoir rester toujours ouvert à l’inconnu avec sa sensibilité en état d’alerte, à
la fois totalement concentrée et totalement réceptive …
Si on ne fait qu’exécuter ce que l’on a imaginé, on n’est qu un tâcheron de la peinture.
L’œuvre n’est intéressante que si elle dépasse l’artiste qui la produit »

-P.S : Je continue à penser cela.


Lors de la présentation au ministère de la culture, on avait une réunion avec tous les
responsables de l administration, l’architecte du patrimoine.
Ils attendaient des esquisses, et je suis arrivé avec un morceau de verre. Et je leur ai dit : mon
travail c’est ça !!
Ils ont pensé que je me moquais d’eux, et j’avais travaillé dessus des mois et des mois, ce que
je cherchais c’était une lumière.
Et j’ai travaillé directement sur des essais, du verre.
Une démarche totalement opposée de ceux qui partent d’un procédé pictural et qui interprète
avec un verrier d’une manière parfois magnifique mais ce n’est pas ma manière de penser.
C’est une originalité ce travail.
Le principe même de cette commande est un principe faux ! Parce que tout d’abord on doit
présenter des esquisses à un jury

-S.M : Pour revenir a une possible interprétation scénique de la manière d’exposition de votre
travail, vous êtes parfois chargé de concevoir la scénographie des lieux ou vous allez être
exposé, récemment dans le musée d’art moderne de Paris lors d’une rétrospective qui vous a
été consacrée, vous avez pris le parti de mettre vos œuvres sur des câbles. Si vous nous
expliquiez le sens d’une telle mise en scène ?

-P.S : C’était une manifestation quand j’ai fait ça, c’était une volonté de sortir d’une œuvre
rectangulaire sur un mur. Vous savez au début, j’ai donné même l’épaisseur de la toile, je
disais c’est une toile 2m sur 3m avec 7 cm d’épaisseur.
Quand on met une toile sur un mur, c’est toujours une fenêtre. Alors, quand je mettais les
toiles sur des câbles, la toile devenait mur ; et on peut faire le tour de la toile aussi.

-S.M : Pour moi votre œuvre est tellement pesante, avec une certaine « notoriété du noir »
d’une certaine « gravité ».
Je crois qu’un mur qui doit tenir une telle œuvre, devrait être apte, devrait être chargé d’une
certaine inertie, d’une certaine épaisseur pour pouvoir assoire une telle œuvre. C’est dans ce
sens que cette notion d’exposer sur des câbles m’a interpellé.

-P.S : Je comprends mais quand j’ai fait cela, la première fois, je vais vous dire comment c’est
arrivé. J’ai eu à exposer à Houston dans un espace de Mies Van Der Rohe , c’est un grand
espace, je me suis dit, si j introduis dans cette architecture des cimaises construites cela sera
ridicule, ce n’est pas pensable. C’est comme ça que ça a commencé l’idée d’exposer sur des
câbles.

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Et puis ensuite, c’était une manière d’évacuer l’architecture, en en faisant une autre.
Et alors là on pouvait à Beaubourg, j’avais crée un rythme, je me souviens au début il y avait
des toiles relativement rapprochées dans l espace, et puis en allant vers le centre les espaces
devenaient plus larges les toiles aussi et puis vers la fin elles se sont serrées. Au fond j’avais
scandé la profondeur en créant des distances pour rythmer l’exposition.

-S.M : On voit bien que vous cherchez à instaurer un rapport particulier avec le spectateur,
parfois il s’agit de proximité pour voir l’œuvre d’une manière frontale, parfois plus distancée
pour avoir plus de recul, si vous nous parliez de ce rapport que vous entretenez avec le
spectateur ?

-P.S : Quand j'ai fais cela à Houston, je pensais aussi que c’était donner une liberté au
spectateur. Parce que dans un musée quand on met des toiles sur un mur, on établit une
continuité, si on établit une continuité on induit un sens parce que le sens est toujours
linéaire, le sens à besoin d’une linéarité. Quand on met des œuvres les unes à coté des autres
on crée une linéarité qui fait sens et c’est le sens de celui qui a accroché mais ce n’est pas
forcement le sens que souhaitera celui qui regarde. Celui qui regarde n’est pas libre, il est
obligé de passer par la succession qu’on lui impose, et lorsqu’on met les toiles sur trois plans
les une a coté des autres, 3 niveaux différents. Quand vous prenez un point de vue, vous
confrontez la toile du 1er plan avec celle du second plan et si vous prenez un autre point de
vue vous allez confronter le 1er plan avec peut être celle du 3eme plan, c’est à dire vous
juxtaposez et vous construisez votre sens vous-même et vous ne vous laissez imposer le sens
de celui qui a accroché.

-S.M : Ceci me permet d’enchaîner avec un texte de Paul Valery que je trouve dans le sens de
ce que vous dites « Citation ???
A travers ce texte j’aimerais comprendre le type de dialogue a instaurer entre vos œuvres elles
mêmes, serait- il chronologique ou aléatoire pour laisser la liberté que vous revendiquez pour
le spectateur ….

-PS : Se poser la question comme cela me convient, mais l’idée que je pourrais avoir là
dessus je ne l’ai pas encore, il faudrait avoir les œuvres en main pour travailler justement
dans le concret, il ne faut pas tomber dans l’erreur que vous énonciez tout à l heure, qui
consiste a avoir une idée dans la tête et ensuite l’exécuter….
C’est ce qui me gène dans l’architecture parce qu’en architecture vous étés obligés de partir
d’un projet et ensuite vous le réalisez. La peinture c’est le contraire, on a un projet sûrement
mais pendant qu’on est en train de le réaliser, on en change et il en arrive un autre qu’on n’a
pas prévu. Est ce que cela est possible cela en architecture ? Je crains que non

-S.M : Oui c’est possible, cela dépend de la démarche qu’on veut aborder, des convictions
qu’on adopte dans le processus du projet, cette manière d’échapper de la logique purement
terre à terre fonctionnaliste du projet. Et c’est la tout l’objet de mon mémoire, la part
d’abstraction dans la genèse du projet, y a-t-il une place pour l’abstraction dans le processus
créatif du projet, que peut amener l’abstraction ?

-P.S : Ce qui arrive sans qu’on l’ait voulu, ce sont sûrement les meilleures choses que l’on
fait ce sont celles qu’on n a pas comprises pourquoi on les fait.
Toute l’aventure que je fais, beaucoup de peintures que j’ai fait sont nées de l imprévu, ce
qu’on peut appeler le hasard, il faut se mettre en condition pour que l’imprévus puisse se

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produire, il y a un jeu de ballon non pas sphérique mais ovale quand j’étais jeune, c’est le
rugby, on ne sais jamais comment il va rebondir.

-S.M : Ca serait peut être une piste à explorer dans le parcours d’un tel musée ou la part de
surprise et de hasard est présente où tout n’est pas linéaire comme vous dites

-P.S : Peut être que cela serait plus intéressant que la continuité chronologique, beaucoup
d’expositions que j’ai faites, on resitue cette continuité chronologique, elle s’introduit plus ou
moins, mais elle n’est pas faite d’une manière linéaire.

J’ai toujours été contre la présentation chronologique d’une œuvre, parce que c’est faux,
toutes sont fausses, parce qu’aujourd’hui les choses viennent entre, et il n y a pas de
continuité, on met ensemble les peintures, mais entre les peintures il y a des dessins il y a
même des choses inexposables, des surprises de détail, c’est ça la véritable chronologie :
l’enchaînement des idées. Je crois qu’il y a une lecture de l œuvre celle qui échappe à un
temps discursif.
C’est pourquoi je trouvais intéressant que vous me demandiez le contenu de cette donation.
Suivant la manière dont le musée se présente il y aura des prêts, je peux faire des prêts si le
musée intéresse plus ailleurs, c’est comme ça.
Un musée qui est trop étroitement lié à l’œuvre est un musée qui la paralyse.
L’idée de parcours que vous avez proposé, je suis d’accord avec cela, avec des circuits à
l’intérieur.

-S.M : Une dernière question, au départ vous vous etes prononcé comme quoi l’idée d’un
musée ou d’une fondation monographique n’a pas de sens « les gens y vont au début parce
que c’est nouveau et après, plus personne n’y met les pieds » comment remédier à cela
d’après vous ?

-P.S :Deux manières différentes : Par les expositions temporaire de passage qui viennent
d’horizon divers et puis aussi des accrochages différents et cela est possible car il y aura un
grand nombre de tableaux sur papier et ils pourront toujours la renouveler . C’est pourquoi il
ne faudra pas tout montrer.

Je trouvais nécessaire après ce premier entretien effectué en date ??? de revoir Pierre
Soulages, pour lui faire part de l’évolution du projet d’une part et de l’interroger sur un
certains nombres d’éléments qui se sont révélés au cours de l’élaboration du projet d’autre
part. Notamment concernant le rapport entre l’œuvre peinte et l’œuvre gravé. Ci-joint
quelques passages

-S.M : Quelle est le rapport entre votre oeuvre peinte et votre œuvre gravée ?

-P.S : J’ai eu une expo à la bnf, sur mon œuvre imprimée ce sera la même chose à Rodez.
Mais la qualité particulière du musée de Rodez sera l’interdépendance des œuvres avec les
moyens et les matériaux qui ont servi à la produire, ce n’est pas ce qui s’est passé pour
conques. Moi je ne voulais pas du tout d’un musée à Rodez, ni un musée pour moi, j’ai
toujours dit qu’un musée pour un artiste je n’y croyais pas du tout. Mais le fil qui a fait
suivre, c’est conques, ou au départ j’ai refusé de faire des projets peints. La particularité de
conques par rapport à ce qui a été fait c’est que ce qui a été fait avant réalisées d’après des

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aquarelles, d’après des peintures qu’on a ensuite interprété avec du verre. Et ce je n’ai pas s
voulu le faire, j’ai dit je cherche une lumière, il faut que je trouve un verre. Et comme je ne
trouvais pas le verre, je me suis dit je vais le faire. Et comme je ne connaissais rien au verre,
j’ai commencé à chercher, et puis l’affaire de conques a duré sept ans. Au début je me suis
rendu au centre de recherche sur le verre à Marseille et ensuite j’ai travaillé a Saint Gobain
recherches ou les ingénieurs ont dit avec ce verre la vous n’arriverez pas à obtenir ce que
vous voulez. Le bâtiment de conques a été fait avec la lumière, il y a des choses tout à fait
anormales. Dans la nef les fenêtres du nord sont plus petites et plus basses que celles du sud
et puis au transept c’est l’inverse.

-S.M : Mais par exemple dans le musée en question, comment d’après vous mettre en valeur
le dialogue entre l’œuvre imprimée, l’œuvre sur papier et les toiles ?D’après vous quel est le
lien ?

-P.S : Il est interne ce lien la, il n’est pas formel.

-S.M : Quel est la place de l’oeuvre gravée dans votre travail ?

-P.S :L’œuvre gravée a de commun avec ce que j’ai fait à conques que les formes qui sont
sorties de l’œuvre gravée viennent de la corrosion du cuivre par l’acide, c’est le hasard.
Conques, c’est le hasard si la lumière que l’ont voit est colorée, je ne m’attendais pas à ça
Une fois que j’ai fait mon verre, je cherchais une variation de luminosité sur la même fenêtre.
J’ai d’abord cherché un verre, et quand j’ai trouvé le verre qui correspondais a ce je voulais,
l’opacité complète au regard. Mais je voulais que le verre ait l’air d’émettre le quartier, qu’il
continue la paroi qu’il ne soit pas un trou. Et quand j’ai trouvé ce verre à chaque fois que
j’allais à conques, je mettais en place un morceau et, ce qui se passait, c’est que la lumière
elle est bleu et quand elle passe moins i y a moins de bleu, et ou il est passé le bleu, et bien
quand je suis sorti il était à l’extérieur. Conques c’est un lieu que l’on voit de l’extérieur, ça
c’est nouveau aussi. Et ça, c’est un hasard.
Et le lien, avec la gravure en particulier c’est la même chose. Quand on grave, plus on
creuse et plus c’est noir. Et puis un jour j’étais entrain de creuser et puis ça s’est troué. Je me
suis aperçu que ça devenait très intéressant, parce que le papier était troublé écrasé par le
passage sous la presse mais la chair du papier restait intacte. Et en plus dans le trou il y avait
une variation de lumière produite par le contraste des parties voisines, les parties rectilignes
très noires donnaient un blanc très clair. Il y a eu un travail sur la lumière, c’est la lumière
qui a joué tout ça Alors j’ai continué sur cette voie. Mais c’est au fond un accident qui s’est
produit au cours de la création qui a donné les formes de cuivre et d’estampes. Et quand ces
estampes sont arrivées au dépôt légal du musée national, le responsable des dépôts de cette
époque m’a dit il y a quelque chose de nouveau qui vient de se produire en gravure. D’abord
il n’y a pas de double réaction celui du papier puis celui de la planche, une sorte de
pléonasme qu’il y a entre les deux rectangles. Mais ces choses la sont arrivées au cours du
travail.
C’est ce qui est arrivé au cour du travail c’est ce que je vous racontais pour conques, ou je
me suis appercu a partir de ce moment la qu’il fallait penser le bâtiment aussi vu de
l’extérieur.
Et c’est ce qu’il y a de commun entre les deux recherches, c'est-à-dire le matériau, le procédé
de réalisation sont extrêmement lié à la création elle-même. Et au fond c’est ce que veut
mettre en évidence le musée Rodez, l’interdépendance de l’œuvre produite, les matériaux et
les procédés de la création.

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Pour la gravure, à Rodez on exposera la matrice. Pour la lithographie, ce sera un peu plus
difficile à montrer. Ce que je faisais, c’est que je créait la litho avec l’impression, plutôt que
de faire les recherches et les mises au point, je faisais un tirage, je partais de 500 feuilles
pour en faire 50, puis je changeais quelque chose puis je produisais encore … Et c’est comme
ce que je trouvais intéressant de faire de la lithographie, sinon c’est de la reproduction de
l’existant, et ça n’a pas d’intérêt, donc j’ai essayé d’en faire un procédé de production. Pour
la gravure c’est clair, pour les vitraux de conques aussi.
Pour ma peinture c’est pareil je ne part pas d’une idée préconçue. C’est le problème des
architectes vous avez un projet et vous devez le réaliser tel que vous l’avez établi, vous ne
pouvez pas en cour de projet changer. Un architecte fait un projet ensuite le réalise, alors que
dans la peinture ou l’art on part d’un projet et en cours de route on le change on le modifie
suivant ce qui se produit. Et au fond, l’illustration de conques, c’est ça et de mes gravures
c’est ça, c’est le lien qui réunit entre les deux. La particularité de Rodez sera ça, il faudra
prévoir une architecture souple, il y aura des œuvres sur papier qui nécessitent une proximité
de regard…Et puis des expos temporaires …

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