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Abstract
REB 57 1999 France p. 141
Vincent Déroche, Polémique anti-judaïque et émergence de l'Islam (7e -8e s.). — In the light of the recent thesis of D. Olster, in
whose opinion anti-Jewish polemics of the 7th- 8th centuries had no other goal than to reinforce the political confidence of
eastern Christians in the wake of Islam, we are reminded of the religious dimension of the conflict through an assessment of the
important texts.
Résumé
Face à la thèse récente de D. Olster, pour qui la polémique anti-judaïque des 7e-8e s. ne vise qu'à rétablir la confiance politique
des chrétiens d'Orient face à l'Islam, on rappelle la dimension religieuse du conflit, en dressant un bilan des textes essentiels.
Déroche Vincent. Polémique anti-judaïque et émergence de l'Islam (7e-8e siècles). In: Revue des études byzantines, tome 57,
1999. pp. 141-161.
doi : 10.3406/rebyz.1999.1969
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rebyz_0766-5598_1999_num_57_1_1969
POLEMIQUE ΑΝΤΙ- JUDAÏQUE
ET ÉMERGENCE DE L'ISLAM
(7e-8e SIÈCLES)
Vincent DÉROCHE
7e-8e
Résumé
s. ne vise
: Face
qu'àà la
rétablir
thèse la
récente
confiance
de D.politique
Olster, pour
des chrétiens
qui la polémique
d'Orient face
anti-judaïque
à l'Islam, des
on
rappelle la dimension religieuse du conflit, en dressant un bilan des textes essentiels.
3. Roman Defeat, Christian Response and the Literary Construction of the Jews,
Philadelphia 1994 (ci-après Roman D.). Le raisonnement de D. Olster souffre d'une ambi
guïté dans l'idée de «race» ou de «racial stereotype» (Roman D., p. 21) : il n'y a pas de
théorie des races à Byzance, ni même de conscience d'une différence raciale au sens
moderne; D. Olster en prend d'ailleurs acte (Roman D., n. 122 p. 29) en reconnaissant
qu'il s'agit de groupes plutôt culturels au sens moderne (revendiquant une ascendance et
non un type physique, mais ce mot malencontreux l'amène à des expressions aussi
bizarres que celle de «race universelle» pour les chrétiens, Roman D., p. 122).
4. La même ligne de raisonnement se retrouve dans le livre par ailleurs intéressant de
K. Corrigan, Visual Polemics in the Ninth-Century Psalters, Cambridge 1992, qui inter
prète les figures de Juifs dans les Psautiers comme une polémique tournée en fait contre
les Musulmans : le Juif serait là encore un personnage de convention. Dans le cadre de la
polémique iconodoule, ce n'est qu'en partie admissible : le Juif est un modèle naturel de
l'iconoclaste par l'opposition bien connue des Juifs aux représentations figurées, et l'in
sulte de ioudaiophrôn s'explique par là sans avoir besoin de proposer un détour compli
qué par l'Islam.
5. D. Olster va jusqu'à comparer ces sources aux tristement fameux Protocoles des
Sages de Sion (Roman D., p. 19). Pour Stratégios, voir désormais B. Flusin, Saint
Anastase le Perse et l'histoire de la Palestine au début du VIIe siècle, Paris 1992, II,
p. 131-149.
6. La Doctrina y est encore citée d'après la pagination de l'édition Bonwetsch, et non
d'après celle de TM 11.
7. Byzantines and Jews, Byzantine and Modem Greek Studies 26, 1996, p. 249-274.
Une bonne partie de ses thèses se trouvait déjà dans son article The Jews in seventh cen
tury Palestine, Scripta classica Israelica 13, 1994, p. 75-93. On complétera avec
N. de Lange, Jews and Christians in the Byzantine Empire : problems and prospects,
Studies in Church History, 1992, p. 15-32.
POLEMIQUE ΑΝΤΙ- JUDAÏQUE ET ÉMERGENCE DE L'ISLAM 143
8. Voir Av. Cameron, Disputations, polemical literature, and the formation of opinion
in the early Byzantine Period, dans : G. Reinink et H. Vanstiphout, éd., Dispute Poems
and Dialogues in the Ancient and Medieval Near East = Orientalia Lovanensia
Analecta 44, Louvain 1991, p. 91-108. Le même auteur accordait plus de valeur à cette li
t érature polémique dans un précédent bilan, The Eastern Provinces in the 7th century
A. D. Hellenism and the emergence of Islam, in : S. Saïd, éd., ΕΛΛΗΝΙΣΜΟΣ. Quelques
jalons pour une histoire de l'identité grecque, Leyde / New York 1991, p. 287-313, en
particulier p. 301-307.
9. Dans les Byzantinorossica, à paraître.
144 VINCENT DÉROCHE
pure invention des érudits modernes : une fois identifié le parti pris (jan
séniste) des Provinciales, leur valeur de source sur le débat de l'époque
est certaine. L'atmosphère d'irréalité qui entoure les textes polémiques
anti-judaïques de l'époque est trompeuse, et provient pour bonne part
tout simplement de notre ignorance des situations concrètes de l'époque,
qui amène à juger «irréel» ce qui nous semble «invraisemblable» —
méthode très dangereuse, comme on sait. Le fait indubitable que la
confrontation entre Juifs et chrétiens n'a pas pu prendre à cette époque
pour l'essentiel la forme de «procès» que feignent de lui assigner nos
textes n'implique pas pour autant qu'il n'y avait pas confrontation.
Un moment privilégié de l'histoire de la Palestine, l'invasion perse du
début du 7e siècle, permet de vérifier que cette confrontation n'a pas tou
jours été purement littéraire, parce que pour une fois nous disposons de
sources juives. Les sources chrétiennes affirment à la fois la collabora
tion des Juifs avec les Perses 10 et la rupture de cette collaboration par les
Perses n. Or, le fragment de poème liturgique attribué à Qiliri 12, peut-
être le Livre d'Élie n et sûrement les Signes du Messie u et Γ Apocalypse
de Zorobabel 15 apparaissent comme le contrepoint juif des textes chré
tiens — d'ailleurs, plusieurs de ces textes polémiques chrétiens, en parti
culier la Doctrina Jacobi, ont aussi une dimension apocalyptique tout à
fait comparable. Ces textes donnent consistance à l'idée qu'il y aurait eu
à cette époque un Messie juif et une reprise (sous quelle forme ?) du
culte juif à Jérusalem 16.
10. Voir le récit de Stratégios et d'autres sources dont on trouvera la synthèse dans
Dagron 1991, p. 22-28.
11. Voir la lettre du patriarche Modestos au catholicos d'Arménie Koumitas conservée
dans la chronique arménienne du Ps.-Sébéos ; A. J. Butler, The Arab Conquest of Egypt,
Oxford 1902, p. 63-64 ; G. Dagron, Entre histoire et apocalypse, TM 11, p. 17-46 (ci-
après Dagron 1991), en part. p. 25-26. Cette source est déterminante : on n'arrive pas à
concevoir comment les chrétiens auraient pu inventer cette intervention perse : cette der
nière confirme à son tour qu'il y avait bien en Palestine un problème juif de nature poli
tique, car les Sassanides n'avaient pas de raison religieuse de prendre cette mesure.
12. E. Fleischer, Solving the Qiliri Riddle, Tarbiz. A Quarterly for Jewish Studies
54/3, 1984-1985, p. 383-427 (en hébreu, résumé anglais p. IV-V), signalé par
C. Zuckerman dans Dagron 1991.
13. Éd. E. Shmuel, Midreshei Geulah, Jérusalem / Tel Aviv 1954, p. 41-48, en hébreu
{non vidi) : voir le commentaire de R. L. Wilken, The Land called Holy, New Haven /
Londres 1992, p. 207-208.
14. E. Marmorstein, Les Signes du Messie, REJ 52, 1906, p. 176-186.
15. Éd. I. Lévi, L'apocalypse de Zorobabel et le roi de Perse Siroès, REJ 68, 1914,
p. 129-160 ; 69, 1919, p. 108-121 ; 71, 1920, p. 57-65 ; M. Himmelfarb, Sefer Zerubbabel,
in : D. Stern et M. Mirsky, Rabbinic Fantasies, Philadelphia / New York 1990, p. 67-90 ;
la datation au 7e siècle proposée par l'éditeur est en général retenue, sauf par P. Speck,
Jewish Studies Quarterly 4, 1997, p. 183-190. Le parallèle entre Stratégios et
l'Apocalypse de Zorobabel a permis à B. M. Wheeler, Imagining the Sassanian capture of
Jerusalem, OCP 57, 1991, p. 69-85, de tenter un tableau des événements combinant les
deux textes.
16. Voir, sur ce point, R. Wilken, op. cit., p. 212-213.
POLÉMIQUE ΑΝΤΙ- JUDAÏQUE ET ÉMERGENCE DE L'ISLAM 145
17. Nous n'arrivons pas à évaluer cette population elle-même: M. Avi-Yonah, The
Jews under Roman and Byzantine Rule, Jérusalem 1984, proposait de 10 à 15 % de la
population totale de la Palestine, tandis que G. Alon, The Jews in their Land in the
Talmudic Age (70-640 CE), II, trad. G. Levi, Jérusalem 1984, p. 757, suggère que les
populations juive et samaritaine réunies de la Palestine l'emportaient sur la population
chrétienne.
18. Ainsi, l'idée d'une restauration d'une entité politique juive quasi- souveraine à
Jérusalem proposée par Avi-Yonah, op. cit., p. 276, ne repose sur rien de précis.
19. On se reportera au bilan prudent de R. Wilken, op. cit., chap. 10, p. 193-215.
20. Comme le tente R. Schick, The Christian Communities of Palestine from Byzantine
to Islamic Rule, Princeton 1995, p. 26-31, qui propose curieusement de dater ces troubles
sous Phocas, vers 608. Avi-Yonah, op. cit., p. 267, pensait pouvoir reconstituer presque
un plan de bataille à partir d'Eutychius.
21. La source la plus proche des faits, la Doctrina Jacobi, p. 181 et p. 203, laisse pen
ser pour Ptolémaïs à de simples émeutes suivies de pillage, et non à la constitution d'une
entité politique juive : on rapprochera du passage de Stratégios où les Juifs à Jérusalem
s'attaquent aux bâtiments de culte chrétiens dans le vide créé par la conquête perse.
146 VINCENT DEROCHE
27. Anonymus dialogus cum ludaeis saeculi ut videtur sexti, éd. J. Declerck,
CCSG 30, Turnhout 1994 (rappelons que l'ouvrage était encore inédit au moment où
D. Olster écrivait).
28. Pace Roman D., p. 19: «not all of seventh-century anti- Jewish tracts mention
icons, but all refer to Christian defeat» : comment le savoir pour des textes préservés seu
lement en fragments, comme l'Apologie ? De plus, nous verrons que certains textes
comme la Disputatio Gregentii ignorent la défaite chrétienne à un tel point qu'il est mal
aisé d'affirmer que c'est leur sujet essentiel.
148 VINCENT DEROCHE
philologiques : s'il est légitime de souligner que le texte est assez bien
veillant envers les Juifs et vise réellement à en catéchiser certains, cela
s'explique par la situation extraordinaire du baptême forcé, qui met une
partie des Juifs en position de se convertir, et non par une sorte de
«judéo-christianisme» de l'auteur que semble esquisser D. Olster, suppos
ant, comme jadis P. Maas, que l'auteur est un des Juifs baptisés30.
Contrairement à ce que pense D. Olster, le passage sur la propension des
chrétiens à en dénoncer facilement d'autres pour hérésie n'implique pas
que l'auteur est juif: la lassitude de plusieurs chrétiens devant les quer
elles christologiques au 7e siècle est manifeste, par exemple chez l'his
torien Évagre31. La condamnation des mariages des Juifs avec des non-
Juives par Jacob ne vise pas non plus à affirmer un maintien de la
communauté juive au sein du christianisme : ce topos porte non sur la
situation politique du 7e siècle, mais sur la pureté des origines juives de
Marie pour justifier que Jésus est fils de David 32. De même, on ne peut
dire que «Jacob implies that Jewish acceptance of Christ would restore
the Jewish kingdom» : Jacob analyse les promesses de royauté que Dieu
fait aux Juifs dans la Bible non pour annoncer un nouvel État juif, mais
pour démontrer par l'absurde (l'absence de pouvoir politique des Juifs)
que ces promesses sont passées au profit des chrétiens depuis
l'Incarnation : en particulier, la dereliction des Juifs depuis la mort de
Jésus implique qu'il était bien le Christ, et l'idée d'une royauté juive
n'est évoquée dans ce contexte que pour mieux être niée 33. Le raisonne
ment un peu compliqué sur les deux Parousies que propose Ioustos ne
signifie pas non plus que l'auteur attend deux Messies successifs comme
dans certaines apocalypses juives — ce qui serait une hérésie étonnante
dans le christianisme — mais simplement que la première Parousie est
déjà passée, et donc, par élimination, que le Messie déjà venu ne peut
29. Pour notre époque, il y a au moins un cas évident, les récits de la mort du
patriarche Anastase d'Antioche : la Chronique de Théophane, éd. de Boor, p. 296, trad.
Mango et Scott, p. 425, où ce sont les Juifs qui l'assassinent et outragent le cadavre,
représente de toute évidence une réécriture de l'histoire par rapport à la source contempor
aine des faits, le Chronicon Paschale, Bonn p. 699, qui attribue le meurtre à des soldats.
30. Voir BZ 20, 1911, p. 573-578 : bien entendu, cela impliquerait de prendre au pied
de la lettre les renseignements de la Docîrina : D. Olster en déduit par exemple que le
baptême forcé n'a pas eu lieu en Palestine à cause de l'exemple de Ioustos, mais c'est
faire fi de la transposition romanesque par un auteur sûrement palestinien (voir Dagron
1991, p. 31-32 sur l'extension géographique probable de la mesure). L'usage de l'expres
sion «mamzir», bien connue par la Bible, fait aussi partie du «folklore» juif que l'auteur
introduit dans le texte pour le rendre crédible (pace D. Olster, Roman D., p. 160-161) :
voir Doctrina p. 128 n. 45 ; on la retrouve dans la Disputatio Gregentii, col. 669 A, mas
quée par la déformation μαυζήρε d'un copiste qui ne l'a pas comprise : on n'en déduira
pas pour autant que cet autre texte est rédigé dans un milieu judaïque. On retrouve l'épi-
thète dans la Vie de Syméon Salos, éd. Rydén, p. 163.
31. Doctrina, p. 145 ; Roman D., p. 163. D. Olster traduit à tort : «And in no way let
them anathematize us as heretics !», là où il faut lire : «II est à craindre qu'ils ne nous jet
tent l'anathème comme hérétiques» ; la défense s'applique aux Juifs et non aux chrétiens.
yi.Doctrina, p. 133 ; Roman D., p. 159.
33. Doctrina, p. 163 ; Roman D., p. 172.
POLÉMIQUE ΑΝΤΙ- JUDAÏQUE ET ÉMERGENCE DE L'ISLAM 149
être que Jésus : autrement dit, les Juifs ne peuvent rester fidèles au vrai
judaïsme qu'en devenant chrétiens 34. Bref, ce sont des lieux communs
de la polémique entre l'Ancien Israël et le Nouveau, adaptés à la situa
tion très particulière du baptême forcé, mais la bienveillance tout à fait
réelle de l'auteur envers les Juifs n'implique pas du tout qu'il leur pro
pose de conserver une identité juive : la conversion au christianisme doit
à la fois abolir leur spécificité ethnique et accomplir leur vraie identité
théologique, jusqu'alors dévoyée par le maintien du judaïsme. D'autres
textes comme le Dialogus Timothei ne sont pas plus agressifs, et ce n'est
que par comparaison avec le pamphlet des Trophées que la Doctrina peut
passer pour pleinement irénique.
34. Doctrina, p. 165 ; Roman D., p. 173 — mais le parallèle entre les apocalyptiques
chrétienne et juive que D. Olster dresse est très instructif (Roman D., p. 174). La Doctrina
continue à accumuler les signes de la venue du Messie — la disparition des prophètes et
surtout la catastrophe de la Romania, avant la fin de laquelle doit venir une première fois
le Messie (Doctrina p. 167) — et c'est encore l'enjeu de la prophétie du prêtre de
Sykamina (Doctrina p. 63).
35. Roman D., p. 138-157. Voir TM 11, 1991, p. 255, p. 269-270, et p. 276-277.
36. «650-680», Roman D., p. 139 (dates sans doute tirées de celles de la controverse
monothélite).
37. Disputatio Gregentii, col. 645 D; Roman D., p. 140 et n. 7. J'avais moi-même
repéré le passage sans le publier, pour des raisons que le lecteur comprendra aisément au
fil des pages suivantes. D. Olster conforte accessoirement cette hypothèse par un parallèle
avec les textes du patriarche Sophrônios qui me paraît assez superficiel.
38. Disputatio Gregentii 688 C ; Roman D., p. 141.
150 VINCENT DEROCHE
«Quant au fait qu'il dit "qu'il sera comme l'ombre du jour abritant de
la chaleur", il nomme jour l'opération de l'Esprit, et chaleur les traits
enflammés du Mauvais. Car tous les jours de ce monde-ci, c'est le
Seigneur qui ombrage, garde et protège tous ceux qui l'aiment, non seu
lement contre la chaleur du Mauvais qui brûle les âmes des hommes
pour leur faire faire l'iniquité du diable, mais aussi contre l'incursion du
démon de midi, et contre le reste de la tyrannie de Satan — la sécheresse
et la pluie maligne.»
La mention du fameux «démon de midi» (μεσημβρινός διάβολος) ne
renvoie pas à une orientation géographique, mais à une heure de la jour
née, et tout le contexte est celui, bien connu, de la lutte spirituelle dans
les âmes : toute allusion à une invasion venue du Sud est exclue 39. De
même, il suffit de relire le passage où D. Olster croit reconnaître un aveu
de la défaite politique et militaire des chrétiens dans la bouche de
Grégentios 40 pour voir qu'il est d'interprétation plus délicate :
Herban (le Juif) : «... ne te semble-t-il pas que le Seigneur Dieu vien
dra un jour rappeler Israël qu'il a rejeté, et qu'il faut que celui-ci
devienne un peuple fort et un royaume très redoutable ?»
Grégentios : «Tu te trompes, ô Herban, en appropriant à ton peuple la
prophétie. Car en disant "broyée", (le prophète) a laissé entendre la
cohabitation avec les nations, et en disant "rejetée", il a signifié le rejet
de l'idolâtrie de ces mêmes nations. Et maintenant, le royaume des
Romains n'est-il pas un peuple grand et fort? Jérusalem n'est-elle pas
remplie d'églises et de saints temples du Christ crucifié ? Jésus Christ, le
Fils de Dieu que vous avez renié, n'est-il pas venu de Bethléem ? Ne
règne-t-il pas presque jusqu'aux bornes de toute la terre habitée, du haut
du mont S ion, c'est-à-dire du haut du ciel ?»
Les ambiguïtés de ce passage sautent aux yeux : l'Empire est puissant,
mais sans que le texte précise à quel degré 41 : c'est le Christ dont le pou
voir va jusqu'aux extrémités de la terre, du haut du ciel plutôt que de
Jérusalem, et la mention des seuls sanctuaires chrétiens comme preuve
de leur victoire sur les Juifs à Jérusalem suggère que le pouvoir politique
n'y est peut-être plus chrétien. Comme le contrôle de Jérusalem et des
autres Lieux saints joue un rôle primordial dans l'affrontement idéolo
gique entre Juifs et chrétiens, les allusions à la nature de ce contrôle dans
39. En revanche, un texte sans doute de même époque contient une allusion claire à
une invasion venue du désert (PG 10, col. 908) : voir A. Whealey, De consummatione
mundi of Pseudo-Hippolytus : another Byzantine Apocalypse from the early Islamic
Period, Byz. 66, 1996, p. 461-469.
40. Disputatio Gregentii 680 CD sur Michée, 4, 6-7 ; D. Olster parle d'un
«Gregentius . . . readily admitting Christian defeat» {Roman D., p. 144).
4.1. D. Olster, Roman D., p. 146 le note d'ailleurs, mais sans vraiment l'intégrer à son
raisonnement : la Disputatio Gregentii est pourtant bien plus optimiste sur ce point que le
Dialogus Papisci, ou à plus forte raison que la Doctrina. D'autre part, le Dialogue
d'Athanase et Zacchée, au plus tard du 5e siècle, mentionne déjà comme preuve de la vic
toire du christianisme la présence de ses églises et de ses moines à Jérusalem : de toute
évidence, cela n'implique pas un désastre militaire à cette époque !
POLÉMIQUE ΑΝΤΙ- JUDAÏQUE ET ÉMERGENCE DE L'ISLAM 151
42. Disputatio Gregentii, col. 629 BC ; Roman D., p. 145 ; la mention du Sinaï et du
Buisson ardent montre bien que cette liste est rédigée d'un point de vue chrétien.
43. Disputatio Gregentii, col. 700 B.
44. Disputatio Gregentii, col. 730 Β D ; Roman D., p. 146.
45. Ibid., col. 730 C (κατέσκαπται).
46. Voir B. Flusin, Démons et Sarrasins, TM 11, 1991, p. 381-409, en particulier
p. 393, p. 408 et la note additionnelle p. 409.
47. B. Flusin, L'esplanade du Temple à l'arrivée des Arabes, d'après deux récits
byzantins, dans : J. Raby et J. Johns, éd., Bayt Al-Maqdis : 'Abd al-Malik's Jerusalem,
Oxford 1992/3, p. 17-31. Notons que ces deux récits opposent nettement l'Anastasis et les
travaux musulmans sur l'esplanade du Temple, comme on le devine dans la Disputatio
Gregentii. Le problème de l'existence d'une mosquée d'Omar dès les années 640 comp
lique encore davantage l'affaire. On remarquera que F. E. Peters, Jerusalem, Princeton
1985, p. 199-201, considère que l'une des Visions de Simon ben Yohai garde le souvenir
d'importants travaux de terrassement sur le site du Temple sous Moawia, aux alentours
de 660 — la date retenue par B. Flusin pour des travaux de terrassement d'après l'un des
deux récits chrétiens.
48. M. van Esbroeck, Le discours de Jean Damascene pour la dédicace de l'Anastasis,
OCP 63, 1997, p. 53-98, qui place cet autre texte essentiel justement entre 690 et 692,
mais seulement parce qu'il suppose que la construction du Dôme du Rocher aurait empê
ché Jean Damascene de s'exprimer comme il le fait : l'argument reste faible.
49. Op. cit., par. 16, p. 80.
152 VINCENT DÉROCHE
50. Disputatio Gregentii, col. 621 A ; bien entendu, cela ne contraint pas à supposer
une rédaction à Constantinople : la Vie de Grégoire d'Agrigente évoque de même un de
ces deux conciles à Constantinople alors qu'elle a certainement été rédigée en Italie.
51. Roman D., p. 148 ; Disputatio Gregentii, col. 700 D.
52. Disputatio Gregentii, col. 693 Β ; Roman D., p. 148. On retrouve le même sujet
col. 676.
53. Grégentios renvoie explicitement à la première Église de Jérusalem pour expliquer
l'accomplissement de certaines prophéties, e. g. col. 684-685.
54. Voir supra.
55. Disputatio Gregentii, col. 701 A : Roman D., p. 148 ; il est vrai qu'Herban dit que
«nous avons été chassés pour un temps court et bref», mais il faut entendre que cette briè
veté se juge à l'échelle de l'histoire universelle, depuis les patriarches, et que c'est un per
sonnage juif qui présente ce laps de temps comme bref pour mieux défendre sa cause. De
même, Herban dit certes : «Si nous entrons, tu nous fais sortir : si nous sortons, tu nous
fais rentrer» (Disputatio Gregentii, col. 729 A ; Roman D., p. 148), mais cela ne peut s'ap
pliquer à une mesure politique de son époque comme le suggère D. Olster : c'est sur le
plan théologique que l'argumentation (tout à fait traditionnelle) de Grégentios tantôt assi-
POLÉMIQUE ΑΝΤΙ- JUDAÏQUE ET ÉMERGENCE DE L' ISLAM 153
mile les Juifs aux chrétiens, le nouvel Israël, tantôt les rejette comme adversaires du
Christ, ne leur laissant que la conversion comme seule issue logique.
56. Disputatio Gregentii, col. 757 AB ; Roman D., p. 149.
57. Ou : «de nous voir les appeler membres de la même foi», ce qui revient au même
au fond.
58. L'autre «tyrannie» citée par Grégentios est celle des démons sur les passions des
hommes, col. 684 C.
59. Disputatio Gregentii, col. 708 D.
60. Disputatio Gregentii, col. 573-576.
61. Disputatio Gregentii, col. 781.
62. Disputatio Gregentii, col. 666 et 740 B.
154 VINCENT DÉROCHE
utopie, ou une transposition dans le passé des souhaits d'un auteur pour
son temps, et comme tel n'est révélateur que d'un courant idéologique et
non de faits concrets — c'est l'énorme différence avec la Doctrina.
L'insistance sur Jérusalem comme motif théologique n'implique pas
nécessairement une rédaction dans cette ville ou aux alentours.
Pour préciser davantage, on est tenté d'en revenir aux deux autres
volets du dossier, que D. Olster ne prend pas en compte : les Lois des
Homérites 63 et la Vie de Grégentios 64, au sens strict les deux autres par
ties d'un grand cycle de Grégentios dans lequel figure la Disputatio
Gre gentil Malheureusement, la tâche n'en devient que plus compliquée.
On ne peut en effet être certain a priori que ces trois textes, réunis dans
certains manuscrits, soient bien de même origine et de même date : à la
suite des travaux préliminaires de E. Patlagean 65 et R. Paret 66, seule une
édition complète pourra le prouver : en partant de l'étude d'un texte
parallèle, la Vie de Grégoire d'Agrigente, A. Berger a suggéré récem
ment que la Vie de Grégentios serait assez tardive (au plus tôt du
9e siècle) et rajoutée aux deux autres textes, qui seraient antérieurs67. Les
données accumulées par E. Patlagean imposent un terminus post quem
approximatif, mais précieux : les Lois des Homérites prévoient parmi les
sanctions pénales graves un système complexe de mutilations qui
annonce les usages de Byzance au Moyen Âge et qui n'a d'application
attestée qu'à partir de la mutilation de Martine et Héracléonas vers
644 68. D'autre part, les parallèles relevés par R. Paret pour les thèmes
hagiographiques et la langue rapprochent ces textes du Pratum spirituale
de J. Moschos et de l'œuvre hagiographique de Léontios de Néapolis69,
de L. Rydén, Das Leben des heiligen Narren Symeon von Leontios von Neapolis, Uppsala
1963).
70. Ε. Patlagean mentionne d'autres Vies d'origine italienne, comme celle de
Pancrace de Taormine (avec un débat contre les Juifs) et surtout celle de Grégoire
d'Agrigente dont Grégentios ne serait qu'un doublet ; mais alors que le dossier ainsi
constitué est un cadre assez probant pour les autres textes, il me paraît difficile d'y ranger
la Vie de Grégentios : l'auteur semble ne pas connaître très bien toute l'Italie, il est mieux
informé sur l'Orient, le plaidoyer pour la primauté romaine est très atténué, voire inexis
tant (une apparition de Pierre, puis de Paul correspond mieux à la représentation byzantine
de la primauté romaine).
71. Voir J.-M. Sansterre, Moines grecs et orientaux à Rome aux époques byzantine et
carolingienne (milieu du VIe-fin du IXe siècle), Bruxelles 1982.
72 . Cela résoudrait mieux le problème de la présence dans ce cycle de Grégentios
d'un petit nombre d'informations apparemment authentiques sur le Najrân, attestées par
ailleurs uniquement par des sources orientales : voir I. Shahîd, Byzantium in South
Arabia, DOP 33, 1979, p. 23-94 (souvent aventureux dans le détail de ses démonstrations,
mais d'autres données allant dans le même sens avaient été repérées par R. Paret). De
plus, si nous sommes avant 680, on comprend qu'un auteur dyothélite prenne ses dis
tances avec une Constantinople monothélite.
156 VINCENT DÉROCHE
que seule une édition complète pourra déterminer: c'est alors qu'on
pourra juger du bien-fondé de la datation proposée par D. Olster.
Dans le groupe complexe formé par le Dialogus Papisci, la Disputatio
Anastasii, les Trophées et les Quaestiones ad Antiochum ducem,
D. Olster73 permet des progrès considérables sur plusieurs points : l'hy
pothèse d'une origine syrienne commune à tous ces textes que propose
D. Olster n'est pas exclue, mais pas non plus démontrable, sauf bien
entendu pour les Trophées ; l'accent mis, comme dans l'apocalypse du
pseudo-Méthode, sur la résistance militaire de l'Empire byzantin se
révèle une excellente clé d'interprétation qui permet de rendre compte
des intentions des auteurs 74.
Mais l'essentiel de la nouveauté tient à la nouvelle lecture des
Quaestiones 75 : D. Olster y voit une attaque directe des Musulmans et
non des Juifs, ce qui élargit le nombre des passages pertinents pour notre
problème, mais là encore, cette idée générale intéressante est appliquée
avec un bonheur inégal au fil des textes. On sait depuis longtemps que ce
recueil utilise les Quaestiones d'Anastase le Sinaïte76 et ne peut donc
être antérieur au dernier tiers du 7e siècle, même s'il peut contenir des
portions plus anciennes 77. D. Olster démontre que l'Islam est bien visé
par la question 38, critiquant la circoncision et la référence à la loi
mosaïque et s' appliquant en effet autant aux Arabes qu'aux Juifs78. Il
continue sa démonstration en supposant que l'apostrophe curieuse de la
question 37 aux Juifs, leur reprochant de prier vers le sud alors que les
chrétiens prient vers l'est, vise en fait l'orientation de la prière musul-
73. Roman D., chap. The Syrian Dialogues, p. 116-137 ; la réhabilitation, justifiée, du
texte de la Disputatio Anastasii, PG 89, col. 1203-1272, par W. Kaegi, Byzantium and the
early Islamic Conquests, Cambridge 1992, p. 220-227, précise ce que M. Kmosko avait
déjà vu il y a soixante ans («Das Rätsel des Pseudo-Methodius, Byz- 6, 1931, p. 293-294) :
un noyau du texte remonte à la fin du 7e s, en tout cas avant la réforme du monnayage par
Abd-el-Malik en 692.
74. Mais ce genre d'idées n'est pas réservé aux chalcédoniens de Syrie : dans l'homél
ie de Jean Damascene citée plus haut, un très beau passage lie les victoires de la Croix à
celles de l'empereur (par. 45, p. 95).
75. Op. cit. (n. 3), en particulier les questions n° 37, 38, 137 : voir Roman D., p. 118-
119, 123-126 et 131-133 : du point de vue de la stricte polémique anti-judaïque, je ne
citais que les n° 42 et 137 (La polémique . . ., p. 279).
76. En attendant la prochaine édition de J. Munitiz, l'article décisif reste celui de
M. Richard, Les véritables Questions et Réponses d'Anastase le Sinaïte, Bull. IRHT 15,
1969, p. 35-56, réimpr. dans ses Opera minora, III, Turnhout 1977. Avec prudence,
M. Richard établissait le lien entre les deux collections en penchant pour Anastase comme
original, mais sans l'affirmer: or, comme l'a bien vu aussi J. Haldon, The Works of
Anastasius of Sinai : a Key Source for the history of 7th Century East Mediterranean
Society and Belief, dans : L. Conrad et Av. Cameron, ed., The Byzantine and Early
Islamic Near East I, Princeton 1992, p. 107-147, il est clair que c'est pour l'essentiel
Anastase qui est démarqué par le texte concurrent (mais celui-ci est sans doute hétéro
gène, ce qui complique la comparaison) : voir en dernier lieu V. Déroche, Études sur
Léontios de Néapolis, Uppsala 1995, η. 12 p. 273.
77. Voir V. Déroche, op. cit. à la n. précédente, n. 3 p. 271 et n. 13 p. 274. C'est la
date à laquelle arrive indépendamment D. Olster, Roman D., p. 133.
78. Quaestiones col. 620-621 : Roman D., p. 123-124.
POLÉMIQUE ΑΝΤΙ- JUDAÏQUE ET ÉMERGENCE DE L'ISLAM 157
79. Quaestiones col. 617 D-620 AB : Roman D., p. 124. En effet, un usage juif de prier
vers le sud me semble inconnu, et la question répond aussi aux «païens», qui ne peuvent
être que les Arabes.
8Ô.Trophées, p. 250 : Roman D., p. 124 (bon parallèle de D. Olster sur ce point).
81. Quaestiones col. 617-620 ; Roman D., p. 125.
82. Quaestiones col. 625 ; Roman D., p. 126.
83. La pérennisation de cette situation par l'invasion arabe a été douloureusement res
sentie par les monophy sites : voir Michel le Syrien, éd. et trad. Chabot, II, p. 412-413.
84. Question 117 (69 à l'origine), PG 89, col. 768 D - 769 AC : Anastase enregistre
l'occupation arabe et ajoute que les orthodoxes détiennent les Lieux saints «depuis
700 ans» — mais on ne peut en tirer une date sûre vers 700 : il peut s'agir d'un rajout par
un copiste ou par une réédition d'Anastase.
158 VINCENT DEROCHE
tiens se représentent les Juifs comme beaucoup plus proches des musul
mansque d'eux-mêmes : autrement dit, il n'est pas besoin de ramener les
Juifs à un simple prête-nom des musulmans pour comprendre ces textes,
il suffit de poser que la prétention du christianisme d'hériter des pro
messes faites à Israël se trouve alors contestée non plus par une, mais par
deux religions directement liées à l'Ancien Testament. Reprenons la
composition des Quaestiones dans cette optique : un groupe central, en
gros du n° 37 au n° 50, se dégage autour de la définition des Chrétiens
face aux Juifs et aux «païens». Dans les questions que nous avons déjà
vues, l'auteur définit les chrétiens au n° 40, puis légitime les rites dis-
tinctifs des chrétiens, récuse ceux des deux autres groupes, et affirme la
pérennité du christianisme orthodoxe. À partir de la question 47, il
revient à des problèmes d'exégèse et de définition sur le Paradis terrestre
d'Adam, ce qui tend à confirmer l'hypothèse de D. Olster : ce sujet
devient l'un des indicateurs de l'identité chrétienne par réaction à une
thèse musulmane sur le paradis d'Allah. Bref, dans ce texte assez comp
osite, le souci de marquer la différence chrétienne par rapport aux Juifs
et aux Arabes apparaît clairement, mais il s'explique comme chez
Anastase par le problème des conversions à l'Islam. Pourquoi Juifs et
Musulmans sont-ils pour ainsi dire mis dans le même sac ? parce que, du
point de vue chrétien, ces deux communautés sont objectivement alliées
contre les chrétiens par leur revendication de l'héritage des promesses de
l'Ancien Testament, et parce que la minorité juive est un appui naturel
pour la minorité dominante arabe face à la majorité chrétienne.
Cela nous ramène à la thèse de P. Crone et P. Cook 85 qui ont voulu
voir dans l'Islam originel une religion très proche du judaïsme et même
du christianisme, fondée essentiellement sur la référence à Abraham :
sans vouloir s'aventurer dans cette question compliquée, plusieurs
indices laissent penser qu'il y a eu une certaine complicité entre Juifs et
Musulmans face aux chrétiens, comme on lé devinait à travers les
d'
Trophées
«expertsdethéologiques»
Damas et tousaux les textes
chefs où
arabes86.
l'on voit
Au-delà
les rabbins
des juifs
invectives
servir
chrétiennes traditionnelles contre les Juifs, il y a trace d'une ambiguïté
de l'Islam à ses débuts : beaucoup de chrétiens (et sans doute de Juifs)
croient que le futur Dôme du Rocher à Jérusalem est comme la recons
truction du Temple de Salomon 87. Les espérances que les Juifs ont fon-
dées au début sur les victoires arabes transparaissent dans une apoca
lypse au moins, les Secrets de Rabbi ben-Yohass, et un texte comme
Y Apocalypse du Pseudo-Méthode est comme la réplique chrétienne à ce
genre d'espérance. Si l'apocalypse d'un «Pseudo-Hippolyte» est bien un
texte anti-musulman de la fin du 7e siècle comme le propose avec de
bonnes raisons A. Whealey89, il faut noter que, dans sa réédition du
De Antichristo d'Hippolyte, cet auteur inconnu s'est bien gardé de sup
primer le passage où l'Antéchrist favorise en toutes choses le peuple
juif : il lui semblait sans doute approprié à son temps. Dans la Doctrina,
il est clair que les premiers séduits par la nouvelle religion sont les Juifs
de Palestine, contre lesquels l'auteur campe la figure de Ioustos, Juif
converti sincèrement au christianisme et prêt à affronter le martyre :
l'Islam semble être pour les Juifs la nouvelle forme d'opposition au
christianisme, ce dont Maxime le Confesseur nous donne une version
«diabolisée» dans sa fameuse lettre sur les invasions arabes où la respons
abilité du désastre retombe mystérieusement sur les Juifs, «peuple apos
tat et fou, cette nation incorrigible» 90. Symétriquement, l'Islam naissant
semble avoir du mal à marquer sa différence avec le judaïsme et à affi
rmer son identité religieuse91. Cette situation explique la fameuse fable
du «complot juif» à l'origine de l'iconoclasme : on se gardera d'y ajouter
foi, mais la situation créée par les invasions arabes en Orient explique
cette obsession chrétienne d'une connivence naturelle entre Juifs et
Arabes, et la version arabe de l'affaire retourne simplement la polémique
chrétienne 92.
On attendrait dans ce cas des textes qui témoigneraient de la friction
entre musulmans et chrétiens comme nous en avons pour la friction entre
chrétiens et juifs : D. Olster tire argument de l'absence de texte spécifique-
Vincent Déroche
CNRS-UMR 7572
101. Ed. A. P. Hayman, The Disputation of Sergius the Stylite against a Jew, Louvain
1973 : le texte serait du début du 8e siècle. En tendant à restituer à Anastase le Sinaïte la
Disputatio Anastasii, W. Kaegi complète cette continuité chronologique.
102. En particulier les mosaïques mutilées de Umm el Rassas, récemment commentées
par Bowersock : voir R. Schick, op. cit.
103. Héraclius nouveau David, etc. : la meilleure présentation récente est due à
G. Dagron dans J.-M. Mayeur, Ch. et L. Piétri, A. Vauchez et M. Venard, éd., Histoire
du christianisme 4, Paris 1993, p. 19-20.