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Centre Français de Recherche sur le Renseignement

L’EMERGENCE D’UNE MENACE ISLAMO-GAUCHISTE ?


Eric Denécé

La menace d’attentat du 16 décembre contre le Printemps Haussmann, à Paris,


a été revendiquée par un obscur « Front révolutionnaire afghan », qui exige le retrait
des troupes françaises d’Afghanistan sous trois mois. La police a retrouvé, dans le
magasin, cinq vieux bâtons de dynamite sans dispositif de mise à feu. Si nous ne
vivions pas sous la menace constante du terrorisme islamiste, cela pourrait presque
passer pour un canular.
De nombreux éléments permettent de dire que les djihadistes ne sont pas à
l’origine de cette tentative :
- ils ne préviennent jamais les autorités avant un attentat et frappent toujours de
manière aveugle et sanglante ;
- le mode opératoire et les explosifs utilisés ne correspondent pas à leur façon de
procéder ;
- ils ont pour coutume de revendiquer leurs actions via des sites internet hébergés
dans le monde arabe ou de diffuser leurs messages vidéo via Al-Jazira. Jamais ils
n’utilisent l’AFP ;
- le texte du communiqué n'a rien d'islamiste. Les djihadistes ne se définissent jamais
comme des révolutionnaires ; au contraire ils se considèrent comme le bras armé
d’un islam ultra-conservateur.
En revanche, tout conduit à penser que les auteurs de cette action sont liés à
l’ultra-gauche française.
Comme l’ont montré les récentes arrestations d’activistes - suite aux sabotages
de caténaires sur les lignes TGV, en novembre dernier - il existe, en France, une
nouvelle extrême-gauche violente, déterminée à passer à l’action. Les membres de
cette mouvance dite « anarcho-autonome » sont plutôt jeunes (25 à 35 ans) et n’ont
guère de programme. Ils sont dans une démarche d’opposition brute : leur unique
but est de perturber ou détruire l’Etat « répressif » et la société capitaliste.
Le communiqué transmis à l’AFP reproduit clairement leur phraséologie et
leur vocabulaire révolutionnaire de type marxiste. Le fait que les explosifs aient été
placés au Printemps, « temple » de la consommation, n'est pas anodin non plus. La
nouvelle ultra-gauche a une très forte orientation anti-publicité, anti-marques et anti-
consommation. Elle considère par ailleurs que la présence française en Afghanistan
relève de l’impérialisme et que les pays du Tiers-Monde sont exploités, d’où son
« appel » à un Afghanistan « libre ».
La renaissance d’un courant violent au sein de l’extrême-gauche est un
phénomène qui s’observe dans tous les pays occidentaux depuis plusieurs années,
davantage en Allemagne, en Italie et aux Etats-Unis qu’en France.
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En effet, la fin de la Guerre froide et la faillite du communisme n’ont pas mis


fin à l'existence de forts courants d’opinion cherchant à remettre en cause l'évolution
des sociétés développées. Au contraire, la victoire de la libre entreprise sur le
totalitarisme et l’économie planifiée a engendré, en réaction au règne du libéralisme,
de la « société de consommation » et à la « recherche du profit » les accompagnant,
l'apparition de nouvelles démarches contestataires agissant au nom de « l’éthique ».
Nombre de ceux qui rejettent tout ou partie de l’évolution du monde actuel –
y compris une fraction de l’extrême-droite - convergent vers ces mouvements
contestataires qui couvrent des champs extrêment divers : activistes anti-
mondialisation et anti OGM, animalistes, militants anti-avortement, défenseurs de
l'environnement, groupes anti-consommation et anti-pub, etc.
Malheureusement, depuis quelques années, les dérives violentes se
multiplient. La majorité de ces causes « éthiques » a donné naissance à des
groupuscules violents (écoterroristes, bioterroristes, etc.) n'hésitant pas à recourir à
des actions « armées » pour faire aboutir leurs idées.
Aux Etats-Unis, le groupuscule animaliste Département de la justice (sic), envoie
des lettres piégées contenant des lames de rasoir enduites de mort-aux-rats à ceux
qui "exploitent" les animaux. Le groupe écologiste radical Earth Liberation Front,
encore plus violent, est désormais considéré par Washington comme un groupe
terroriste, au même titre qu’Al-Qaeda. Outre-Manche, les activistes de l’Animal
Liberation Front (ALF) ont à leur actif la destruction de laboratoires médicaux et
l'envoi de lettres piégées à des chercheurs travaillant dans l'industrie génétique. En
septembre 2005, ils ont effectué deux attaques à la bombe. C’est donc bien un
« djihad » écologiste qui est lancé.
Si, a priori, tout semble opposer l’ultra-gauche et les djihadistes salafistes, on
observe toutefois, depuis quelque temps, des points de convergence entre ces deux
mouvances. Les deux courants rejettent conjointement les valeurs bourgeoises, le
matérialisme, le capitalisme et la mondialisation. Ils conçoivent leur lutte comme une
révolte dirigée contre ce qu’ils considèrent être une société injuste. Preuve en est la
déclaration d’Ayman Al-Zawahiri, le numéro 2 d’Al-Qaida dans une vidéo du 5 mai
2007 : « Je veux que les noirs en Amérique, le gens de couleur, les Indiens américains, les
Hispaniques et que tous les faibles et opprimés d’Amérique du Nord et du Sud, d’Afrique et
d’Asie et partout dans le monde sachent que lorsque nous menons la guerre sainte selon la
volonté d’Allah, nous ne nous battons pas seulement pour lever l’oppression dont souffre le
peuple musulman, mais aussi pour lever l’oppression de l’ensemble de l’humanité ».
Activistes de l’ultra-gauche et djihadistes salafistes ont donc un objectif
commun : détruire la société capitaliste occidentale afin de rebâtir un monde
meilleur. En conséquence, ils pourraient nouer des relations logistiques voire
opérationnelles communes. Cette alliance de circonstances entre les militants
anticapitalistes et les islamistes, même si elle est un marché de dupes, est donc un
phénomène particulièrement préoccupant qui doit être pris au sérieux.

Eric Denécé
Directeur du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R)
Dernier ouvrage paru : Les services secrets, EPA, 2008.

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